29 janvier 2017

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] L'acte du pardon

SOURCE - Le Seignadou - février 2017 

J’ai enfin reçu une lettre de contradiction ! Je croyais qu’elle était personnelle, mais voilà qu’elle a été publiée sur le « net », et donc je n’y répondrai pas…et ce, d’autant plus qu’elle est une suite de reproches sans véritables arguments : je suis un Judas, mais je ne sais pas pourquoi ! Donc, nous ferons une pause dans nos considérations sur l’actualité pour revenir à des choses plus « éternelles ». Et qu’y a-t-il de plus éternel que la charité, devenue miséricorde depuis le péché. Et puisque l’année de la miséricorde conciliaire est enfin derrière nous, il peut être bon d’en parler selon les données de l’Evangile, et non selon des sentiments dévoyés. L’acte moral le plus difficile est sans doute celui du pardon, et pourtant, c’est sans doute le plus nécessaire de façon quasi quotidienne. La patience, par exemple, n’est-elle pas un pardon immédiat, spontané…?

La plus belle histoire, car elle est vraie, est peut-être celle d’Alessandro, l’assassin de Ste Maria Goretti, le 5 juillet 1902. 
Avant de mourir, deux grandes grâces sont accordées à Maria Goretti: elle est inscrite dans la "Congrégation des enfants de Marie", et on en dépose la médaille sur sa poitrine haletante. La seconde grâce, c'est la Sainte communion avec l'Extrême Onction. Avant de lui donner l'hostie, le prêtre demande à la victime si elle pardonne à son agresseur comme Jésus a pardonné sur la croix à ses bourreaux. Surmontant un mouvement de répulsion, elle déclare: "Oui, pour l'amour de Jésus je pardonne. Je veux qu'il vienne lui aussi avec moi au Paradis. Que Dieu lui pardonne, car moi je lui ai déjà pardonné." Puis vient l'agonie. Elle meurt le 6 juillet à 3 heures de l'après-midi, premier samedi du mois.
Nous allons voir maintenant Assunta, la maman de Maria, compléter en son cœur de chair ce qui manquait à la Passion de Maria. Et ce sont ces deux âmes n’en faisant plus qu’une qui opéreront le miracle de la conversion d’Alessandro. 
Ce fut d’abord le pardon prononcé dans la salle d’audience, au terme du procès:
«En ce qui me concerne, Monsieur le président, je lui pardonne du fond du cœur.»
Mais il fallut encore qu’Assunta impose ce pardon à la foule exaspérée:
«Et alors, si Jésus-Christ ne vous pardonnait pas non plus?»
Quant à Alessandro, l’assassin, il ne manifeste aucun repentir. Il est condamné à 30 ans de travaux forcés. Il est dans une prison en Sicile. Après un an, Mgr Blandini, l'évêque du lieu, vient le visiter. Le gardien lui dit: "Vous perdez votre temps. C'est un dur, vous verrez!" Effectivement, il est mal reçu, mais quand il lui parle de Maria et de son pardon, Alessandro se met à pleurer et il écrit une lettre de pardon à l'évêque.
Une nuit, en 1910, Maria lui apparaît en songe. Lui-même a raconté le fait: «Je me voyais dans un jardin plein de lys blancs. Je vis apparaitre Marietta, belle et vêtue de blanc, qui commença à cueillir des lis et à les déposer dans mes bras, souriant comme un ange, jusqu'à ce que mes bras fussent chargés. Bientôt, cependant, je me rendis compte que les lis que je tenais se transformaient en torches. Marietta me sourit de nouveau et disparut. Je me réveillai en sursaut, et je me dis : maintenant je suis sauvé parce que j'ai la certitude que Marietta est venue me voir et m'a accordé son pardon. À partir de ce jour, je ne me sentis plus l'horreur d'auparavant dans ma vie. »
Alessandro est libéré plus tôt, pour bonne conduite, après 27 ans de détention tout de même. Et c’est Assunta, qui nous raconte la visite qu’il lui fit pour la Noël 1934 :
«Un jour, au cœur de l’hiver 1934, on le vit tourner dans les rues du pays, s’asseoir en solitaire sur le petit mur qui entourait le parvis de Saint-Augustin, puis venir à la cure de l’archiprêtre et toquer à la porte. J’allais ouvrir : c’était lui.»
 Le cœur miséricordieux d'Assunta s'était laissé toucher...
 -  Assunta, dit-il, les yeux baissés, me reconnaissez-vous?
 -  Oui, mon enfant.
 -  Me pardonnez-vous ?
 - Mon fils, Dieu t’a pardonné, Marietta t’a pardonné... comment ne te pardonnerais-je pas à mon tour? je te pardonne, moi aussi !...»
 «Et je lui entourai le cou de mes bras...
 «Une fois monté dans la maison, il demanda pardon aussi à mes enfants. C’était Noël. Nous allâmes recevoir la Communion ensemble, l’un à côté de l’autre.»
 «J’étais heureux, dira Alessandro, il me semblait, après tant de temps écoulé, avoir retrouvé ici sur terre l’affection de ma pauvre maman.»
Par la suite Alessandro entre comme jardinier chez les Franciscains. Et c'est sous l'habit de religieux tertiaire franciscain qu'en 1947 il participe à la béatification de Maria, aux côtés d'Assunta et de la famille. Et de même pour la canonisation le 24 juin 1950. Retiré au couvent de Macerata où il passa le reste de sa vie au service des moines, il y mourut le 6 mai 1970, à l'âge de 88 ans, après avoir rédigé un testament dont nous parlerons une autre fois.

Alessandro était-il excusable? Certainement non: Il entretenait son désir mauvais depuis longtemps… il avait prémédité son geste, etc.… on ne peut lui trouver aucune excuse !

Mais c’est précisément lorsqu’une faute n’est pas excusable qu’elle est pardonnable. On ne peut pas excuser le péché… mais on peut pardonner. Et c’est précisément celui qui n’a pas d’excuse qui a besoin du pardon.

Pardonner, ce n’est ni minimiser ni effacer ce qui a été fait ! Jésus le montre bien face à la femme adultère : il ne lui dit pas qu’elle n’a rien fait de mal et ne lui cherche pas non plus des excuses ; il lui dit « Va et ne pèche plus. » Ce que Jésus nomme péché n’est ni une faute contre sa propre conscience, ni une faute contre la loi – il peut y avoir des lois qui ne sont pas justes – mais c’est ce que Padre Pio nommera « une trahison de l’amour ».  Pardonner, c’est aller au-delà, c’est trouver le moyen de vivre avec le mal qui a été fait en le dépassant.

On croit souvent aussi que pardonner signifie se réconcilier avec l’offenseur…

Non, on peut vouloir pardonner sans pouvoir se réconcilier, ne serait-ce que parce qu’il faut être deux pour cela. Quand l’offenseur reste dans le déni et ne reconnaît pas ses actes, il n’y a pas de réconciliation possible, mais le pardon peut être donné par l’offensé. Ainsi, Jésus n’est pas mort réconcilié avec les autorités juives qui l’avaient condamné à mort, mais il leur avait pardonné.

Le P. de Chivré, quant à lui, analyse la chose en termes très simples et très humains pour nous aider à vivre cette miséricorde dans notre vie quotidienne. 
Un homme hésite à pardonner à son ami dont il a reçu une indiscutable blessure d’amour propre. Ce refus de pardonner se présente à sa raison d‘homme comme une justice légitime à l’égard d’une amitié coupable. Il prie. Il en résulte en son jugement une certitude confuse et indéfinissable que cette justice qui sanctionne est une vérité boiteuse et partielle; il s’efforce de maintenir sa décision mais, désormais, elle est accompagnée d’une sourde conviction qu’il agit mal en exerçant ce genre de justice; et d’une conviction, non moins consistante, que la vérité se trouve dans un pardon méritoire. Fortifié par cet état d’âme, il pardonne, à la grande colère de son entourage critique et orgueilleux. Au lieu de s’émouvoir, la calme certitude d’avoir bien agi lui fait affronter avec paix le mécontentement ambiant. L‘ami lui-même n’en revient pas, et pense que leurs relations ne seront plus comme par le passé. L’offensé sent sourdement, avec une certitude inexplicable, qu’il en sera encore mieux que par le passé; et tout se réalise ainsi.
Le Don de Conseil a mené le jeu à contre-courant de l’orgueil, de la rancune, des convictions mondaines et de la logique naturelle en créant un état d’âme de certitude, au cours des différentes phases de la crise.
Toute crise est un ébranlement, et tout ébranlement appelle la Certitude de l’Esprit d’Amour pour ne pas devenir une catastrophe. Admirable réédition du “noli timere” de Jésus, le “n’ayez donc pas peur” écrit lentement dans nos réflexions priantes par le Conseil qui n’a jamais trompé et que personne n’a jamais pu prendre en défaut.
«Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé!»
ANNEXE
( Jésus, Roi d’Amour. Ch. IV. P. Mateo.)  
Ecoutez maintenant une belle histoire ou légende :
Dans une église d'Espagne, on vénère un crucifix ancien, dont le bras droit, décloué, est abaissé. Ce crucifix a une histoire, la voici:
A ses pieds, un jour, un grand pécheur se confessait et donnait des marques de contrition sincère. Cependant, au moment de l'absoudre, le confesseur hésitait.., si grandes, si nombreuses étaient ses fautes! Le pécheur implorait son pardon: «Je vous absous, dit le prêtre, mais ne retombez pas, » Le pénitent promit, et se retira.
Il demeura assez longtemps fidèle à sa promesse, mais il était faible, il retomba,
Le repentir cependant le ramena aux pieds du confesseur: «Pas d'absolution, cette fois », dit celui-ci, et le pénitent de répondre: «Je me repens, j'étais sincère quand j'ai promis; je suis un convalescent, je suis faible; pardon, pardon!» Et le confesseur pardonna, ajoutant: «C'est la dernière fois!»
Un temps plus long s'écoula. Mais l'habitude d'une part, la faiblesse de l'autre, le pécheur retomba: «Cette fois, c'est fini, dit le prêtre ; vous retombez toujours, votre repentir n'est pas véritable.  «C'est vrai, mon Père, je retombe parce que je suis faible : je suis sincère, mais je suis malade... je cherche ici la force qui me manque, ayez pitié de moi. Non, il n'y a pas de pardon, pour vous », dit le prêtre, en se levant pour partir...
On entendit alors un sanglot, il partait du crucifix. La poitrine du Christ se soulevait comme dans son agonie; sa main se détacha de la Croix et, l'élevant, Il traça dans l'air sur la tête du coupable, le signe du pardon, tandis qu'une voix disait: «Moi, je te pardonne, tu M'as coûté si cher!»
Je n'ai pas besoin de savoir si c'est une véritable histoire ou simplement une légende, cela m'importe peu. Ce qui me touche, c'est la doctrine, la leçon qui s'en dégage pour tant de «trembleurs», si peu confiants, esclaves et non pas enfants du Père qui est dans le ciel et qui nous livre son Fils pour notre bien.
«Celui qui refuse un pardon demandé semble livrer son prochain au remords, et celui qui pardonne le livre au repentir.» (E. Hello)