15 octobre 2013

[Paix Liturgique] Pour notre pape François: unité et diversité se conjuguent pour être richesse

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°409 - 15 octobre 2013
« Cité du Vatican, 9 octobre 2013 (VIS). Durant l'audience générale tenue ce matin sous la pluie, Place Saint-Pierre, le Pape a traité de la catholicité et de l'être catholique. Pour ce, il a développé trois réflexions à partir du mot grec Katholòn signifiant totalité. "L'Église est catholique, a-t-il dit, car elle constitue l'espace dans lequel la foi est intégralement annoncée et où le salut apporté par le Christ est offert à tous... Chacun de nous trouve dans l'Église ce dont il a besoin pour croire, vivre chrétiennement, devenir saint et avancer, quels que soient le lieu et le temps... L'Église est catholique parce qu'elle est universelle, diffuse de par le monde pour annoncer à tout homme l'Évangile. Elle n'est pas une élite, elle n'est pas fermée et s'adresse à l'humanité toute entière. Cette unique Église est présente jusque dans les plus petites expressions ecclésiales... Elle embrasse une variété de peuples professant la même foi, se nourrissant de la même Eucharistie, servis par les mêmes pasteurs... L'Église est catholique parce qu'elle est une demeure d'harmonie, où unité et diversité se conjuguent pour être richesse". Pour exécuter une symphonie, les instruments doivent jouer à l'unisson, chacun dans son registre, mais sous la direction d'un chef d'orchestre qui crée l'unité harmonique de toutes ces diversités. L'harmonie ne détruit pas le timbre particulier des divers instruments. Dans le grand orchestre de l'Église, "nous sommes tous égaux malgré notre diversité. Il n'y a ni conflit ni contraposition...dans une harmonie qui vient de l'Esprit. Lui qui est l'harmonie même est le véritable Maestro. C'est à Lui qu'il nous faut demander de vivre en harmonie, dans l'acceptation de l'autre et de la diversité afin de ne pas tomber dans l'uniformité. Prions donc l'Esprit pour qu'il nous rende toujours plus catholiques !" »
LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Il y a quelques jours seulement nous publiions les paroles du pape François, simples mais tranchantes, sur l'unité de l'Église. Nous développons aujourd'hui cette réflexion en publiant un extrait du discours prononcé par le Saint-Père le 9 octobre 2013 et en l’appliquant au domaine de la coexistence des formes liturgiques, qui n’est pas visé directement par le Pape, mais auquel ses propos s’accordent parfaitement. Une fois encore, avec des mots simples, François instruit son peuple en le ramenant à des vérités essentielles. Prenons garde de ne pas l'écouter d'une oreille distraite, nous risquerions alors de n'y voir qu'un discours superficiel appelant à une espèce d'appel sans saveur aux bons sentiments. Faisons aussi en sorte, spécialement dans le domaine liturgique qui suscite aujourd’hui, à tort ou à raison, des inquiétudes, de bien appliquer le principe de l’interprétation dans le sens de la tradition ; très concrètement, d’interpréter François dans le sens de Benoît.

Celui qui a des oreilles, qu'il entende ! En bon pédagogue, François s'adresse une fois encore directement à chacun d'entre nous, qui que nous soyons, où que nous vivions. Malgré nos différences de culture, de frontière, de sensibilité, « jusque dans les plus petites expressions ecclésiales », nous n'en sommes pas moins tous appelés à vivre au jour le jour cette harmonie de l'Esprit. Sauf à nous considérer comme des justes qui ne seraient pas concernés par ces invitations à la perfection, nous avons le devoir là encore de faire notre examen de conscience et de réfléchir aux actes que nous posons chaque jour. Sommes-nous oui ou non, dans nos actes de chaque jour, des artisans de cette harmonie de l'Esprit, de cette unité dans la diversité, ou cherchons-nous à imposer notre vision de l'Église ?

2 – Il va de soi que les propos du Pape ne doivent pas être entendus de manière irénique, comme s’il approuvait que l’Église soit devenue une auberge espagnole dans laquelle chacun apporte ce qui lui convient pour le consommer de la manière qu’il l’entend. Du fait de l’individualisme et de l’évaporation de l’autorité de la foi dans la période postconciliaire, on sait hélas que le catholicisme est en péril d'anglicanisation ; qu'il court le risque d'évoluer vers une religion explosée du point de vue doctrinal, moral, liturgique. Par mimétisme avec la société démocratique contemporaine, on voit dans l’Église une tendance au « communautarisme », qui veut la reconnaissance des spécificités de tous les groupes particuliers au sein de l’ensemble social, sous réserve que les grands principes de cet ensemble ne soient pas remis en cause, en l’espèce les principes de « l’esprit du Concile » ou, pour citer Benoît XVI, du « Concile virtuel ».

Or c’est la foi, « sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu » (He 11, 6), qui est le ciment de l’unité dans l’Église. Foi une et indivisible, comme Dieu, son objet. L’Église est, comme dit le Pape, « l'espace dans lequel la foi est intégralement annoncée ». La diversité dont il parle est la bonne et légitime diversité, une diversité « centripète » et non pas « centrifuge », comme est en revanche la diversité qui veut faire passer pour « catholiques » une infinité d’erreurs et de déviations. La sainte diversité, celle par exemple de la liturgie de saint Jean Chrysostome et de la liturgie romaine, n’est rien d'autre que la diffraction de l’unique Lumière du Christ dans son admirable simplicité.

Voici ce que le Pape écrit à ce sujet dans l'encyclique Lumen Fidei : « L’unité de l’Église, dans le temps et dans l’espace, est liée à l’unité de la foi : “il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit (…) comme il n’y a qu’une seule foi” (Ep 4, 4-5). […] Saint Léon-le-Grand pouvait affirmer : “Si la foi n’est pas une, elle n’est pas la foi”. Quel est le secret de cette unité ? La foi est une, en premier lieu, en raison de l’unité du Dieu connu et confessé. Tous les articles de foi se réfèrent à Lui, ils sont les chemins pour connaître son être et son agir. En conséquence ils ont une unité supérieure à toute autre unité que nous pourrions construire par notre pensée ; ils possèdent l’unité qui nous enrichit parce qu’elle se communique à nous et nous rend “un”. En outre, la foi est une parce qu’elle se réfère à l’unique Seigneur, à la vie de Jésus, à son histoire concrète qu’il partage avec nous » (Lumen fidei, 47).

3 – C’est pourquoi, « l'Église est catholique parce qu'elle est une demeure d'harmonie, où unité et diversité se conjuguent pour être richesse ». Voilà qui est en parfaite continuité sur le plan liturgique avec l'enrichissement mutuel des deux formes de l'unique rite romain auquel Benoît XVI invitait hier toute l'Église. Il est frappant de constater que nos deux papes successifs, avec leurs styles distincts, professent chacun à leur manière une vérité universelle : la richesse de la diversité, à condition qu’elle soit sous la direction d'un chef d'orchestre, « qui crée l'unité harmonique de toutes ces diversités » par le rappel de l’enseignement du Christ. 

« On comprend alors pourquoi hors de ce Corps, de cette unité de l’Église dans le Christ, de cette Église qui – selon les paroles de Guardini – “est la porteuse historique du regard plénier du Christ sur le monde”, la foi perd sa “mesure”, ne trouve plus son équilibre, l’espace nécessaire pour se tenir debout. La foi a une forme nécessairement ecclésiale, elle se confesse de l’intérieur du Corps du Christ, comme communion concrète des croyants » (Pape François, encyclique Lumen fidei, n. 22).

Dans le domaine liturgique, l'Église ayant rappelé que le missel extraordinaire « jamais abrogé » était « toujours resté autorisé » et que la forme ordinaire et la forme extraordinaire du rite romain étaient « deux mises en œuvre de l'unique rite romain », tous les fidèles, les prêtres et les évêques du monde entier devraient s'interroger sur leur manière de construire l'harmonie avec leurs frères et sœurs qui pratiquent habituellement dans l'autre « mise en œuvre de l'unique rit romain ». Il est inutile de rapporter ici les raisons qui ont amené Benoît XVI, après plus de 40 ans de crise liturgique et ecclésiale, à faire ce rappel libérateur. Il est inutile également de préciser que cette question vaut en soi dans les deux sens, quelle que soit la forme, ordinaire ou extraordinaire, dans laquelle chacun pratique sa foi. Étant évident que pour la minorité que l’on peut dire opprimée, soit de facto les pratiquants de la liturgie traditionnelle, l’examen de conscience devrait être en quelque sorte : « Faisons-nous tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce que nous représentons soit entendu et compris ? » 

4 – D’autre part, et c’est un point fondamental que nous avons rappelé en de nombreuses occasions (voir notre lettre 356 par exemple), « le problème de la messe ordinaire, c’est qu’elle a un problème avec la messe extraordinaire ». Le désordre essentiel, le péché contre l’harmonie de l’Église, depuis le déclenchement de la « guerre liturgique » au début des années 70, n’est pas dans le fait que des personnes, dites « traditionalistes », se soient adaptées difficilement aux changements, mais dans le fait que ceux qui étaient favorables aux changements aient rejeté en bloc la tradition liturgique. De sorte que la visée profonde du Motu Proprio n’a pas été de tolérer une sensibilité malmenée, celle des « traditionalistes », mais, compte tenu de l’existence d’une situation de disharmonie radicale, à savoir le rejet des racines traditionnelles de la liturgie romaine, de procéder à une véritable restauration de l’ordre théologique et liturgique. Le désordre qui subsiste tient donc à ce qu’un certain nombre de ceux qui sont « pour » la liturgie ordinaire sont radicalement « contre » la liturgie extraordinaire et sa tradition plus que millénaire. Le vrai sens de l’harmonie dans la diversité exige que ceux qui sont « pour » la liturgie ordinaire soient aussi, par sens de l’Église et de la foi, « pour » la liturgie extraordinaire. Le principal bénéfice qu’ils en retireront étant la découverte par eux de ce qui est – ou de ce qui devrait être – la racine traditionnelle de la liturgie ordinaire.

5 – C'est bien entendu sur le terrain propre de la vie de l’Église, celui des paroisses, que doit se vivre cette réconciliation. La méditation de François, rien que sur ce simple aspect de l'unité vécue (ou non) dans chacune de nos paroisses, est très riche et nous invite à nous débarrasser de bien des habitudes qui ont pris racine dans nos communautés depuis plus de 40 ans.

Soulignons-le une fois encore, le modèle traditionnel dans l'Église est la paroisse territoriale où le curé, vrai "chef d'orchestre", ou plutôt chef d’orchestre vrai, dans la mesure où il se réfère au Magistère de l’Église, est garant de l'harmonie de la symphonie paroissiale. Chaque curé qui accepte de tenter l'expérience de la paix liturgique en célébrant lui-même, dans sa paroisse, les « deux mises en œuvre de l'unique rite romain » le dimanche à un horaire familial, fera de sa paroisse, à n'en pas douter, « une demeure d'harmonie où unité et diversité se conjuguent pour être richesse ». Car le Motu Proprio Summorum Pontificum n’a pas pour effet premier, dans l’ordre de la foi, l’harmonisation artificielle de groupes antagonistes dans l’Église, mais bien la pacification de l’Église avec elle-même.

La paix liturgique profonde qu’entendait promouvoir le texte de Benoît XVI, et auquel ce discours du Pape François peut être rattaché, c’est véritablement le recouvrement de la paix liturgique intérieure dont l’Église doit jouir dans son immuable identité.