15 novembre 2012

[Michel Salamolard - cath.ch] Mgr Fellay, abbé Werlen: quelles stratégies?

SOURCE - Michel Salamolard - cath.ch - 15 novembre 2012

Rappel: le propos, dans ce volet du blog, est sociologique et non théologique…

Parmi les outils de la sociologie, il y a l’analyse stratégique des discours. Elle s’intéresse moins au contenu comme tel qu’aux effets sociaux recherchés par l’auteur. Examinons sous cet angle les propos récemment tenus par deux prélats (valaisans!), fort différents l’un de l’autre, Mgr B. Fellay, supérieur de la FSSPX, et l’abbé d’Einsiedeln, M. Werlen.
LE CAS DE MGR FELLAY
Bernard Fellay vient donc de déclarer , dans une homélie à Paris: «Depuis le mois de juin 2012, les choses sont bloquées. C’est un retour à zéro. Nous sommes exactement au même point que Mgr Lefebvre dans les années 1975…» (APIC, 13.11.2012). Quel est le but de cette déclaration, donc le contenu informatif est nul? Certains y verront un appel à renoncer à tout rapprochement avec Rome, vu le blocage des discussions. On peut émettre une hypothèse parfaitement contraire. En comparant la situation actuelle avec celle de 1975, et non avec celle de 1988, date du schisme, Fellay invite peut-être ses ouailles à penser que tout est encore possible, entre Rome et la Fraternité, comme dans les années ’70. Ce serait un nouveau pas pour convaincre ses troupes de la nécessité de trouver un accord avec le Vatican, d’effacer en quelque sorte le schisme. Le «point zéro» ne serait donc pas, dans ce cas, un retour en arrière, une annulation des efforts consentis de part et d’autre, mais plutôt le lieu nouveau de tous les possibles.

En précisant que l’exclusion de Williamson n’est pas due aux relations avec Rome, mais uniquement à «un problème de discipline interne à la Fraternité», Fellay n’appelle-t-il pas, en outre, ses fidèles à serrer les rangs derrière lui? En vue d’une réconciliation avec l’Église catholique? Cela n’est pas dit, mais cela n’est pas exclu. La stratégie d’un discours consiste souvent à insinuer plutôt qu’à persuader, à demander ce que l’auditeur est prêt à donner, pour mieux le conduire où il hésite encore à se rendre…
LE CAS DE L’ABBÉ WERLEN
En lançant son brûlot, qui «allume le feu» (APIC 12 et 13.11.2012), qu’espère l’abbé d’Einsiedeln? On peut écarter l’hypothèse du simple défoulement, de la provocation, de la volonté d’attirer l’attention sur soi. Cela paraît peu cohérent avec la personnalité du prélat. Proposons autre chose, en repensant aux travaux d’Albert Hirschman (voir le 1er article de la série «Un synode problématique»).
 
Werlen donne de la voix , il est donc dans une stratégie Voice, choisie par les membres d’une organisation les plus intéressés à l’amélioration, au développement de celle-ci. Il attire l’attention sur des problèmes réels, avance quelques propositions certes innovantes, mais nullement révolutionnaires.

Plusieurs ont remarqué la liberté de parole et de ton de Martin Werlen, pour la saluer ou pour la déplorer, liberté plutôt inhabituelle au sein de la Conférence des évêques suisses (CES). L’abbé d’Einsiedeln jouit-il, de par son statut (il ne doit pas son élection à Rome), d’une indépendance (qui n’exclut pas l’obéissance!) plus grande que les évêques, peut-être liés par certaines promesses exigées d’eux avant leur ordination? C’est possible.

Revenons à la question de départ. Qu’espère Werlen? Sans aucun doute veut-il promouvoir une authentique et nécessaire réforme de l’Église catholique en situation critique dans nos pays occidentaux. Ses chances d’être entendu ne sont pas minces. Rome est bien sûr au courant. Dans la mesure où l’abbé peut compter sur un soutien, même discret, au sein de son ordre, sa voix n’est pas quantité négligeable.

Il y a fort à parier aussi que l’abbé souhaite un débat plus ouvert, plus direct et plus audacieux au sein de la CES, sur des sujets brûlants. En 2013-2015, avec Mgr Büchel comme président, Mgr Morerod comme vice-président et Mgr Theurillat comme membre du présidium, dite CES pourrait être en mesure de répondre à cet espoir. Mgr Gmür apporterait certainement au débat sa contribution active, intelligente et pastorale. L’abbé de Saint-Maurice ne resterait pas en arrière. Pas plus sans doute que les évêques auxiliaires. Mgr Grampa, s’il est encore en fonction, ajouterait son bon sens pastoral et son humour. Mgr Brunner serait vraisemblablement heureux, dans les dernières années de son épiscopat, de laisser le souvenir d'un pasteur ouvert au dialogue. Mgr Huonder, réputé conservateur, aurait peut-être tendance à appuyer sur la pédale du frein, mais pas jusqu’au blocage. L’Esprit pourrait en effet doter la CES d’un système ABS…

Si l’espoir d’un fonctionnement plus dynamique de la CES se confirme dans le faits, l’abbé Werlen aura contribué, par sa prise de position, à prouver qu’un vrai débat, sur les vrais problèmes, est possible dans notre Église, au plus haut niveau. Ce qui pourrait désarmer certaines initiatives de paroisses ou de curés, certes aussi utiles, mais qui risquent parfois de donner l’impression d’un clivage tendu entre «Église d’en bas» et «Église d’en haut».

Une saine stratégie de type Voice est meilleure pour toute institution que le mutisme et la surdité, préludes aux stratégies Exit.