11 octobre 2006

Rome s'apprête à libéraliser la messe de saint Pie V
11 octobre 2006 - Isabelle de Gaulmyn - La Croix - la-croix.bayardweb.com
Rome s'apprête à libéraliser la messe de saint Pie V L'information a été confirmée mercredi 11 octobre de source vaticane, mais la publication de cette décision se heurte à de grandes résistances dans la curie
Benoît XVI prépare un document visant à libéraliser la liturgie tridentine, dite « de saint Pie V ». L’information a été confirmée mercredi 11 octobre de source vaticane : il s’agirait d’un indult, sous forme de motu proprio supprimant celui publié en 1988 par Jean-Paul II (Ecclesia Dei adflicta), qui soumettait la célébration du rite préconciliaire à une autorisation expresse de l’évêque du lieu, mais qui était appliqué de façon très restrictive. Avec ce nouveau texte, un prêtre, à son initiative, pourrait librement choisir de célébrer la messe selon l’ancien rite, sauf si l’évêque le lui interdit formellement par écrit.
Le motu proprio donnerait ainsi au rite tridentin le statut inédit de « rite universel extraordinaire », aux côtés du « rite ordinaire » qu’est la messe dite « de Paul VI ». Cette réforme ne concernerait pas seulement la messe elle-même, mais plus largement « les rapports avec les traditionalistes » indique-t-on de même source. Il ne s’agirait pas, en soi, d’un retour à l’ancien rite, mais plutôt de la fin de sa marginalisation.
L’information n’est pas une surprise. On savait, depuis plus d’un an, que Benoît XVI réfléchissait à une telle réforme, qui lui tient à cœur. Le sujet avait été évoqué lors du synode d’octobre 2005 sur l’Eucharistie, puis en mars par le pape lors du consistoire. Benoît XVI a aussi consulté les cardinaux de la curie, l’hiver dernier sur ce thème. C’est le cardinal Dario Castrillon Hoyos, président de la commission Ecclesia Dei, qui a été chargé d’élaborer le texte. L’objectif poursuivi est en effet la réintégration dans l’Église des lefebvristes, qui ont fait de la libéralisation du rite tridentin une des conditions de leur retour.
De ce point de vue, la décision prise le 8 septembre de créer l’Institut du Bon-Pasteur pour d’anciens intégristes français peut être considérée comme une première étape. Comme l’affirme Mgr Malcolm Ranjith, secrétaire de la Congrégation pour le culte divin, dans un entretien à paraître dans le mensuel italien 30 Giorni : « Le fait que le Saint-Siège ait récemment approuvé l’institution à Bordeaux d’une société de vie apostolique de droit pontifical, caractérisée par le fait qu’elle utilise exclusivement les livres de la liturgie préconciliaire, signifie sans aucune équivoque que la messe de saint Pie V ne peut pas être considérée comme abolie par le nouveau missel dit de Paul VI.»
"Des risques pour l'unité de l'Eglise"
Au-delà du souci de faire revenir dans la pleine communion de l’Église les fidèles des mouvements intégristes – souci extrêmement présent chez Benoît XVI et nombre de responsables de la curie –, c’est la conception même que le pape se fait de la liturgie qui semble avoir joué dans l’élaboration de ce motu proprio. Les convictions de Benoît XVI sont connues. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi a ainsi affirmé, dans la préface d’un ouvrage du théologien Uwe Michael Lang intitulé Tournés vers le Seigneur, que le Concile n’avait pas exigé de ne plus célébrer dos au peuple et en latin.
Dans le livre d’entretiens Le Sel de la Terre (1997), le cardinal Ratzinger expliquait que la réforme liturgique, après Vatican II, non seulement avait été appliquée au-delà de la lettre, mais avait aussi donné lieu à des excès. « Je suis d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit pas d’ailleurs ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable.
Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question », ajoutait-il. Une conception du Concile qu’il a réaffirmée comme pape, en décembre 2005, expliquant que Vatican II ne devait pas être compris comme une rupture avec la tradition, mais pensé comme un renouvellement dans la continuité.
Cette libéralisation du rite tridentin rencontre des résistances vives au sein de la curie, jusque dans la Congrégation pour le culte divin où, consultés, certains responsables affirment avoir cherché à amender le texte du futur motu proprio. Plus largement, depuis un an, des cardinaux, et non des moindres, ont discrètement fait savoir au pape leur hostilité. Comme le confie l’un d’eux à La Croix, « nous sommes inquiets devant les risques que pourrait présenter pour l’unité de l’Église la reconnaissance de deux rites ».
"Une Église peut-elle avoir deux rites ?"
Ces prélats font en effet valoir que « jamais il n’a existé en Occident deux rites en même temps, sauf dans des cas historiques hérités du premier millénaire et liés à des contextes géographiques particuliers : rite lyonnais, milanais, ou mozarabe par exemple ». Quant à la liturgie orientale, la reconnaissance de rites propres au sein de l’Église catholique est liée au statut juridique de ces Églises elles-mêmes, qui sont sui generis. Elles ont leur propre droit et traditions.
« Une Église peut-elle avoir deux rites, en fonction de deux appréciations différentes du Concile ? », s’interroge tout haut un adversaire de la réforme en cours de préparation. Car le rite actuel, dit « de Paul VI », est, selon lui, lié au concile Vatican II. La possibilité de dire la messe en rite tridentin serait alors la conséquence d’une acceptation partielle, et non totale de ce Concile, pourtant dit «œcuménique». Or, jamais, dans le passé, « les conciles n’ont donné lieu à des interprétations différentes dans l’Église, celui de Trente, pas plus que celui de Vatican I », fait-il remarquer.
Enfin, certains cardinaux expriment leur crainte que le clergé et l’évêque, sur le terrain, soient désormais soumis à des pressions en faveur d’un rite contre un autre. Ils continuent donc de plaider pour modifier le texte dans un sens beaucoup plus restrictif. La célébration de la messe en rite tridentin pourrait ainsi être soumise à une assistance minimale : 30 voire 100 fidèles. C’est dire que si la sortie du motu proprio est plus que probable, son contenu, lui, fait encore débat.
Isabelle DE GAULMYN, à Rome

Repères : quelques définitions
Motu proprio. Cette expression latine, signifiant « de son propre mouvement », désigne une lettre apostolique écrite par le pape de sa propre initiative et par laquelle il s’adresse à un groupe déterminé de personnes. Il s’agit d’une des sources les plus courantes de la législation de l’Église, en plus du code de droit canonique.
Indult. Venu du latin indultum (« concédé »), ce mot désigne une autorisation spéciale accordée en dérogation de la loi générale de l’Église.
Messe de saint Pie V ou messe tridentine. Il s’agit de la liturgie mise en œuvre à partir du missel promulgué en 1570 par Pie V après le concile de Trente (d’où le qualificatif de « tridentin », lié à cette ville). Elle a connu de nombreux amendements, jusqu’à sa dernière édition, sous Jean XXIII en 1962 (les traditionalistes le désignent donc comme « missel de 1962 »). En 1969, dans le prolongement de Vatican II, Paul VI publia une nouvelle édition du Missel romain en vigueur pour le rite latin. Selon les traditionalistes, la liturgie tridentine exprimerait plus que « la nouvelle messe » la présence du sacrifice de la croix et l’adoration de la présence réelle dans l’Eucharistie. L’expression « messe en latin » est incorrecte en soi, puisque la liturgie de Paul VI peut tout autant être célébrée en latin, qui reste la langue officielle de l’Église catholique latine.