27 mars 2012

[Paix Liturgique] Contestation à l'italienne: un évêque doute de l'avantage patoral et spirituel du Motu Proprio

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°328 - 27 mars 2012

En février 2011, l’évêque de Pavie nous adressait quelques lignes manuscrites courroucées en réaction à la lettre 18 de notre édition italienne qui évoquait les évêques de France, les visites ad limina et le Motu Proprio. Comme le motif de son courroux n’était pas précisé, nous avions rapidement oublié l’incident jusqu’à ce que nos confrères de Riposte catholique ne publient, le 6 février dernier, un article rapportant précisément le jugement de Mgr Giudici, évêque de Pavie, sur le Motu Proprio Summorum Pontificum.
 
En lisant ce texte, nous avons découvert que Mgr Giudici mettait publiquement en doute « l’avantage pastoral et spirituel » que représente le geste du pape, geste en premier lieu de justice et de vérité – la messe traditionnelle n’a jamais été abolie et peut donc être toujours célébrée –, geste en outre profondément pacificateur.

Une attitude qui explique probablement son accès de mauvaise humeur de l’an dernier et qui, surtout, rejoint celle des curés/évêques qui jugent encore la forme extraordinaire du rite romain inadaptée à la situation pastorale qu’ils connaissent, donc malvenue dans leur paroisse/diocèse. Parce que nous sommes au contraire convaincus, avec le Saint Père, des bienfaits du Motu Proprio, nous profitons du texte de Riposte catholique pour répondre à Mgr Giudici.
I – L’ARTICLE DE RIPOSTE CATHOLIQUE
En direct de Jurassic Park : la parole est à l’évêque de Pavie...

Pendant plus de dix ans, Mgr Giudici, actuel évêque de Pavie, a été le vicaire général de l’archidiocèse de Milan, alors gouverné par le cardinal Martini, l’un des derniers dinosaures du progressisme. Ce n’est donc pas un hasard si, dans un entretien récemment publié en Italie, il est présenté comme le plus “ martinien ” des évêques d’Italie.

Au cours de cet entretien, Mgr Giudici enfile les perles du progressisme, de l’œcuménisme à l’inculturation de la liturgie, de la situation des couples de fait à celle des divorcés, sans oublier la nécessité de donner plus d’espace aux laïcs dans l’Église et la critique de la “ ligne Ruini ”, l’ancien Président de la Conférence épiscopale italienne qui avait privilégié l’affirmation des valeurs chrétiennes et du dogme catholique à l’écoute des bruits du monde si chère au cardinal Martini et à son successeur, le cardinal Tettamanzi.

Bien entendu, Mgr Giudici ne se défile pas non plus quand il s’agit de critiquer la réconciliation liturgique voulue par Benoît XVI. Voici donc, en direct du Jurassic Park des prélats de la pastorale de l’enfouissement, quelques lignes pour se rappeler le bon vieux temps du progressisme béat et sûr de lui.
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Q - Avec la libéralisation du missel tridentin, le pape Benoît XVI essaie de réduire le schisme avec les lefebvristes. Partagez-vous l’esprit du Motu Proprio Summorum pontificum de 2007 ?

Mgr Giudici : La lettre adressée par le pape aux évêques nous invitait à une attention et à un accueil majeurs de ceux qui avaient connu l’époque de la messe en latin. Et beaucoup d’entre nous, selon les circonstances, ont offert à ceux qui le demandaient l’opportunité de liturgies selon le missel de Pie V. Mais le Motu Proprio a changé certains aspects de cette demande du pape.

Q - Que s’est-il passé ?

Mgr Giudici : Désormais, en vertu du Motu Proprio, quiconque peut demander de célébrer la messe dans la liturgie de Pie V et chaque prêtre est tenu de répondre positivement à la demande. Cela implique une certaine pression pour des prêtres déjà bien occupés par ailleurs. En outre, il devient possible de célébrer la liturgie de Pâques avec le rite de Pie V dans des paroisses où le Triduum pascal se célèbre déjà avec le missel de Paul VI.

Q - Vous êtes perplexe ?

Mgr Giudici : Je me demande seulement quel sera l’avantage pastoral et spirituel que nous retirerons d’un style de prière qui se ressent de l’individualisme religieux caractéristique de l’époque à laquelle le missel de saint Pie V a été composé, avec le célébrant qui prie en tournant le dos à une assemblée facilement passive durant la liturgie.
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Si besoin est, rappelons :

- que le Motu Proprio Summorum Pontificum est un don pour l’Église universelle comme le proclame l’instruction Universæ Ecclesiæ du 30 avril 2011. Dans la lettre du pape aux évêques du 7 juillet 2007, que cite Mgr Giudici mais qu’il semble avoir lu avec des œillères, Benoît XVI indiquait d’ailleurs très clairement vouloir répondre aussi au désir des « personnes jeunes » qui découvraient cette forme liturgique, « se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement »,

- que le Motu Proprio peut difficilement changer les aspects d’une lettre qui accompagne sa publication mais au contraire permet de mieux la comprendre.

Comment, en outre, ne pas demeurer éberlué en entendant un prélat réduire la célébration du saint sacrifice de la messe – occasion sans cesse renouvelée, pour le célébrant comme pour les fidèles, de rencontrer le Christ dans le mystère eucharistique – à une charge de travail supplémentaire pour un prêtre ? Quant aux avantages pastoraux et spirituels de la liturgie tridentine, des générations de saints, de missionnaires, de pieuses traditions populaires et de trésors artistiques témoignent en leur faveur. Mais Mgr Giudici, qui voit en la Contre-Réforme une période d’ « individualisme religieux » et méconnaît les raisons de la célébration “ ad orientem ” (le prêtre et les fidèles tournés vers Dieu) comme la réalité de la ferveur des fidèles qui y participent, semble incapable de le percevoir.

Nous nous contenterons donc d’inviter « le plus martinien des pasteurs italiens » à relire avec attention la lettre que Benoît XVI lui a effectivement adressée, comme à tous les évêques du monde, le 7 juillet 2007, et à s’arrêter quelques instants sur cette invitation du Saint Père : « Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place. »
II – DE LA BOUCHE MÊME DU PAPE, QUELQUES-UNS DES AVANTAGES PASTORAUX ET SPIRITUELS PERMIS PAR LE MOTU PROPRIO SUMMORUM PONTIFICUM
Il ne s’agit pas, ici, de discuter des avantages réels ou supposés de la forme extraordinaire au regard de la forme ordinaire mais bien d’exposer, à la lumière de l’enseignement du Saint Père, certains des fruits pastoraux et spirituels que sa célébration produit.

1) Une conscience accrue du sens du sacré :

« Bien qu’il y ait de nombreux motifs qui peuvent avoir poussé un grand nombre de fidèles à trouver refuge dans la liturgie traditionnelle, le plus important d’entre eux est qu’ils y trouvent préservée la dignité du sacré », Cardinal Joseph Ratzinger, en visite auprès des évêques chiliens, 13 juillet 1988.

« On constate un retour au mystère, à l’adoration et au sacré, et au caractère cosmique et eschatologique de la liturgie », Conférence du cardinal Ratzinger pour les 10 ans du Motu Proprio Ecclesia Dei, Rome, 24 octobre 1998.

2) La liturgie n’appartient pas aux célébrants :

« À l’époque où le nouveau missel n’avait pas encore paru, mais où l’ancien était déjà traité d’ancien, on n’eut plus conscience [...] que la liturgie n’est elle-même que parce que ceux qui célèbrent ne peuvent en disposer à leur guise », Cardinal Joseph Ratzinger, in La Célébration de la Foi, éditions Téqui, 1981.

3) Une source féconde de vocations :

« Les diverses communautés nées grâce à ce texte pontifical [le Motu Proprio Ecclesia Dei, NDLR] ont donné à l’Église un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses qui, zélées, joyeuses et profondément unies au pape, rendent leur service à l’Évangile dans cette époque de l’histoire, qui est la nôtre. Par eux, beaucoup de fidèles ont été confirmés dans la joie de pouvoir vivre la liturgie, et dans leur amour envers l’Église ou peut-être ils ont retrouvé les deux », Conférence du cardinal Ratzinger pour les 10 ans du Motu Proprio Ecclesia Dei, Rome, 24 octobre 1998.

4) L’unité de l’Église universelle comme des Églises locales :

« La présence de l’ancienne liturgie ne dérange et ne brise pas l’unité de leur diocèse, mais elle est plutôt un don destiné à construire le Corps du Christ, dont nous sommes tous les serviteurs », Conférence du cardinal Ratzinger pour les 10 ans du Motu Proprio Ecclesia Dei, Rome, 24 octobre 1998. 
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
Avant toute autre réflexion, nous devons considérer que répondre à la demande de fidèles qui désirent vivre leur Foi dans leur paroisse au rythme de la forme extraordinaire du rite latin semble être un profit pastoral plus qu'important. Surtout si l'on précise qu'en Italie plus de 50 % des catholiques pratiquants désirent cette évolution (voir le sondage Doxa de 2009). Le profit pastoral s'ajoute heureusement à un acte de justice et de charité d'autant que le Saint Père a rappelé le 7 juillet 2007 dans son Motu Proprio que cette messe n'avait jamais été interdite et que cette forme liturgique était un véritable trésor spirituel et théologique pour l'Église. Donc il va de soi que proposer toujours plus largement cette forme liturgique ne peut aucunement poser de véritables problèmes théologiques, ecclésiaux ou pastoraux pour des pasteurs de bonne foi ayant par-dessus tout le souci de la paix et de la réconciliation des fidèles de leurs diocèses.

1) L’affirmation tranquille par Mgr Giudici de son désaccord avec le pape, même si elle a le mérite de la sincérité que ne cultivent pas beaucoup de ses confrères, est choquante. Au souci de réconciliation et à la recherche de l’unité entre tous les catholiques qui animent le pape, il oppose son refus de reconnaître l’échec patent de la pastorale moderniste et exclut de tenter de dresser un barrage contre la sécularisation. Peu importe le coût pastoral de cette fermeture idéologique : hémorragie continuelle des fidèles, tarissement des vocations, évanouissement du catéchisme...

Dans les faits, l’attitude de nombreux évêques français n’est guère différente de celle de Mgr Giudici. Toutefois, en France, l’opposition épiscopale au pape est moins directe même si, de temps en temps, le naturel revient au galop et a bien du mal à cacher les intentions réelles. La lettre de l’évêque de Nanterre, Mgr Gérard Daucourt, à quelques-uns de ses fidèles progressistes en est un bon exemple : « (…) Il y a quarante - cinquante ans, c'était l'Action catholique qui tenait le haut du pavé de la pastorale de l'Église en France (j'ai été aumônier dans presque tous les mouvements). Aujourd'hui, le balancier est allé de l'autre côté. Je ne suis pas toujours à l'aise avec toutes les nouvelles sensibilités qui s'expriment. (…) Je ne crois pas que nous assistons à " l'enterrement de Vatican II ", même si certains durcissements sont réels. Oui, il y a de la papolâtrie ici ou là. Il faudrait analyser ce phénomène. (…) » Se pose ici une fois encore, en Italie comme en France, la question des nominations épiscopales. Comment mettre en œuvre dans les diocèses une pastorale de pacification avec des maîtres d’œuvre hostiles ?

2) Décalage aussi sur la forme. L’un parle le langage de la charité et de l’intelligence des choses de la liturgie, l’autre celui du mépris vraiment caricatural : « Je me demande seulement quel sera l’avantage pastoral et spirituel que nous retirerons d’un style de prière qui se ressent de l’individualisme religieux caractéristique de l’époque à laquelle le missel de saint Pie V a été composé, avec le célébrant qui prie en tournant le dos à une assemblée facilement passive durant la liturgie. »

Curieuse interrogation en effet. Nous pourrions pour commencer conseiller à Mgr Giudici de regarder de près la proportion largement significative du nombre d’ordinations sacerdotales et religieuses dans le courant Summorum Pontificum. Voilà un critère objectif, vérifiable par tous pour juger de « l’avantage pastoral et spirituel » du Motu Proprio.

Nous pourrions également lui conseiller de tenter l’expérience en célébrant lui-même, dans sa cathédrale, la forme extraordinaire du rite romain. Voilà une manière efficace de mesurer « l’avantage pastoral et spirituel » de ce « style de prière ».

Face à une telle attitude, nous comprenons bien qu'il est légitime pour les tenants de l'autorité de s'interroger pour mesurer le bien-fondé d'une décision ou bien d'une demande émanant de fidèles. Mais il est aisé de constater si cette interrogation est sincère ou ne l'est pas… en observant les moyens mis en œuvre pour tenter de trouver une réponse et même des solutions : par exemple l'instauration d'un authentique dialogue, voire la mise en œuvre d'une expérience, ou bien des incantations peu charitables sans réel désir de comprendre le point de vue des " autres " et en utilisant la célèbre " langue de buis " sans dialogue ni recherche de la paix.

3) Le résultat ? Le résultat c’est l’exclusion, car in fine sont maintenus pour ainsi dire en marge de l’Église diocésaine les fidèles attachés à la forme extraordinaire. Le résultat c’est que les tenants de ce progressisme reconfiguré maintiennent en dehors de leur troupeau les brebis qui remettent de fait en cause un demi-siècle d’errances dont nous constatons chaque jour les conséquences dramatiques à travers la baisse continue du nombre de pratiquants, d'enfants catéchisés, de baptêmes, de vocations religieuses, etc.

Le bilan catastrophique de ce progressisme, l’état de faillite dans lequel se trouve un grand nombre de diocèses européens rendent cet aveuglement épiscopal tant incompréhensible que révoltant.

4) Cette réaction de Mgr Giudici est en outre révélatrice de ce qu’est devenue une trop grande part de l’épiscopat italien. Les évêques italiens, dominés jadis par de grandes figures conservatrices, et gouvernant un peuple chrétien aussi papiste que peu progressiste, étaient restés globalement modérés dans leurs options liturgiques.

Mais advint le texte de 2007. La parution du Motu Proprio de 2007, qui a joué et qui joue chaque jour un grand rôle pour la révélation des cœurs, a fait mesurer avec stupéfaction qu’une large majorité de cet épiscopat était résolument défavorable à cet acte pontifical. D’où un hiatus inouï entre le pape, Primat d’Italie, et ses plus proches évêques. Un hiatus que la politique actuelle de nominations dans la péninsule semble vouloir commencer à résoudre. Pour la succession de Mgr Giudici, rendez-vous est déjà pris à Pavie en 2015, l'année de ses 75 ans...