12 mai 2011

[La Croix] Ces prêtres qui apprennent à célébrer selon la forme extraordinaire

SOURCE - La Croix - 12 mai 2011

Le Vatican publie aujourd’hui un texte pour l’interprétation du motu proprio Summorum pontificum de 2007 qui avait libéralisé les messes en rite préconciliaire.

Il prévoit notamment une formation au rite ancien dans les séminaires.

En France, des prêtres ont accepté de se former, sans pour autant tourner le dos à l’esprit de Vatican II


Ordonné en juin 2009, le P. Olivier Foulon célèbre une fois par mois la messe tridentine dans sa paroisse des Hauts-de-Seine. Rien, pourtant, ne prédisposait ce vicaire de 31 ans, élevé dans une famille catholique « ordinaire », entre vie paroissiale et aumônerie, à se plonger dans une liturgie qu’il ne connaissait qu’à travers les récits de ses grands-parents.

« Notre vicaire épiscopal cherchait des prêtres pour célébrer dans les trois lieux affectés à la messe selon la forme extraordinaire dans le diocèse de Nanterre. Je l’ai fait comme un service, avec curiosité », raconte le P. Foulon qui, comme beaucoup de sa génération, dit se sentir étranger aux querelles liturgiques de l’après-Concile.

Heureux d’avoir pu ajouter « une corde à mon arc », il affirme avoir découvert « tout un monde » : « Pour le latin, je me débrouille. Ce sont plutôt tous ces gestes, moments de silence, inclinations et génuflexions qui m’ont demandé de l’investissement. Aujourd’hui encore, je dois répéter avant chaque célébration. »

Aucune formation spécifique n’étant dispensée dans les séminaires diocésains, c’est donc au sein d’un « lieu spécialisé », le monastère Notre-Dame de Triors (Drôme), que le P. Foulon a suivi une formation intensive.

Une cinquantaine de prêtres formés chaque année

Comme lui, ils seraient chaque année une cinquantaine, pour la plupart âgés de moins de 45 ans, à frapper à la porte des abbayes traditionalistes de France : Triors, donc, mais aussi Le Barroux (Vaucluse), Randol (Puy-de-Dôme), Fontgombault (Indre).

Ce phénomène, qui remonte aux années 1980, s’est accéléré en 2007 avec la publication du motu proprio Summorum pontificum, libéralisant l’usage de la forme extraordinaire du rite romain. « Certains prêtres nous sont envoyés par leur évêque, mais la plupart du temps, leur requête relève d’une démarche personnelle et spirituelle », précise Dom Hervé Courau, abbé de Triors.

« Cela a enrichi ma façon de célébrer la messe ordinaire, témoigne un jeune prêtre du diocèse de Versailles. Vatican II a voulu simplifier les rites, pour que le sens des gestes soit mieux compris. Avec le risque parfois de réduire ce mystère à ce que l’intelligence peut en percevoir… Or, cela nous dépasse. C’est ce que j’ai redécouvert à Triors. »

La messe extraordinaire, ce vicaire ne la célèbre pourtant qu’en privé ou lors de retraites. Au quotidien, la forme ordinaire lui semble « favoriser davantage la participation de l’assemblée ».

Les demandes de messe extraordinaire en augmentation depuis 2007

Si les demandes ont augmenté après la publication du motu proprio, elles se sont stabilisées autour de 240 lieux en France. Sans provoquer, donc, de raz de marée liturgique, la messe tridentine semble avoir trouvé son public.

« Beaucoup, parmi les jeunes foyers, s’attachent à cette messe, quel que soit leur milieu », s’étonne le P. Patrick Zago. À 73 ans, cet assomptionniste a réinvesti la messe de son enfance « par souci pastoral » et prête régulièrement main-forte dans le diocèse d’Évry ou à Lourdes, lors du Pèlerinage national. « J’ai été heureux de retrouver certains morceaux de grégorien, le silence sacral pendant la prière eucharistique… Mais je trouve quand même cette célébration très chargée, et la forme ordinaire me semble mettre mieux en évidence la Parole de Dieu. »

Va-t-on, à l’exemple des P. Foulon et Zago, vers une généralisation de cette double compétence ? Certains en rêvent. Dans le diocèse de Lyon, une structure inédite a même été mise en place l’an dernier, la maison Sainte-Blandine, avec l’ambition de former les futures générations de « prêtres motu proprio ».

« Il n’y a ni contradiction, ni rupture entre les deux, plaide son responsable, le P. Laurent Spriet. Apprendre à célébrer selon la forme extraordinaire, ce n’est rien de plus que de vouloir renouer avec ses racines. »

Pas un enjeu prioritaire

Reste que les candidats à Sainte-Blandine se font encore rares : un seul a suivi le cursus à ce jour. C’est que la plupart des prêtres attachés à la forme extraordinaire se trouvent dans les instituts dédiés, et sont peu enclins à célébrer la messe Paul VI (Bon-Pasteur, Christ-Roi…). Tandis que 200 prêtres diocésains seulement sont passés par les abbayes traditionalistes en quatre ans, sur les 14 350 recensés en 2009.

Du reste, les diocèses n’y voient pas un enjeu prioritaire. « Il y a des urgences tellement plus importantes ! estime le P. Pascal-Grégoire Delage, vicaire épiscopal en Charente-Maritime. Oui, quelques chrétiens ont la nostalgie de l’ancienne liturgie, mais nos contemporains sont très loin de cela. Dans un monde souvent chaotique, ils ont surtout besoin d’entendre qu’ils sont aimés de Dieu. »

Par ailleurs, ajoute-t-il, « l’Église n’est pas un supermarché ». Car, derrière ces questions liturgiques, certains redoutent une « Église à la carte » pour les fidèles comme pour les prêtres. Or, « l’enjeu est de savoir si la liturgie peut être choisie en fonction de sa sensibilité ou si on la reçoit de l’Église », pointe un autre formateur, qui préfère rester anonyme.

D’autant que, dans la pratique, la mise en œuvre de ce service liturgique entraîne parfois des tensions. « À la publication du motu proprio, témoigne un jeune prêtre francilien, je voulais être prêt à répondre à la demande de mes paroissiens. Je me suis formé. Sans constater une recrudescence des demandes. En revanche, ma situation est devenue inconfortable : les fidèles attachés à la messe Paul VI n’ont pas compris mon choix et les traditionalistes, eux, guettaient avec suspicion le moindre de mes faux pas ».

Au final, constate-t-il « déçu », son geste de bonne volonté destiné à favoriser l’unité de sa paroisse « n’a fait que créer de nouvelles divisions ».

CÉLINE HOYEAU et FRANCOIS-XAVIER MAIGRE