4 février 2015

[Paix Liturgique] Au Gabon, l'évangélisation par la tradition liturgique

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 475 - 4 février 2015

« L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par la beauté de la liturgie. » 
Pape François, Evangelii Gaudium, 24.

Les images parlent d’elles-mêmes : en Afrique, le culte divin ne fait pas que diviser les communautés. À Libreville, le chantier de l’église Notre-Dame-de-Lourdes, où se célèbre la liturgie traditionnelle, fait la fierté des habitants, qu’ils soient catholiques ou non.


I – UN CHANTIER SALUÉ PAR LA PRESSE GABONAISE

« Notre-Dame-de-Lourdes, un visage reluisant ».
Article du site Gabon Tribune, 26 janvier 2015 
Avec la finalisation dernièrement de la façade de cette paroisse située au carrefour STFO à Libreville, grâce à un don personnel du président de la république chef de l’État Ali Bongo Ondimba, l’Église catholique a réceptionné un de ses meilleurs édifices pour le culte à Dieu. 
En attendant l’inauguration officielle prévue en août 2015 de la façade de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, située à STFO à Libreville, les responsables de l’Église catholique en tête desquels l’archevêque Mgr Basile Mvé Engone, marquent leur entière satisfaction devant la mue qu’opère chaque jour un peu plus ce lieu du culte érigé en paroisse en 2008. 
L’achèvement des travaux de la façade Notre-Dame-de-Lourdes a été rendu possible grâce à un soutien personnel du président de la république chef de l’État Ali Bongo Ondimba, qui par ce geste a tenu à manifester sa reconnaissance non seulement envers l’église catholique qui comporte des milliers de croyants, mais aussi et surtout pour l’ensemble de la communauté chrétienne du Gabon. 
Il faut relever que cette façade demeure d’une beauté extraordinaire grâce à une architecture classique romaine, et des matériaux fabriqués de manière artisanale au Portugal, les azulejos. Le dessin conçu par l’abbé Willweber intègre parfaitement des motifs de chrétienté bien définis et connus des hommes. Le panneau central représente l’adoration de l’Enfant-Jésus par les rois mages, il est entouré des saints patrons de l’institut, de même que des grands archanges Michel et Raphaël qui semblent surveiller l’entrée de l’église. Le rendez-vous de l’inauguration de cette structure est donc vivement attendu par de nombreux chrétiens du Gabon, et selon les classes qui lient les églises catholiques d’Afrique, de fortes délégations étrangères sont attendues à cette rencontre.

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


1) Né de prêtres français formés dans le diocèse de Gênes, l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (ICRSP) doit, dans les faits, sa naissance à l’Afrique. C’est en effet Mgr Obamba, évêque de Mouila, au Gabon, qui permit l’érection canonique de l’institut en 1990 avant que celui-ci ne soit accueilli dans le diocèse de Florence quelques mois plus tard. Les liens de l’ICRSP avec le Gabon sont donc déjà anciens quand, en 2008, l’archevêque de Libreville décide d’ériger la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes et de la confier à l’Institut du Christ-Roi pour y célébrer selon les livres liturgiques en vigueur en 1962, comme permis par le Motu Proprio Summorum Pontificum. Dès 2009, le succès de la paroisse incite l’ICRSP à lancer le projet de la construction d’une église adaptée aux besoins de la communauté sans cesse grandissante. On remarquera qu’il ne s’agit pas d’une « paroisse personnelle » vouée à la forme extraordinaire, mais d’une paroisse territoriale ordinaire vouée à la forme extraordinaire, comme pouvaient l’être, en Europe, la poignée de paroisses dont les curés avaient conservé la liturgie traditionnelle après le Concile.

2) Quand, en Europe, les rares nouvelles églises qui se construisent ont des allures de centre commercial ou de centre sportif, l’ICRSP a choisi d’édifier à Libreville non pas « un "pieux hangar" sans goût ni beauté, mais une véritable église digne de la liturgie solennelle que nous célébrons », expliquait Mgr Schmitz, vicaire général de l’institut, dans les colonnes de la revue mensuelle La Nef, en mars 2014. De fait, les concepteurs ont choisi d’imiter les édifices religieux portugais dont les façades s’ornent d’azulejos (carreaux de faïence décorés de bleu, [azul]). Un des modèles de l’église Notre-Dame-de-Lourdes pourrait être la fameuse « chapelle des âmes » de Porto, dont les azulejos peints au siècle dernier, imitent les azulejos portugais du 18ème siècle. Ce parti pris, loin de choquer la population locale, fait au contraire l’unanimité : les nombreux articles publiés au lendemain de l’achèvement de la façade soulignent tous la beauté « extraordinaire » de cette façade en azulejos et le communiqué de la présidence de la république va jusqu’à parler de « chef-d’œuvre architectural ». L’édifice flatte la fierté des Gabonais : « de nombreux fidèles du quartier et de toute la ville qui apprécient particulièrement la beauté de la liturgie latine et le chant grégorien » y affluent, dit ce même communiqué enthousiaste.

3) 50 ans après le « printemps » conciliaire, cette construction de Libreville est une leçon d’inculturation. Sa réception par la population fait penser au succès populaire chez les catholiques africains de la grandiose basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, voulue par le Président Félix Houphouët-Boigny à l'image de Saint-Pierre de Rome. Le choix de la beauté, voire d'un certain éclat, allié à un style traditionnel est mis avec succès au service de l’évangélisation des plus pauvres car le quartier où se dresse la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes n’est pas le plus aisé de Libreville, loin de là. Ce qui devrait faire réfléchir ceux dont le logiciel pastoral demeure bloqué aux années 70. En tout cas, la liturgie célébrée à Notre-Dame-de-Lourdes est totalement et unanimement acceptée. Que ceux qui ne jurent que par l’inculturation aillent consulter le site de l’association JMA – Jeunes Missionnaires en Afrique – qui supporte l’action des prêtres de l’ICRSP à Libreville ou sur la page Facebook ICRSP Gabon : ils jugeront par eux-mêmes si la liturgie latine et grégorienne est ou non un obstacle à l’évangélisation, joyeuse de surcroît...

4) Enfin, dans un moment particulièrement confus de notre histoire, l’achèvement de la façade de l’église de Libreville est aussi un signe tangible de paix. Qu’un président africain musulman revendique le financement d’un lieu de culte catholique au moment où des milliers de chrétiens sont massacrés au nom de l’islam non loin de là est éminemment appréciable ! C’est, par ailleurs, une leçon donnée à notre laïcité française plus qu’étroite. Surtout quand le président explique que son geste se veut « non seulement un acte de reconnaissance envers [une] jeune communauté qui œuvre depuis 25 ans dans notre pays, mais aussi plus largement une appréciation de toute l’action de l’Église catholique au Gabon » (communiqué de la présidence du 20 janvier). La liturgie catholique traditionnelle comme occasion de dialogue interculturel, interethnique et interreligieux ? Pourquoi pas !