29 avril 2019

[Chanoine Benoît Merly, icrsp - Appel de Chartres] Le Christ est Roi

SOURCE - Chanoine Benoît Merly, Institut du Christ Roi Souverain Prêtre - L'Appel de Chartres - n°231 - 29 avril 2019

Le 11 décembre 1925, la pape Pie XI publiait l’encyclique Quas primasqui instituait la fête du Christ-Roi. En vérité, la Royauté du Christ n’était pas vraiment une nouveauté, et l’Eglise comme les autres sociétés – la famille et l’Etat ­­–, christianisées, manifestaient dans leurs lois, dans leurs mœurs, dans leur diplomatie, la souveraine domination du Christ, dont le nom signifie précisément « Seigneur ». Cela se nommait : « chrétienté ».

L’hymne de la fête du Christ-Roi le rappelle très opportunément : « [C’est] A vous, que les chefs des nations rendent les honneurs publics ; que vous confessent maîtres et juges, que lois et arts portent votre empreinte. Que, soumis, les insignes des rois brillent, à vous consacrés ; à votre doux sceptre soumets la patrie et les demeures des citoyens. [...] ». Disparue sous les coups de boutoir répétés de l’Ennemi du genre humain, par le biais des idées philosophiques et des révolutions successives qui renversèrent les trônes catholiques les uns après les autres, il fallait, la nature ayant horreur du vide, que l’on remplaçât cette chrétienté par autre chose, dont l’essence était, quelque forme que prît ce succédané, de reléguer la foi au domaine privé, de ne pas la favoriser par l’action de l’Etat, et, moyennant cette « prise en tenaille », s’assurer, à plus ou moins long terme, que le nombre de ceux qui croyaient non seulement au Christ, mais encore au Christ-Roi, s’amenuiserait, voire disparaitrait.

Car, n’en doutons pas, tenir que le Christ est Roi, c’est non seulement affirmer ce que croit l’Eglise, mais encore un des aspects les plus fondamentaux de la lutte que nous menons contre celui qui hait Dieu. Reconnaître la royauté du Christ, c’est corrélativement renoncer à ce qu’un autre souverain exerce sur nous son empire : pas de double nationalité pour un chrétien ! : « Qui n'est pas avec moi est contre moi, et qui n'amasse pas avec moi disperse. » (Mat. XII, 30).

Le Catéchisme de l’Eglise catholique enseigne lui-même, au n. 2105 : « Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l’homme individuellement et socialement. C’est là "la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ ". »

Beaucoup, aujourd’hui, oublient cet enseignement, pourtant maintes fois réaffirmé : on ne peut se prétendre chrétien en cantonnant la foi et son expression au domaine privé. On ne peut s’affirmer chrétien en se prétendant « le levain dans la pâte » (Mat. XIII, 31-35), lorsqu’on limite la domination de Dieu sur un pan essentiel de notre existence, la communauté humaine, la vie en société.

Puisque nous parlons de royauté, il convient d’en préciser la nature : pour tout homme, il est une fin commune vers laquelle il doit orienter sa vie. Pour autant, cette orientation ne prend pas toujours, en raison des circonstances, des caractères, des formes identiques. Dans ces conditions, l’homme doit faire appel à sa raison et à sa prudence pour se gouverner lui-même. Puisqu’il convient que l’homme se gouverne lui-même dans sa conduite individuelle, il faut évidemment que cette nécessité de gouvernement se retrouve dans la vie sociale. « Nulle société n’est possible sans un chef qui l’organise et la dirige dans la poursuite de la fin qu’elle se propose. » Chaque individu composant le groupe poursuit, légitimement, des intérêts propres.

Le chef, qui, rien ne l’interdit, peut être en fait constitué de plusieurs individus auxquels l’autorité est dévolue, sera « un chef, un pasteur unique, qui cherche le bien commun de la multitude et non son propre avantage. » Le Christ est donc Roi. Il est roi universel : son dominion ne se limite pas aux baptisés qui croient en lui : il s’étend à tous les hommes de tous les temps, à toutes les créatures, à tous les ordres sociaux, dans l’ordre naturel comme dans l’ordre surnaturel : « D'autre part, ce serait une erreur grossière de refuser au Christ-Homme la souveraineté sur les choses temporelles, quelles qu'elles soient: il tient du Père sur les créatures un droit absolu, lui permettant de disposer à son gré de toutes ces créatures. » Et ce pouvoir royal, le pape le rappelle, le Christ l’exerce non seulement parce qu’il est Dieu, mais également parce qu’il est homme, parce que Dieu lui a donné la puissance : « [...] les anges et les hommes ne doivent pas seulement adorer le Christ comme Dieu, mais aussi obéir et être soumis à l'autorité qu'il possède comme homme ; car, au seul titre de l'union hypostatique, le Christ a pouvoir sur toutes les créatures ». 

Le règne que doit exercer le Christ, vrai Dieu, vrai homme, n’est donc en aucune manière un règne métaphorique, comme hélas, beaucoup le laissent entendre. C’est bien une royauté sociale et à vocation universelle dont il est question. Le Christ s’étant immolé pour le genre humain, il convient « qu’après avoir soumis toutes les créatures à son pouvoir, il procurât à votre immense Majesté un royaume éternel et universel, un royaume de vérité et de vie, un royaume de sainteté et de grâce, un royaume de justice, d’amour et de paix. ». 

C’est pourquoi également le devoir d’évangélisation n’est pas un simple conseil : il faut s’évangéliser soi-même, bien-sûr, mais aussi, par amour, le prochain : parce que l’on veut son bien, il faut agir afin que son âme soit remplie de Dieu et soumise à son joug, qui est« doux et léger ». La société dans laquelle ces âmes évolues doit elle aussi contribuer à cette évangélisation car elle n’existe que par et pour les âmes : la divinisation de l’Etat pratiquée par le marxisme, le fascisme, le nazisme, et aujourd’hui encore dans nos propres pays, ne produit que mort et désolation.

Le pape Jean-Paul II, depuis canonisé, parlait avec justesse de « structures de péchés » : ces sociétés, parce qu’elles sont étrangères à Dieu ne suscitent que l’impossibilité de faire le bien ou d’éviter le mal, ce qui est le B-A, BA de l’action morale. Sauvés par le Christ, élevés à la vie de la grâce, cela ne nous exempte cependant pas de notre fin humaine, « et l’organisation sociale qu’exige cette poursuite demeure requise. » L’ordre temporel, et ses chefs, demeurent à leur place. Mais, l’irruption de la grâce dans le monde doit désormais incliner leur action vers le Christ. Chassant les marchands du Temple, le Christ ne se substitue pas aux chefs légitimes de la société juive.

Cette intervention dans l’ordre temporel n’est que le juste exercice d’une prérogative de la royauté spirituelle du Christ – et il faut dès lors bien comprendre que le caractère spirituel de la royauté n’exclut pas, et même exige parfois, une intervention dans l’ordre temporel, sans que la distinction Cæsaris Cæsari en pâtisse – qui exerce alors une puissance royale temporelle. Saint Thomas, commentant l’épitre aux Hébreux écrivait : « [...] ce règne n’a pas pour but les choses du temps, mais celles de l’éternité (Jn. XVIII, 36) : "Mon royaume n’est pas de ce monde", car si le Christ règne, c’est pour conduire les hommes à la vie éternelle. »

Et de fait, si le Christ possède bien la royauté temporelle en raison de sa royauté spirituelle, il est manifeste, à la lecture des évangiles, qu’il n’a pas souhaité exercer cette puissance temporelle. La royauté du Christ, dans la plénitude de ses pouvoirs et de son exercice comprend ainsi, outre une triple domination ­­– législative, exécutive et judiciaire –, un vrai pouvoir spirituel – l’influx de la grâce – par lesquels le Christ, en vertu de l’union hypostatique, est cause universelle de sanctification. Il est donc roi des individus, mais aussi roi des sociétés humaines, c’est là la fameuse, et trop souvent oubliée, « Royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ».

Chanoine Benoît Merly 
Institut du Christ Roi Souverain Prêtre