5 novembre 2010

[Présent - Jean Madiran] Laideurs liturgiques

SOURCE - repris par leforumcatholique.org - Présent n°7215 - 5 novembre 2010

Laideurs liturgiques

La protestation de l’art sacré

Sous un manteau de Noé en l’occurrence injustifié, on ne pourra pas éternellement cacher ce qu’il en est de cette « messe de Paul VI » interminablement évolutive à laquelle un parti dominant dans le clergé reste partialement attaché : cette messe n’est pas seulement un peu moins riche, un peu moins pieuse, un peu moins édifiante que la messe traditionnelle ; elle est défectueuse.

Elle est, nous rappelle l’abbé Claude Barthe, « un appauvrissement de la capacité de médiation de la liturgie chrétienne ».

Ce fut « l’utopie de Paul VI », ce fut un « cercle carré », dit encore l’abbé Barthe dans sa préface à un fulgurant opuscule de Samuel Martin : Esthétique de la nouvelle messe, qui vient de paraître aux Editions Via Romana. La caractéristique de cet ouvrage est d’analyser la liturgie nouvelle dans ses manipulations destructrices de l’art sacré : architecture ; mobilier liturgique ; chants ; traductions en français ; tout ce qui, dans son langage esthétique, s’est mis depuis plus de quarante ans à hurler dans les églises.

Samuel Martin est un artiste : c’est-à-dire en l’occurrence un homme de métier. Peintre et sculpteur, formé dans l’Atelier de la Sainte Espérance au Barroux dirigé par Albert Gérard, pour les classificateurs il relève donc de l’école d’Henri Charlier, dont il demeure actuel, spécialement en matière d’art sacré, de consulter le livre intitulé Le martyre de l’art. « L’art chrétien, disait-il, consiste à montrer Dieu en toutes choses, et non point à manifester ses propres sentiments sur Dieu. »

Le principe, le faux principe qui commande la dégringolade esthétique de la messe nouvelle, nous démontre Samuel Martin, est celui d’une conception erronée de la « participation active des fidèles » :

« Son application exige une église d’un plan spécifique, et le caractère quelconque, voire la laideur de l’autel et du mobilier liturgique, des vêtements sacerdotaux, des textes et des chants (…). La liturgie réformée a pu donner l’impression, dans les débuts, d’être incontrôlée et d’aboutir à n’importe quoi, d’être anarchique, aberrante. En réalité, tout est explicable par ce principe, tout : y compris ce qui semble le plus excentrique. »

Il est vrai aussi que dans une société refusant toute distinction objective entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, la distinction objective entre le beau et le laid ne pouvait pas survivre elle non plus, pas même dans les rites, puisque la révolution liturgique avait l’idée fixe de se mettre au niveau des déficiences profanes de la modernité.

« Plus de quarante ans, c’est beaucoup pour la traversée de ce désert esthétique » de la messe nouvelle ou, disons mieux, des messes nouvelles : la réalité incite à employer plutôt le pluriel, bien que toutes ces messes nouvelles, comme l’explique Samuel Martin, relèvent d’un même esprit. Toutefois il apparaît aujourd’hui que dans un nombre hélas très limité mais croissant de paroisses, le clergé et (ou) les fidèles s’efforcent d’« enrichir » leurs si pauvres messes par un recours à divers éléments tirés du rite traditionnel, selon une suggestion de Benoît XVI. On ne voudrait pas que dans ces paroisses une telle bonne volonté, respectable et apportant sa pierre, se sente contrariée ou choquée par la nécessité corrélative d’une claire analyse des défectuosités dominantes. Mais enfin, observe Yves Daoudal, « si une bonne messe de Paul VI doit ressembler à une messe de saint Pie V, était-ce bien la peine de changer… »

Bref, du point de vue esthétique, la révolution liturgique a été une « irruption du ridicule dans le sacré » : or « quand le sacré est victime du ridicule », explique Samuel Martin, « cela s’appelle un blasphème ».

Car le « non-dit » de la révolution liturgique a bien été le « refus du sacré », et ce refus « s’est exprimé de façon concrète dans l’esthétique ».

Lisez ce livre, il est instructif, il est opportun, il est décisif.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7215 de Présent du Vendredi 5 novembre 2010