17 février 2011

[Paix Liturgique] 5 questions à Leo Darroch, président d'Una Voce

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 270 - 17 février 2011

Président de la Fédération internationale Una Voce, le Britannique Leo Darroch a accepté de répondre à nos questions au lendemain de la présentation à Rome du troisième rapport rédigé par son organisation sur l'application du Motu Proprio Summorum Pontificum. Un troisième rapport qui fait figurer en annexe les résultats des sondages internationaux commandités par Paix Liturgique à des instituts dont c'est le métier !

1) Vous êtes le président de la plus ancienne association de soutien à la liturgie traditionnelle : pouvez-vous nous présenter votre œuvre et son action aujourd'hui ?

Leo Darroch – Vers la fin du concile Vatican II, une inquiétude grandissait parmi les fidèles quant à la continuité du patrimoine liturgique de l'Église. Au tournant des années 1964-1965, diverses organisations nationales se formèrent et les délégués de six d'entre elles se rencontrèrent à Rome en 1965 mais ce n'est que le 8 janvier 1967 que fut formellement constituée la Fédération internationale Una Voce : les délégués de 20 associations, rassemblés à Zurich, en approuvèrent les statuts et élirent le premier bureau.

La Fédération est un mouvement laïc dont les principaux objectifs sont le maintien de l'usage du Missel du Bienheureux Jean XXIII (édition de 1962) comme l'une des formes de la liturgie et la sauvegarde et la promotion du latin, du grégorien et de la polyphonie dans l'Église. Elle représente des associations issues de plus de 30 pays. Depuis la promulgation du Motu proprio Summorum Pontificum en juillet 2007, nous recevons toujours plus de demandes, en provenance de pays aussi éloignés que Panama ou le Japon.

Tous les deux ans, nous tenons une assemblée générale à Rome au cours de laquelle sont élus le bureau et le président. La FIUV n'est pas un organisme régi d'en haut par un comité central ; chaque association membre constitue un organe autonome encouragé à faire tout son possible pour poursuivre localement les objectifs de la Fédération. La FIUV est en revanche mieux placée pour représenter les préoccupations courantes des catholiques traditionnels au plus haut niveau de l'Église : elle est reconnue par le Saint Siège et ses positions comme ses délégués sont reçus avec courtoisie et intérêt par les différentes congrégations romaines.

Au fil des ans, la Fédération est intervenue auprès de Rome avec succès à de nombreuses occasions pour la sauvegarde de la messe traditionnelle et de l'ancienne liturgie.

2) Quel regard portez-vous sur l'application du Motu Proprio depuis 2007 ? Dans vos commentaires d'introduction du troisième rapport annuel de la FIUV depuis le Motu Proprio Summorum Pontificum, vous insistez sur l'opposition de pans entiers de l'épiscopat au Motu Proprio : pouvez-vous illustrer cette opposition ?

Leo Darroch – Le Motu proprio a été accueilli avec joie par les membres de la FIUV et a signifié un accroissement notable de notre travail. De nombreux évêques y ont répondu favorablement, et ce pour le plus grand bien du clergé et des fidèles de leur diocèse. Beaucoup de paroisses ont été revigorées par son application, en particulier aux États-Unis. Néanmoins, il est vrai que bien trop d'évêques n'ont pas fait écho au vœu de Benoît XVI d'ouvrir “généreusement notre cœur et (de laisser) entrer tout ce à quoi la foi elle-même fait place” (lettre aux évêques du 7/7/2007).

Dans la troisième partie de notre rapport, les associations locales affiliées fournissent des exemples détaillés de prélats ayant refusé ou ignoré des demandes légitimes d'application du Motu Proprio, y compris de demandes soutenues par des prêtres désireux de célébrer. En effet, bien que le législateur suprême, le Saint Père, ait directement donné cette permission aux prêtres, certains évêques semblent incapables d'accepter que Summorum Pontificum soit une Lettre apostolique, un décret pontifical, et non un simple indult requérant leur autorisation ! Ils refusent tout simplement la volonté exprimée par l'autorité supérieure.

3) Certains continuent à penser que la messe traditionnelle est l'apanage de la vieille bourgeoisie européenne : cette opinion a-t-elle encore un fondement ? En outre, dans le Motu Proprio, le pape formule le vœu que la réintroduction du Missel de Jean XXIII touche tous les catholiques et pas seulement ceux attachés à la tradition liturgique de l'Église : diriez-vous que cette espérance est satisfaite ?

Leo Darroch – Ceux qui considèrent la liturgie traditionnelle comme un repère de vieux aristocrates européens sont ceux qui veulent précisément discréditer notre travail et méconnaissent l'œuvre de la FIUV. Si la Fédération naît d'Européens cultivés dans les années 60, c'est tout simplement parce qu'ils étaient à l'époque les mieux placés pour donner vie à un tel mouvement. Depuis cette date, Una Voce a pris pied sur tous les continents et les nouveaux groupes qui continuent de se former reflètent toute l'étendue du spectre social et sont présidés aussi bien par des hommes que des femmes.

Souvent, on voudrait réduire les "traditionalistes" aux fidèles nés dans la liturgie ancienne mais le Saint Père a parfaitement raison de dire que de nombreux jeunes "y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement". Sans exception, il faut signaler que tous les groupes qui se sont affiliés à nous récemment sont animés par des catholiques tout au plus trentenaires. Nous étudions actuellement des demandes venant de l'Indonésie, du Kenya, du Japon et de Panama et elles émanent toutes de personnes de moins de 35 ans. Il est évident que le Saint Père, fort de son souci pastoral pour toute l'Église est plus au fait des préoccupations des fidèles et des prêtres que tant d'évêques qui semblent n'avoir aucune idée ou aucun intérêt pour ce qui se passe en dehors des frontières de leur diocèse. Plus l'usus antiquior se répand, plus les demandes affluent de fidèles souhaitant des conseils pour créer leur propre groupe Una Voce.

Mais il n'y a pas que les laïcs à s'enthousiasmer pour le renouveau de la liturgie tradtionnelle, le clergé et les religieux aussi. Le nombre de sociétés de prêtres et d'ordres religieux (masculins comme féminins) utilisant le missel ancien augmente d'année en année. Et une de leurs caractéristiques communes est précisément leur jeunesse. Une liste partielle de ces instituts est disponible sur notre site internet www.fiuv.org.

4) Un an après la réorganisation de la Commission Ecclesia Dei, souhaitée depuis longtemps par les fidèles, peut-on dire que quelque chose a changé à Rome ? Est-ce l'institution appropriée pour assurer l'application juste et généreuse du Motu Proprio ?

Leo Darroch – Je ne dirais pas que la Commission Ecclesia Dei a été réorganisée il y a un an mais plutôt que sa réorganisation a commencé il y a un an, ce qui n'est pas la même chose : elle est toujours en cours. Je pense qu'il est clair pour tout le monde que la Commission est plus structurée aujourd'hui que jamais, ce qui ne peut être qu'une bonne chose. Ses bureaux ont récemment été agrandis ce qui pourrait signifier un renforcement de ses effectifs afin de répondre à l'augmentation de la quantité de travail à fournir.

De mon point de vue, les signes sont positifs. Monseigneur Pozzo est un excellent connaisseur de ce dossier et, contrairement au passé, les prêtres récemment nommés en son sein célèbrent tous régulièrement la forme extraordinaire et ont des affinités avec les fidèles qui, comme ceux de la FIUV, souhaitent adorer le Seigneur Tout Puissant selon les livres liturgiques en usage en 1962.

Je ne crois pas qu'il m'appartienne de juger si la Commission est ou non l'institution adaptée pour assurer l'application du Motu Proprio. Elle a été érigée par Jean-Paul II et a été rattachée à la Doctrine de la Foi par Benoît XVI. Le Motu proprio ne concerne pas que la liturgie, mais aussi les évêques, le clergé et les fidèles : quelle serait alors la Congrégation ou l'institution romaine la plus adaptée ?

5) Vous étiez à Rome mi-novembre 2010 pour présenter votre rapport à différents prélats de la Curie : nous savons que votre rapport 2009 avait été grandement apprécié pour les documents et les photos qu'il contenait présentant les sessions de formation des prêtres à la forme extraordinaire. Pouvez-vous nous dire comment ce troisième rapport a été accueilli ?

Leo Darroch – Jason King, notre vice-président et Rodolfo Vargas Rubio, notre secrétaire, m'ont accompagné pendant ces six jours. Nous avons été reçus à la congrégation du Culte divin, à celles pour le Clergé et pour l'Éducation catholique, à la Signature apostolique, à la Secrétairerie d'État et avons eu deux rendez-vous à l'Ecclesia Dei. Nous avons aussi eu le privilège d'être invités par le tout nouveau cardinal Burke à une réception au Collège Nord-Américain à l'issue du consistoire du 20 novembre et le lendemain soir à son bureau au Palais de la Chancellerie.

Dans chaque dicastère, nous avons remis une copie de notre rapport, à chaque fois bien accueillie par nos interlocuteurs. Bien que notre travail soit destiné prioritairement au Saint Père et à la Commission Ecclesia Dei, il contient aussi des informations pertinentes pour tous ces autres services. Ce n'est pas dans nos habitudes de révéler le contenu de nos conversations privées à Rome mais je peux vous dire que l'accueil réservé à nos informations a été des plus bienveillants.

LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1- Un grand merci à Léo Darroch pour cet entretien qui nous apporte un éclairage supplémentaire sur la question de la libéralisation de la forme extraordinaire. Merci aussi à tous ceux qui ont œuvré et qui œuvrent aujourd'hui au sein de la Fédération Internationale Una Voce pour la défense des valeurs traditionnelles de l'Église et en particulier pour la promotion du chant grégorien et de la liturgie extraordinaire.

2- Cet entretien confirme, s'il en était besoin, les nombreux écrits de Paix Liturgique sur l'opposition généralisée de certains évêques qui résistentent systématiquement à l’esprit du Motu Proprio, qui est de « banaliser » la liturgie antique en la réintroduisant dans les paroisses. Comme Una Voce, contrairement à ce que voudraient faire croire certains clercs, Paix Liturgique n'est rien d'autre que la voix de tous ceux qui souffrent en silence de cette situation d'exclusion et de privation. Nous ne sommes ni des "durs" et encore moins des "violents",  nous sommes simplement les avocats de tous les fidèles et prêtres demandeurs d'un renouveau liturgique qui sont brimés par des autorités abusant de leur pouvoir. L'accueil très positif réservé à Léo Darroch dans les différents services du Vatican nous confirme heureusement l'existence, au plus haut niveau de l'Église catholique, de personnes prêtes à continuer à avancer dans la voie de la libéralisation de la liturgie traditionnelle malgré les difficultés persistantes.

3- L'allusion aux critères sociologiques des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain est elle aussi un élément essentiel à la compréhension du développement de cette forme liturgique. Une étude plus précise de cette question nous amènera ultérieurement à approfondir la vision exposée par Una Voce. Loin d'être le domaine réservé d'une élite, la forme extraordinaire attire en effet des fidèles de toutes catégories sociales et professionnelles à travers tous les continents. Les jeunes y trouvent en particulier une réponse à leur besoin de silence et à leur recherche de spiritualité.

4- De sorte que nous ne saurions mieux faire, en conclusion, que de répéter en substance ce que nous disions dans notre lettre du 26 janvier : dans les temps de désert de la foi et de la pratique pour l’Église d’Occident dans lesquels nous nous enfonçons chaque jour davantage, ce que l’on peut appeler le « catholicisme du Motu Proprio », avec ses prêtres spécialisés ou non, ses fidèles, ses groupes, son scoutisme, ses communautés religieuses traditionnelles ou retraditionalisés, ses paroisses tridentines ou bi-formalistes ou réforme de la réforme, ses écoles, ses vocations, représente dans son ensemble un poids toujours plus considérable qu'en toute justice l'on devrait "considérer". Et dans ce contexte de traditionalisme jeune, Summorum Pontificum a pour effet principal, et vraiment providentiel, d’ouvrir les portes de la liberté à la liturgie traditionnelle opprimée par la réforme Bugnini. Nous ne cessons et ne cesserons d’en rendre grâces au Saint-Père. Nous avons désormais l’assurance que, pour le plus grand bien de l’Église, l’antique liturgie de Rome ne mourra pas.