11 décembre 2008

[Abbé Guillaume de Tanoüarn - Metablog] Une stratégie pour l'Eglise en France

SOURCE - abbé Guillaume de Tanoüarn - Metablog - 10 décembre 2008

Passionnante conférence de l'abbé Claude Barthe, ce 9 décembre au Centre Saint Paul. Pour la première fois, me semble-t-il, je perçois toute l'acuité et l'ampleur de son analyse. Je voudrais essayer d'en rendre compte.

A l'origine (dans les années 60) deux tendances : les "progressistes" et les "intégristes" (c'est-à-dire selon la terminologie d'Yves Congar lui-même dans un appendice célèbre de la 2ème éd. de Vraie ou fausse réforme dans l'Eglise "les catholiques de droite", excusez du peu !). Les catholiques de droite perdent la bataille. Restent deux forces en présence, autour de deux revues emblématiques : la gauche chrétienne, sûre de son Concile, s'est groupée autour de la revue Concilium. Un centre apparaît, d'abord un peu en marge, mais gagnant très vite des adhérents, déçus des excès post-conciliaires. Sa revue, c'est Communio, où trouvent refuge le Père de Lubac, von Balthasar et un certain Josef Ratzinger.

Il y a une version pastorale de la revue Communio, incarnée en France par les prêtres qui, à Montmartre, se sont groupés autour de Monseigneur Charles et dont le plus connu deviendra cardinal et incarnera ce que l'on va appeler la troisième voie : Jean Marie Lustiger, son mauvais caractère, ses intuitions fulgurantes, sa volonté de donner un visage conciliaire à la "droite" catholique (pour reprendre le mot de Congar). Jean Marie Lustiger, ami personnel de Jean Paul II, qui tentera de réaliser en France le programme du pape slave.

Cette troisième voie a le vent en poupe. Membre de la Congrégation des évêques à Rome, Jean Marie Lustiger pèse de tout son poids pour faire nommer ses poulains à la tête des diocèses français. Les résultats sont parfois contrastés : quel rapport entre Maurice de Germigny et Albert Rouet ? Le seul rapport pastoral entre les deux hommes, l'un évêque de Blois, l'autre archevêque de Poitiers, est qu'ils ont été poussés par le cardinal Lustiger. Logiquement, à la mort du cardinal, son successeur désigné, André Vingt-trois devient archevêque, cardinal et aussi patron des évêques français. La troisième voie semble à son maximum de rayonnement.

Las... Certains symptômes semblent indiquer que cette troisième voie marque le pas. Le "second souffle de Vatican II" comme disait Mgr Defois semble lui-même en quête du troisième. Particulièrement préoccupant est le nombre sans cesse en diminution des séminaristes, en France et particulièrement à Paris. Le cardinal Lustiger était parvenu à doubler ce nombre, en entretenant quelque 100 candidats au sacerdoce dans son diocèse. Aujourd'hui, le séminaire de Paris est revenu au niveau où il se trouvait au moment où le cardinal Marty a lâché les commandes. Et même - c'est symbolique - sans doute un peu en dessous. "La crise nous a rejoint" reconnaît désormais le cardinal Vingt-trois, adepte du parler vrai.

Qu'est-ce qui marche dans l'Eglise de France ? telle est sans doute la question que l'on doit se poser. De plus en plus nombreux sont les évêques qui s'intéressent à l'expérience de Toulon. Mgr Rey est aujourd'hui à la tête du plus important séminaire français, le séminaire de la Castille. Quelles sont les raisons de son succès ? comment caractériser ce qui pourrait bien être la voie de l'avenir, la quatrième voie ?

De deux manières : Mgr Rey n'entretient aucune animosité vis-à-vis des traditionalistes de son diocèse. il accueille même des séminaristes qui se forment dans le rite extraordinaire, ne leur demandant au fond qu'une chose : accepter de travailler, en plein respect, avec d'autres composantes de l'Eglise.

Mgr Rey, ancien de l'Emmanuel, jadis curé de la Trinité à Paris, croit aux communautés nouvelles. Il pense que l'Eglise a besoin de leur feu, que la société déchristianisé et a-religieuse dans laquelle nous vivons a besoin de missionnaires qui se sont réchauffés le coeur à des foyers ardents. Les communautés brésiliennes qu'il a accueillies dans son diocèse constituent le symbole de ce feu nouveau, qui donne un nouvel élan aux paroisses, une nouvelle souplesse aux vieux tissus de chrétienté.

En quoi cela nous concerne ? diront sans doute quelques traditionalistes inquiets du tour que prend mon analyse. Cela nous touche de très près.

Je crois que le péché de la troisième voie (ce qui aujourd'hui fait sa limite), c'est d'avoir misé uniquement sur une normalité paroissiale pour revivifier le tissu ecclésial. Normalité ? je veux dire : une liturgie standard. Une doctrine sûre mais jamais inquiétante ("Vouloir rassurer, c'est toujours contribuer au pire" écrit quelque part René Girard). Un catéchisme qui, comme l'explique l'affiche publicitaire, "ouvre des pistes" pour les jeunes. Une théologie qui hésite devant toutes formes de synthèse et pratique surtout le commentaire de texte, à l'image de ce que proposa jadis le Père de Lubac. Tout cela semble compatible avec le cadre paroissial dans sa diversité. Est-ce suffisant pour transmettre ? pour donner envie de transmettre ? pour faire des prêtres ?

Qu'est-ce que la "quatrième voie", incarné en ce moment par Mgr Rey ? Avant tout la prise de conscience de cette insuffisance et l'appel pour y pallier à la liberté des enfants de Dieu. De tous les enfants de Dieu, en particulier des traditionalistes. L'appel à jouer chacun avec ferveur sa partition dans la symphonie ecclésiale. Sans doute faut-il aujourd'hui cet élan symphonique des fidèles et cette confiance paternelle des évêques pour qu'un nouveau monde puisse naître sur nos ruines.

Surtout ne rien édulcorer. Donner. C'est pour l'Eglise.