13 mars 2019

[Abbé Xavier Beauvais, fsspx - Acampado] En réponse au conflit, la vaillance

SOURCE - Abbé Xavier Beauvais, fsspx - Acampado - mars 2019

La vie de l’homme moderne est un continuel conflit. La cause de ce conflit n’est pas toujours le milieu. Judas qui était entouré du milieu le plus favorable que l’histoire ait connu, mourut dans l’ignominie et la honte. 
     
Ce conflit peut être dû parfois à l’ignorance, ce conflit est dû à la nature humaine. S’il faut trouver la véritable origine du conflit non pas dans l’individu exclusivement mais dans la nature humaine, il convient d’examiner cette nature humaine qui nous est commune à tous. Et là deux faits se détachent. 
     
En premier lieu : l’homme n’est ni ange ni démon. Il est blessé par le péché originel mais pas totalement corrompu. Il n’est pas non plus intrinsèquement divin. L’homme a des tendances au bien qu’il lui est impossible de réaliser complètement par lui-même ; et en même temps une inclination au mal qui le sollicite et le détourne de son idéal. Il ressemble à celui que sa propre stupidité a fait tomber dans un puits. II sait qu’il ne devrait pas y être, mais il ne peut s’en sortir seul. 
     
En second lieu : ce conflit est dû à un abus de la liberté humaine. La nature humaine a, par un acte de choix, perdu cette bonté originelle dont Dieu si bon l’avait dotée Comme le dit saint Augustin : « Quels que nous soyons, nous ne sommes pas ce que nous devrions être ». Jusqu’à la fin du temps, quelque part dans l’univers de Dieu, il y aura une rupture de l’harmonie, introduite par la libre volonté de l’homme. A l’origine les passions de l’homme étaient guidées par la raison et l’homme était épris de l’amour qui est Dieu. 
       
L’homme et la femme étant libres, pouvaient obéir à Dieu. Ils pouvaient aussi lui désobéir. Le diable, par ses suggestions, détruisit leur liberté. 

La femme succomba la première à l’idée que la liberté est licence ou absence de loi ; elle voulut prouver son indépendance, puis elle induisit l’homme à faire de même. De l’un à l’autre, à travers toute la race humaine, cette dissonance originelle se propagea, elle affecta tous les êtres humains, à l’exception de la Très Sainte Vierge Marie. Cette discordance eut ses répercussions même dans l’univers matériel ; la faute originelle comme une eau polluée à sa source porte la souillure sur toute sa longueur, la faute originelle fut transmise à l’humanité. Cette dissonance originelle ne pouvait être arrêtée par l’homme lui-même, car avec son être fini, borné, limité, il ne pouvait réparer une offense contre l’infini. Il avait contracté une dette si grande qu’il était incapable de la payer. Grâce aux mérites anticipés du Fils qu’elle devait porter plus tard, la Très Sainte Vierge était affranchie de la tache du péché originel. 
      
Il convenait que Celui qui est l’innocence même entrât par les portes d’une chair que le péché commun n’avait pas souillée, privilège de l’immaculée Conception. Puisqu’un ange déchu a tenté la première femme pour l’amener à la révolte, c’est par l’entremise d’un ange fidèle, Gabriel, que Dieu consulte Marie, la Nouvelle Eve, et lui demande d’être la Mère du Sauveur. L’ange demande à la Vierge si elle consent à être Mère. On sait qu’elle répondit « qu’il me soit fait selon votre parole ». Et le Verbe s’est fait chair, une chair qui va verser son sang pour notre rédemption, car sans effusion de sang il n’y a pas de rémission des péchés. L’histoire est remplie d’hommes qui ont prétendu venir de Dieu : Bouddha, Mahomet, Confucius, Luther et d’autres. La raison nous affirme que si l’un de ces hommes est vraiment venu de Dieu, le moins que Dieu puisse faire pour soutenir ses titres, c’est d’annoncer à l’avance sa venue. Si Dieu envoyait quelqu’un de sa part ou s’Il venait lui-même apporter un message d’une importance vitale pour tous, il semblerait raisonnable qu’Il fit d’abord savoir aux hommes quand viendrait son messager, où il naîtrait, où il habiterait, quelle doctrine il enseignerait, quels ennemis il se ferait, quel programme il adopterait pour l’avenir, de quelle façon il mourrait. Par la manière dont le messager se conformerait à ces prédictions, on pourrait juger de la validité de ses titres. Or il n’en est rien pour ces faux prophètes, ou prophètes de malheur. De plus la raison nous assure que si Dieu n’agissait pas ainsi, rien n’empêcherait un imposteur d’apparaître dans l’histoire et de dire : « Je viens de Dieu » ou « un ange m’est apparu dans le désert et m’a donné ce message ». En de tels cas, il n’y aurait aucun moyen objectif, historique, de mettre à l’épreuve le messager.
   
Nous devrions nous fixer à sa seule parole et, bien sûr, il pourrait se tromper.
   
Quant à Notre Seigneur Jésus-Christ, à cause des prophéties de l’Ancien Testament on s’attendait à sa venue. C’est à la lumière de leur accomplissement qu’on peut le mieux comprendre les prophéties de l’Ancien Testament. Les antiques prédictions désignaient Jésus et le royaume qu’il a établi. La promesse de Dieu aux patriarches qu’en eux seraient bénies toutes les nations de la terre, la prédiction que la tribu de Juda régnerait sur les autres tribus des Hébreux jusqu’à l’avènement de Celui à qui toutes les nations seraient soumises, la prophétie d’Isaïe touchant le serviteur patient qui offrira sa vie pour les péchés du peuple. Et une fois ces prophéties historiquement accomplies dans la personne du Christ, non seulement toutes les prophéties ont cessé en Israël, mais les sacrifices furent interrompus quand le véritable Agneau Pascal eut été immolé.
     
Un second fait distinctif, c’est que sa venue produisit dans l’histoire en tel choc qu’elle se sépara en deux et se divisa en deux périodes : celle qui précéda et celle qui suivit son avènement.
     
Tout autre individu qui ait jamais paru en ce monde y est venu pour vivre. Notre Seigneur Jésus-Christ y est venu pour mourir. Pour le Christ, la mort fut le but et l’accomplissement de sa vie, le trésor qu’il cherchait. Il est peu de ses paroles ou de ses œuvres qui soient intelligibles sans leur relation à sa croix. Il s’est présenté comme sauveur plutôt que simplement comme docteur. Il n’aurait servi à rien d’enseigner aux hommes la vertu sans leur donner la force d’être vertueux après les avoir arrachés au juste sentiment de culpabilité qu’entraîne le péché. L’histoire de toute vie humaine commence à la naissance et s’achève à la mort. Pour le Christ Jésus on peut dire que sa mort vient d’abord et sa vie en dernier lieu. L’Ecriture le décrit d’ailleurs comme « l’Agneau immolé dès le commencement du monde ». Il fut immolé en intention par le premier péché, la première révolte contre Dieu. Sa naissance nous parle du mystère du gibet de la croix. Il alla de la raison de sa venue manifestée par son nom « Jésus » ou « Sauveur » jusqu’à l’achèvement de l’œuvre par laquelle il est venu, c’est-à-dire sa mort sur la croix.
   
Il y a peu nous fêtions Noël, ce jour où le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous. La terre n’entendit pas, elle dormait. Les hommes n’entendirent pas ce cri « Le Verbe s’est fait chair », ils ignoraient qu’un enfant pouvait être plus grand qu’un homme. Les rois ne l’entendirent pas non plus, ils ne savaient pas qu’un roi pouvait naître dans une étable. Mais les bergers et les rois mages l’entendirent car seuls les très simples et les très savants savent que le cœur de Dieu peut se faire entendre dans le cri d’un enfant. Et ils vinrent avec des présents et l’adorèrent. Si grande était la majesté empreinte sur le front de l’enfant couché devant eux qu’ils ne purent retenir ce cri « Emmanuel, Dieu est avec nous ». De nouveau Dieu se révélait aux hommes. Cette fois, il brillait à travers le prisme de l’Incarnation et apportait la vie divine à la vie humaine. « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance ». Non pas la vie physique qui meurt, mais la vie surnaturelle qui dure jusqu’à la vie éternelle. Il est le Fils du Dieu vivant qui vient nous donner la vie. Alors cette vie divine reçue au baptême, qu’en avons-nous fait ? Elle est ballottée par les eaux du péché, par les vents violents de la tentation. C’est vrai !
   
Il faut bien avouer que l’homme est un peu comme un marin. Il affronte la dure traversée de la vie, son existence est souvent menacée, secouée.
     
Nous espérions une vie calme comme un lac, et voilà les fortes tempêtes, la guerre, la maladie, la mort, l’incompréhension, l’hérésie qui continue à ravager l’Église ; les vagues de souffrance et de découragement passent par-dessus bord provoquant effroi, détresse, lassitude, révolte même chez certains qui ne comprennent pas que Dieu semble parfois dormir. La révolte révèle et montre à tous la tempête qui envahit une âme et cette nouvelle tempête ne viendra pas calmer celle qui nous vient du dehors. Un jour, sainte Thérèse d’Avila avait été terriblement tentée ; il lui semblait être seule et impuissante malgré sa prière. Quand le calme fut revenu dans son âme et qu’elle eut une vision, elle ne put s’empêcher de sa plaindre à Notre-Seigneur : « Vous m’avez délaissée, où étiez-vous Seigneur, alors que mon âme était si violemment portée au mal ? J’étais dans ton cœur lui répondit Notre-Seigneur , je ne t’ai pas quittée un seul instant. » Notre âme est-elle bien exposée à chavirer ? Notre bateau est-il en perdition ? On s’inquiète et on gémit, on ne comprend plus. Il semble que Notre-Seigneur soit insensible, indifférent au danger, apparemment il laisse tout aller. Mais non ! Quelle est la signature de Notre-Seigneur ? « Un grand calme ».
   
Telle est la signature de Notre-Seigneur qui réalise pleinement la promesse de Noël « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté ».
   
Alors Notre-Seigneur se leva, commanda le vent et la mer et il se fit un grand calme. Celui à qui le vent et la mer obéissent saura apaiser toutes les tempêtes que les fidèles ou l’Église doivent traverser au cours de l’histoire. Il saura apaiser tous les drames qui déchirent le cœur des hommes, pourvu qu’avec une foi confiante, ils sachent crier, mais sans lâcheté, et c’est le dernier point que je voudrais aborder. « Chez l’homme prudent la crainte est naturelle dit le poète, mais savoir la vaincre c’est être vaillant ». Que la vaillance soit nécessaire pour une vie chrétienne, nous le savons que trop. Le christianisme n’a pas été inventé pour la vie facile, il comporte une certaine difficulté.
     
Regardez le jeune homme riche, qui était vertueux et que Notre-Seigneur regarde avec tristesse ; il n’a pas voulu suivre Notre-Seigneur par manque de vaillance. Et ainsi se perdent de très nombreuses personnes, jusqu’à nous fatiguer de le constater. Prenez par exemple ces personnes qui se mettent dans des situations irrégulières, qui filent du mauvais coton. Au début il est facile de rompre cela, mais cela devient chaque fois plus difficile jusqu’au jour où l’on n’a plus la vaillance suffisante pour rompre une chaîne qui devient infernale, qui dépasse nos forces. Si encore on reconnaissait la situation et si l’on disait « Je n’ai plus de forces », ce serait encore un moindre mal, mais il arrive quelque chose de pire bien souvent, on s‘invente une justification, ce qu’Aristote appelle « le syllogisme de l’ivrogne » on rationalise comme diraient les psychologues modernes. Beaucoup sont spécialistes en la matière, ceux qui arrangent la religion à leur manière.
   
Il faut donc beaucoup de vaillance pour regarder en face nos erreurs et nos défauts, car nous avons tendance à les occulter. II faut même beaucoup de vaillance pour nous regarder nous-mêmes si enclins à déformer le miroir intérieur.
Seigneur, nous périssons,
donnez-nous cette vaillance.