20 avril 2010

[Abbé Guillaume de Tanoüarn] L’émission par qui le scandale arrive

SOURCE - abbé Guillaume de Tanoüarn - 20 avril 2010

Les journalistes doivent ils se reconvertir en agents auxiliaires de la morale publique ? C’est cette question que l’on se pose lorsqu’on se trouve devant l’émission Les infiltrés, produite par l’agence capa pour France 2 sous la responsabilité de David Pujadas lui-même.

On sait qu’il y a une crise dans le Métier : crise du papier d’abord, dépassé par l’information virtuelle portée, dans une permanente immédiateté, par Internet. Crise de l’audio-visuel, qu’illustre bien le vide total des programmes, toutes chaînes confondues. Vous comptez encore sur la télé pour vous distraire ? Faites l’expérience, vous verrez… Le sommeil risque de vous saisir avant que vous n’ayez eu le temps de la mener à bien.

Cette crise renvoie évidemment à un diagnostic civilisationnel, car les médias sont à l’image de leur destinataires. Elles reflètent un état de la société. On parle d’« ensauvagement », de décérébration, de lassitude d’être ou comme l’expliquait récemment le philosophe Bruno Pinchard, on invoque la « fin de l’âge de l’esprit ». Nous sommes dans un temps, il faut s’y résoudre, où « l’esprit n’est plus le principe de notre savoir » (in Philosophie à outrance, Cinq essais de métaphysique contemporaine, éd. EME).

Le diagnostic parfaitement gratuit et désintéressé du métaphysicien porte en lui-même des conséquences politiques, éthiques et religieuses dramatiques. Ce ne sont pas elles qui nous intéressent pour l’heure, mais bien les dérives que la fin de l’âge de l’esprit produit dans ce petit monde en crise du journalisme. La télé loisir, emmerdante et ronronnante voit son salut dans la télé réalité. L’information, normalisée par les agences de presse, tente de sortir de son insignifiance en copiant ce procédé de la télé-réalité. Dans la « théâtrocratie » ambiante, rien de tel qu’une caméra cachée pour réveiller les ardeurs du téléspectateur assoupi devant sa télé allumée. Caméra cachée, caméra vérité, voilà enfin de quoi susciter l’intérêt, voilà, pour redresser l’audimat, le viagra des chaînes en panne d’idées!

La précédente émission de la série « Les infiltrés » a concerné la pédophilie. Les journalistes se sont infiltrés dans des réseaux de photos pédophiles sur Internet, et ils ont gentiment dénoncé leurs sources. Hervé Chabalier, le responsable de l’Agence capa, se justifie, sans mollir de cette nouvelle déontologie de la délation dans les colonnes de Libération : « on ne dénonce pas, on signale » des faits. Puis il ajoute que ces hommes [les pédophiles « signalés » à la police par les journalistes] ne sont pas des sources, mais le résultat de l’enquête journalistique. « Quand on sait que des gamins vont être victimes de prédateurs, il n’est pas possible de ne pas empêcher que ça se fasse. C’est la consigne que j’ai donnée. L’autre cas, c’est si on infiltre un réseau terroriste et qu’on apprend qu’une bombe va faire 150 morts dans le métro, je le ferai aussi. Il y a ces deux cas. Nous sommes des journalistes, mais nous sommes avant tout des citoyens ». C’est beau comme de l’antique ! On constate la volonté affichée par Hervé Chabalier de limiter la délation à deux cas très graves : la pédophilie et le terrorisme. Vous vous imaginiez sans doute que l’émission suivante serait consacrée aux terroristes et que des journalistes de l’agence Capa infiltreraient des milieux intégristes musulmans pour montrer comment des Français se retrouvent transformés en terroristes, dans des camps de formation très spéciaux en Afghanistan ou ailleurs.

Pensez-vous! L’émission suivante, le 27 avril prochain, a pour cadre une école catholique traditionaliste à Bordeaux, l’école Saint-Projet. Assurément c’est moins dangereux. L’objectif du journaliste infiltré, Matthieu Maye ? Inciter des enfants à la haine antisémite, non sans les avoir chauffés lui-même au préalable par des provocations qui, bien sûr, n’apparaissent pas dans le document qu’il a extrait de son aventure, mais dont plusieurs se disent aujourd’hui témoins scandalisés. Pour parvenir à ce résultat, le jeune homme et ses commanditaires de Capa et de France 2 n’ont pas lésiné sur les moyens. Il s’est immergé dans le milieu traditionaliste pendant plusieurs mois, il a été demander le baptême à l’église Saint-Eloi, tenue par des prêtres traditionalistes de l’Institut du Bon Pasteur et, avec plus ou moins de succès selon les jours et les « victimes » choisies, il s’est fait embaucher comme pion à l’école Saint-Projet. Et il a filmé…Pendant des jours…

Qu’en reste-t-il ? Assurément un témoignage à charge. Ceux qui ont vu le film, comme notre ami Daniel Hamiche, présent sur le plateau, se disent particulièrement mal à l’aise. Sur les images captées par le provocateur, les enfants en font des tonnes dans un antisémitisme forcé. Est-ce parce qu’ils se sentent loin de tout interdit ? Parce qu’ils veulent mettre le pion dans l’embarras en sortant des choses énormes, obscènes ? Parce que le pion, avec sa chemise boutonnée jusqu’au dernier bouton, fait décidément trop timide et qu’ils veulent se le payer, sans imaginer une seconde que c’est l’inverse qui se passe et que c’est Matthieu Maye qui les a adroitement provoqués ?

Cette manière de « jouer » avec les enfants en se jouant d’eux et en leur faisant dire des choses dont ils ne perçoivent pas bien la gravité relève évidemment d’une forme d’abus mental. Et cette façon d’utiliser les enfants en leur faisant dire ce que soi-disant penserait leur « milieu » d’origine s’apparente à de la surinterprétation, visant à mettre en place une véritable « loi des suspects », qui aujourd’hui comme hier n’a d’autre but que de tuer. Nous ne sommes plus dans l’information, mais dans la manipulation. Tuer qui ? L’école Saint-Projet ? En quoi les 80 élèves de cette petite unité d’enseignement intéressent France 2 ? Le mouvement Dies irae, principal incriminé dans le film, avec quelques clampins qui jouent à se (nous) faire peur en maniant des armes et des mots trop lourds pour eux ? « Ce sont des pieds nickelés » dit Caroline Fourest, présente sur le plateau lors du débat et qui voulait, là comme ailleurs, jouer son rôle de dénicheuse de fachos…

Tuer qui ? L’Institut du Bon Pasteur ? Le traditionalisme catholique ? Par amalgame, le pape qui a eu l’outrecuidance de réhabiliter des évêques dits « intégristes », parmi lesquels l’un d’entre eux responsable de déclarations négationnistes à la télévision suédoise ?

En 1996, le journaliste Gérard Leclerc posait déjà la question : Pourquoi veut-on tuer l’Eglise ? Il me semble que cette question est plus actuelle que jamais… Il y a dans le monde une hyperpuissance du libéralisme consumériste. L’Eglise catholique est l’institution qui a montré qu’elle ne plierait pas, qu’elle ne recevrait pas le matérialisme dans tous ses états comme la source des valeurs. Il faut faire plier cette Eglise-là, il faut tuer en elle toute velléité de résistance, il faut détruire le Pouvoir spirituel qu’elle représente auprès de centaines de millions d’individus – et l’autorité qu’elle retire de cette situation de Monopole. Il faut frapper là où cela lui fait mal en ôtant à cette Institution fondée sur la foi toute crédibilité. Et pour cela, il faut se servir de quelques idiots utiles, provocateurs, nostalgiques d’on ne sait quel « ordre chrétien » ou plutôt d’un ordre noir fantasmatique, en profitant du fait que, pour beaucoup d’entre eux, ils cherchent à faire parler d’eux à tout prix…

L’émission Les infiltrés qui passe le 27 avril prochain sur France 2 aura au moins cet intérêt de stigmatiser ceux qui, dans une sorte de jeunisme éperdu et perdant d’avance, ont préféré leur romantisme personnel à la foi dans son intégrité et sa virginité, cette foi qui, seule, nous rattache au Christ.. Il faut en finir avec les amalgames et avec tous ceux qui peuvent y prêter le flanc. Que le monde nous attaque ? C’est au programme depuis le commencement : « Le monde vous hait, nous dit Notre Seigneur en saint Jean. Si vous étiez du monde, le monde ne vous haïrait pas, mais vous n’êtes pas du monde et c’est pourquoi le monde vous hait ». Ovide, le chantre de l’art d’aimer, avait aussi une petite phrase terrible, réutilisée par saint Augustin : « La vérité engendre la haine ». Si le spectacle de la haine que donne aujourd’hui les ennemis du nom chrétien est fondé sur la détestation du Christ-vérité, il n’y a rien là ni pour nous étonner ni pour nous impressionner. Nous faisons face, avec les armes paradoxales du chrétien, qui sont la douceur et l’humilité et nous savons que la vérité « passera » toujours au dessus de la haine. Mais si tel ou tel met en avant de mauvaises raisons auxquelles la haine publique s’alimente et prend vigueur, il est coupable de dénaturer le Christ, et ce n’est pas une petite culpabilité.

Abbé G. de Tanoüarn