15 juin 2011

[FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres] Sur l'Instruction Universae Ecclesiae

SOURCE - District de France de la FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres n°50 - mise en ligne par La Porte Latine - juin 2011

Annoncée depuis le 30 décembre 2007 par le cardinal Tarcisio Bertone, l’instruction Universæ Ecclesiæ sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum (7 juillet 2007) a été rendue publique le 13 mai 2011 par la Commission pontificale Ecclesia Dei.
Signé par le cardinal William Levada, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et par Mgr Guido Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, ce document romain paraît après que les évêques du monde entier ont pu adresser à Rome le bilan des trois années écoulées depuis la publication du Motu proprio, conformément au souhait du pape Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques accompagnant le Motu proprio. D’où ce temps anormalement long pour un décret d’application qui, ordinairement, paraît peu de temps après la promulgation de la loi elle-même.
Pour comprendre la position de la Fraternité Saint-Pie X vis-à-vis de l’instruction Universæ Ecclesiæ, il convient de rappeler d’abord sa position vis-à-vis du Motu proprio Summorum Pontificum, dont cette Instruction est le commentaire autorisé et le prolongement législatif.
Le Motu proprio répond à un souhait de la Fraternité Saint-Pie X
Le premier préalable aux entretiens doctrinaux demandés par la Fraternité Saint-Pie X était la liberté pour tout prêtre catholique de pouvoir célébrer la liturgie traditionnelle, sans condition particulière (le second étant, rappelons-le, la disparition des censures canoniques jetées sur les quatre évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X, disparition acquise le 21 janvier 2009).
Lorsque le Motu proprio Summorum Pontificum est paru en juillet 2007, la Fraternité Saint-Pie X a déclaré que ce document répondait « en substance » à ce premier préalable. Et ceci, en raison d’un principe essentiel que le Motu proprio explicite et défend.
Le point essentiel et positif du Motu proprio
La qualité essentielle du Motu proprio, aux yeux de la Fraternité Saint-Pie X, tient dans sa reconnaissance explicite que le Missel traditionnel n’a pas été abrogé, qu’il ne pouvait pas l’être et qu’en conséquence tout prêtre demeure libre d’en user.
C’est ce qu’expriment ces mots de l’article 1 : « Il est donc permis de célébrer le sacrifice de la messe suivant (…) le Missel romain [traditionnel] (…) jamais abrogé ». Cette affirmation est fortifiée par le commentaire authentique donné par la Lettre aux évêques, qui souligne : « Ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé et, par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». Et, plus loin : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ».
Le point critiquable du Motu proprio
En revanche, le Motu proprio comporte un principe que la Fraternité Saint-Pie X a toujours contesté (c’est un des points majeurs de sa contestation théologique) : celui de l’équivalence théologique, liturgique et spirituelle du Missel de Paul VI avec le Missel traditionnel. Ce principe est exprimé en plusieurs endroits de Summorum Pontificum et de la Lettre aux évêques, par exemple : « Il n’est pas convenable de parler des deux versions du Missel romain comme s’il s’agissait de deux Rites. (…) Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale romanum ».
Or, la Fraternité Saint-Pie X a toujours proposé une critique positive de plusieurs points du Missel de Paul VI, et ceci pour des motifs de foi. Elle reprend à son compte l’affirmation du cardinal Alfredo Ottaviani, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi qui, en 1969, en union avec le cardinal Antonio Bacci, écrivait au pape Paul VI : « Le nouvel ordo [de la messe] s’éloigne d’une façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, définie à jamais par le concile de Trente ».

Pourtant, le Motu proprio garde sa qualité première
Cependant, la Fraternité Saint-Pie X n’a pas considéré que cette affirmation de l’équivalence théologique, liturgique et spirituelle du Missel de Paul VI avec le Missel traditionnel, qu’elle conteste, soit de nature à abolir la qualité première du Motu proprio, c’est-à-dire son affirmation claire que le Missel traditionnel n’a pas été abrogé, qu’il ne pouvait pas l’être et qu’en conséquence tout prêtre demeure libre d’en user. Et ceci pour trois raisons coordonnées.
D’abord, l’affirmation de l’équivalence des deux Missels a toujours été au coeur de la doctrine de Rome depuis 1969. Cette réitération dans le Motu proprio n’ajoute donc rien, ne retire rien à ce qui a été déjà dit, et ne peut donc caractériser l’apport nouveau et spécifique du Motu proprio.
Ensuite, cette affirmation de l’équivalence des deux Missels n’est en aucune manière la cause des affirmations (nouvelles, pour leur part) concernant la liberté pérenne du Missel traditionnel.
Enfin, si, durant les quarante années précédentes, les deux Missels ont pu être comparés voire équiparés, ce procédé a le plus souvent été utilisé pour jeter le discrédit, voire le mépris, sur le Missel traditionnel, tandis que le Motu proprio et la Lettre aux évêques contiennent une véritable louange et même, pourrait-on dire, comme une réhabilitation publique de ce Missel traditionnel.
Non-usage par la Fraternité Saint-Pie X du Motu proprio 
La Fraternité Saint-Pie X, pourtant, ne se situe pas dans le cadre du Motu proprio, mais dans celui de la liberté du Missel traditionnel et, à titre conservatoire, dans la stricte fidélité à l’édition de 1962, sans aucun ajout ni amputation, en attendant une clarification de la situation de l’Église.
Du côté de la Fraternité Saint-Pie X, ce non-usage du Motu proprio est lié essentiellement au refus du principe d’équivalence des deux Missels. Du côté des autorités officielles de l’Église, ce nonusage est lié essentiellement au refus de reconnaître dans les membres de la Fraternité Saint-Pie X des prêtres parfaitement catholiques, empêchés seulement par le malheur des temps de respecter à la lettre certaines règles canoniques. C’est le sens de ce passage du Motu proprio : « Les prêtres doivent être idoines et non empêchés par le droit ». Pourtant, rien n’empêcherait ces mêmes autorités de donner aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X une juridiction ordinaire et, ainsi, de les rendre pleinement « idoines » même selon la pure lettre du droit canonique.
Importance objective du Motu proprio
La Fraternité Saint-Pie X n’est cependant pas l’Église ; et si la Fraternité Saint-Pie X n’entre pas dans le cadre du Motu proprio, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, celui-ci répond substantiellement à la requête posée par elle d’une liberté liturgique reconnue à tous.
C’est pourquoi la Fraternité Saint-Pie X se réjouit du fait que, grâce au Motu proprio, de plus en plus de prêtres puissent célébrer selon le Missel traditionnel, de plus en plus de fidèles puissent bénéficier de ces célébrations. Et donc, tout ce qui rendra plus facile, plus pérenne, plus large, plus universelle la liberté reconnue par le Motu proprio est accueilli avec faveur par la Fraternité Saint-Pie X. Car chaque fois que le Missel traditionnel regagne du terrain, c’est le rayonnement spirituel, apostolique et missionnaire de l’Église qui grandit.
Jugement de la Fraternité Saint-Pie X sur la récente Instruction
C’est donc dans un esprit positif que nous recevons l’instruction Universæ Ecclesiæ. Elle nous semble « en substance » fortifier, consolider, enraciner la doctrine du Motu proprio, donc la liberté du Missel traditionnel, et en ce sens elle mérite d’être considérée comme un heureux progrès.
La plupart des points de cette Instruction donnent du poids au Motu proprio en son principe essentiel, à savoir la valeur et la liberté du Missel traditionnel. Ce Motu proprio, dit l’Instruction, est une loi universelle pour l’Église (a. 2), un acte du magistère du Pontife romain et de son munus propre (a. 8). Le Missel traditionnel doit être conservé avec l’honneur qui lui est dû (a. 6), comme un trésor précieux (a. 8) qui doit être accessible à tous les fidèles, et même garanti et assuré réellement (a. 8), et notamment par l’évêque diocésain qui prendra les mesures nécessaires en ce sens (a. 14), en accord avec la mens du Pontife romain exprimée clairement dans le Motu proprio (a. 13).
La Commission Ecclesia Dei est munie par le Souverain Pontife des pouvoirs ordinaires pour veiller à l’application du Motu proprio, pouvant désormais produire des décrets et des textes, veiller à l’édition des textes liturgiques traditionnels et recevoir des recours juridiques (a. 9-11).
Le groupe de fidèles n’a pas de nombre fixé, il peut être assez petit, de paroisses voire de diocèses différents ; les lieux de pèlerinage doivent offrir la possibilité du rite traditionnel (a. 15-18).
Les Ordinaires doivent offrir aux prêtres, mais aussi aux séminaristes, la possibilité d’apprendre à célébrer le rite traditionnel (a. 21). La question du Triduum pascal, qui n’avait pas bien été comprise, est précisée de façon compréhensible par tous, et de plus il est signalé que les offices de ces jours peuvent être répétés, au profit du rite traditionnel (a. 33). Les ordres religieux bénéficiant de livres liturgiques traditionnels propres peuvent les utiliser (a. 34), ce qui ouvre la voie à reconnaître demain les rites traditionnels locaux, tel le rite lyonnais. Etc.
Vers un droit canonique en partie spécifique ?
L’article 30 est intéressant en ce qu’il témoigne d’une collision entre les rites traditionnels et le nouveau droit canonique de 1983 qui a pris certaines options incompatibles : ici, entre des rites liturgiques (les quatre ordres mineurs et le sous-diaconat) représentant clairement un déploiement du sacrement de l’ordre et un droit canonique qui ne connaît l’entrée en cléricature que par le diaconat.
On retrouve le même genre de difficulté avec l’article 31 sur le Pontifical traditionnel pour les ordinations diocésaines : des indults vont sans doute être demandés par certains évêques lorsque le futur prêtre se prépare à exercer un ministère lié au moins en partie au rite traditionnel.
Il est probable que d’autres difficultés de ce genre apparaissent, et que naisse ainsi progressivement un droit canonique partiellement propre au rite traditionnel.
Le fameux article 19
Dans l’Instruction, un article a spécialement retenu l’attention de certains : c’est l’article 19.
Celui-ci affirme que « les fidèles qui demandent la célébration de la forme extraordinaire ne doivent jamais venir en aide ou appartenir à des groupes qui nient (quæ impugnent, dit le latin, qui « combattent », qui « attaquent avec agressivité ») la validité ou la légitimité de la sainte messe ou des sacrements célébrés selon la forme ordinaire, ou qui s’opposent au Pontife romain comme Pasteur suprême de l’Église universelle ».
Avec sa bonne foi ordinaire, sa charité vigilante et son célèbre esprit d’ouverture, La Croix du 16 mai 2011 décrète souverainement que cet article 19 est « le point essentiel » de l’Instruction. Ce qui lui permet de redire à deux reprises, dans un fort court article, que cette Instruction est dirigée principalement contre les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, et d’affirmer péremptoirement, du haut d’une science canonique fraîchement acquise, que lesdits prêtres sont « toujours suspens ».
Rappelons simplement sur ce point que la Fraternité Saint-Pie X a toujours et publiquement reconnu la validité des sacrements célébrés authentiquement selon les livres liturgiques postconciliaires, ainsi que la légitimité du pape régnant. L’acte du 21 janvier 2009 concernant les « excommunications » des évêques auxiliaires de la Fraternité Saint-Pie X n’aurait évidemment jamais été accompli par le Siège apostolique si celui-ci n’avait pas eu une certitude sur ce point.
D’un document administratif à une politique courageuse La difficulté de l’instruction Universæ Ecclesiæ est celle de tous les documents romains de rappel à l’ordre, depuis quarante ans : aura-t-elle un effet ? Ou, autrement : au-delà d’un document administratif, verrons-nous une politique courageuse, cohérente et persévérante en poursuivre l’application ? Même si nous n’en sommes pas absolument certains, c’est pourtant ce qu’il faut désirer et espérer pour le bien de toute l’Église.