27 février 2013

[Paix Liturgique] Vers un nouveau pontificat: la réalité incontournable de la liturgie traditionnelle

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°376 - 26 février 2013

Dans les jours qui viennent vont se tenir les congrégations cardinalices qui préparent le conclave. Les cardinaux vont notamment y dresser un bilan de l’état de l’Église. Déjà, en 2005, au moment de l'élection de Joseph Ratzinger, avait pesé la situation préoccupante de l'Église, en particulier en Europe. Le futur Benoît XVI était allé jusqu'à évoquer « une barque qui prend l’eau de toutes parts » lors des méditations du chemin de croix au Colisée. Que dire aujourd'hui alors que tous les indicateurs sont au rouge : effectifs (fidèles, prêtres et religieux), finances, doctrine, laïcisme triomphant ?

Huit ans après, c'est encore de Ratzinger que vient le jugement le plus autorisé et instructif : « Dans le champ du Seigneur il y a encore et toujours de l'ivraie » disait-il le 11 octobre 2012 pour les 50 ans de l'ouverture de Vatican II ; avant, lors de sa dernière messe, le mercredi des Cendres, de parler du visage « parfois défiguré » de l'Église, en particulier par les « divisions dans le corps ecclésial ». Benoît XVI ne se contente pas d'évoquer les statistiques mais nous invite – ainsi que, bien entendu, les cardinaux qui s'apprêtent à élire son successeur – à contempler la réalité de l'Église « sainte et composée de pécheurs » (homélie de l'Épiphanie 2008).

Il est évident que le futur pape devra oser affronter l’amenuisement continu de la foi, l’effondrement de la mission, le schisme latent de nombreux théologiens qui ne sont plus catholiques, les divisions et la réalité du péché dans l'Église. Pour ce faire, il devra aussi s'appuyer sur ce qui ‘‘ fonctionne ’’ dans l’Église d’aujourd’hui : les communautés nouvelles, l'essor de l'Église en Asie, l'identité sereinement revendiquée des jeunes prêtres... et la liturgie traditionnelle.

Une partie non négligeable des cardinaux, qui aura son rôle dans les scrutins du conclave pour consolider une majorité ou bloquer une élection, fera valoir que le résultat le plus concret du pontificat qui s’achève est d’avoir esquissé une réconciliation liturgique et mis fin, du moins en théorie, à la fracture née de l'imposition unilatérale et brutale du missel de Paul VI. De nombreux cardinaux savent que les catholiques, attachés (exclusivement ou pas d'ailleurs) à la liturgie traditionnelle représentent désormais une sensibilité notable dans le paysage ecclésial, en Europe mais aussi aux Amériques. Ils savent ainsi qu'en France, près d'un séminariste sur cinq aspire à la forme extraordinaire et que de nombreux autres envisagent de pouvoir célébrer l'une ou l'autre forme du rite romain. Ils connaissent la ‘‘ fécondité ’’ vocationnelle des familles de tradition, le dynamisme de leurs écoles – quand l'enseignement diocésain est souvent en crise –, le zèle pastoral des prêtres traditionnels et la vitalité des œuvres de jeunesse qu'ils animent, etc.

Par son Motu Proprio Summorum Pontificum, Benoît XVI a consacré l’existence vivante, croissante, agissante du monde ‘‘ extraordinaire ’’. Et de nombreux cardinaux, même s'ils n'ont pas forcément de sensibilité traditionnelle affirmée, ont conscience de ce phénomène. Aussi vont-ils faire valoir devant leurs confrères l’aspiration qu’a parfaitement exprimée le cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation du Culte divin, le 3 novembre 2012, lors de la messe du pèlerinage Summorum Pontificum à Saint-Pierre de Rome : à savoir qu’il convient que cette manière de célébrer selon le missel de Jean XXIII soit désormais vraiment et totalement considérée comme « normale », y compris pour guérir la liturgie conciliaire des abus qui la caractérisent.

Le fait que tous, partout, puissent pacifiquement participer à des cérémonies selon l’usus antiquior, ne peut que contribuer largement, harmonieusement, à la prière commune du peuple chrétien et à « l’enrichissement réciproque » de l’ancienne forme du rite et de la nouvelle en « notre époque d'éclipse du sens du sacré », selon les termes de Benoît XVI lors de l'audience du 13 février, au surlendemain de sa renonciation au Siège de Pierre.
UN LIVRE DE L'ABBÉ AULAGNIER
Cette réflexion préliminaire rejoint parfaitement le propos de l'excellent petit livre écrit l'été dernier par l’abbé Paul Aulagnier : La réforme liturgique de Benoît XVI, État des lieux (Éditions Godefroy de Bouillon, 124 p., 12€). L'auteur y décrit de manière extrêmement pédagogique ce qui restera en effet la marque essentielle du pontificat de Benoît XVI : la tentative de restauration liturgique, au moyen de l’invitation, de l’exemple, de la sollicitation à aller dans un sens de resacralisation d’un culte qui s’était « mondanisé ».

L’abbé Aulagnier établit ainsi la nouveauté de la législation de Summorum Pontificum, qui a retourné l’interdiction de fait qui s’était abattue sur la messe traditionnelle, et qui a fait long feu en raison de ce que l’auteur appelle « la mâle réaction des catholiques » depuis la réforme de Paul VI, et dont il rappelle, une à une, les étapes. Jusqu’à ce que le Missel tridentin, sous le nom de « forme extraordinaire du rite romain », soit déclaré en 2007, par Benoît XVI, n’avoir été « jamais abrogé ». « C’est un droit, écrit l'abbé Aulagnier, purement et simplement affirmé en faveur de la messe tridentine. Ce n’est plus une “ concession ”. Ce n’est plus un “ privilège ”. C’est un droit. […] Ce droit vaut pour tout prêtre diocésain, pour tout prêtre religieux, pour tous les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique de droit pontifical. »

S’appuyant spécialement sur les écrits de Mgr Klaus Gamber, confrère aux facultés catholiques de Ratisbonne du professeur Joseph Ratzinger, l’abbé Aulagnier insiste sur le fait que les « deux rites » (lapsus ?) doivent rester bien distincts ou, plus précisément, que la forme extraordinaire ne doit pas être abâtardie, si l’on veut qu’elle « enrichisse » véritablement la forme ordinaire, laquelle pourrait s’enrichir de préfaces ad libitum, et de célébrations de nouveaux saints sous forme de commémorations.

Outre les rappels, dates, précisions qu’a rassemblés l’abbé Aulagnier de manière très synthétique, la visée de son ouvrage peut se résumer ainsi :

– la messe traditionnelle fait désormais à nouveau intégralement partie du paysage liturgique et cela ira croissant ;

– la messe nouvelle doit être « améliorée » (Mgr Gamber), si elle veut perdurer.

L'auteur rapporte – c’est un autre avantage de son ouvrage – les critiques théologiques de fond qui ont été faites depuis le premier jour à l’encontre de la réforme. Sur le plan liturgique, estime-t-il, « deux mondes s’affrontent ». Cette confrontation est désormais pacifique, grâce à Benoît XVI, mais elle demeure bel et bien. Il cite l’abbé Barthe : « Tout a contribué à faire (bien gauchement d’ailleurs) du culte divin une sorte de théâtralité accordée à la modernité, et donc à faire que la dramaturgie liturgique cesse largement d’être une réprobation de ce monde. […] On a ainsi concédé à la société moderne une atténuation de ce qu’il n’est plus en mesure d’entendre : la valeur de la messe comme Sacrifice offert pour les péchés. »

Ottaviani, Gamber, Dulac, Madiran, et bien d’autres : l’abbé Paul Aulagnier fait défiler la procession de « la mâle réaction », comme il la qualifie à deux reprises. Et puis vint Joseph Ratzinger le pacificateur. Sur lequel renchérit Mgr Athanasius Schneider. L’ouvrage s’achève en effet par le commentaire des propositions de Mgr Schneider (voir notre lettre 249 et suivantes), et spécialement de celle qui entend réintroduire dans le novus ordo les prières sacrificielles de l’offertoire traditionnel, que l’on retrouve sous des formes équivalentes dans tous les rites orientaux, en lieu et place de l’indigente « présentation des dons ». Ce serait le principal enrichissement que la forme traditionnelle devenue « archétype », selon l'abbé Aulagnier, pourrait apporter à la forme nouvelle en la transformant ainsi de l’intérieur.

Et l'abbé Aulagnier de résumer : « Voilà ! Tout est dit et bien dit. Voilà l’état des lieux de la vie liturgique dans l’Église. Il me semble fidèle à la réalité. Il constate le travail fait : il est admirable. C’est le droit de la messe tridentine aujourd’hui reconnu par Benoît XVI. C’est la reconnaissance du bien de cette messe tridentine comme étant l’archétype de toute réforme liturgique. Qui l’aurait affirmé hier ? Il contemple le travail à faire. La réforme de la réforme de Paul VI. La tâche est immense et difficile. Elle demande la collaboration de tous, in sinu Ecclesiae. »
LE PEUPLE SUMMORUM PONTIFICUM TOUJOURS PLUS PRÉSENT
La messe traditionnelle fait désormais partie du paysage ecclésial. Nous voudrions à ce propos signaler un article de Christophe Saint-Placide, du 22 février 2013, dans le blog de Riposte catholique, Summorum Pontificum. Saint-Placide, se désolant de l’échec de la reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X qui aurait pu être la conclusion du règne de Benoît XVI, achève par une considération sur l’avenir de ce que nous appelons pour notre part le peuple Summorum Pontificum, considération avec laquelle nous sommes parfaitement en consonance :

« La Commission Ecclesia Dei a fini par jeter l’éponge : “ Nous n’attendons pas de réponse ; le futur pape verra ce qu’il veut faire ”. Quand il en aura le loisir. Et s’il en a l’envie. Au lieu donc que le pontificat de Benoît XVI, le pontificat du Motu Proprio Summorum Pontificum, s’achève par un acte qui l’aurait qualifié pour toujours : l’érection de la Prélature Saint-Pie X, on a donc une énième remise aux calendes. […] Sauf que la tradition fera en sorte d’être toujours plus présente par toute la force morale que lui donne désormais le droit de cité rendu à la liturgie tridentine. Dieu, qui tire toujours du mal (ou du non-bien) un plus grand bien oblige ainsi l’ensemble des prêtres des paroisses ou des communautés, des fidèles du rang, des séminaristes, des religieux attachés à divers degrés à ce critère loi de la prière/loi de la foi de l’usus antiquior, et à tout ce qu’il entraîne avec lui, catéchisme, vocations, mission, éducation chrétienne, à participer de toutes leurs forces à la préparation de l’avenir de l’Église cum Petro. »

Nous ne sommes pas devins et nous ignorons ce que seront les actes du prochain pontificat en matière liturgique. Mais logiquement, pour correspondre pastoralement à la vigueur catholique que représente la messe traditionnelle et donner tout l’espace nécessaire à tous ceux qui y sont attachés, un élargissement, c'est-à-dire une normalisation plus grande de la célébration publique de cette messe devrait intervenir. Afin qu’il n’y ait, pour la célébration paroissiale de cette Messe, d’autres conditions que celles normalement requises pour toute célébration publique de la Messe, dans les paroisses, dans les cathédrales, dans les diocèses, dans les séminaires.

C’est ce que nous souhaitons et c’est ce qui arrivera tôt ou tard dans les faits : que tout curé, tout évêque, tout supérieur de séminaire, tout supérieur religieux, qui sait qu’une partie de ses sujets désirent avoir accès à cet héritage, de lui-même et/ou par l’invitation d’un renforcement des dispositions du Motu Proprio, les en fassent bénéficier à un rythme qui lui paraîtra pastoralement convenable, dans son église paroissiale, dans sa cathédrale, dans la chapelle de son séminaire, dans son église religieuse, sans qu’il y ait lieu de constituer des « groupes » formels, de faire de lourdes demandes administratives, d’introduire une cascades de recours juridiques.

Pacifiquement, normalement, de même que des fidèles de langues particulières qui ont émigré dans un pays étranger bénéficient de liturgies dans leurs idiomes respectifs, de même que des séminaristes appartenant à des communautés nouvelles peuvent de plus en plus souvent participer à des cérémonies tenant compte de leurs sensibilités, il sera ainsi extrêmement enrichissant pour la vie ecclésiale que soit établie une situation non seulement juridique, mais d’abord et avant tout pastorale et psychologique qui fera vraiment de la messe traditionnelle une messe « normale ».