30 septembre 2014

[Présent] Una Voce, l'heure du jubilé

SOURCE - Présent - propos recueillis par François Franc - 30 septembre 2014

Una Voce, l'heure du jubilé - Patrick Banken: «Nous militons pour la contemplation et la tradition»
— Qu’est-ce qu’Una Voce ? Le nom n’est peut-être pas familier à nos jeunes lecteurs…
— Nous sommes la première association de laïcs qui s’est levée, en décembre 1964, quand on a bien senti que tout le patrimoine liturgique allait être bradé dans les paroisses, malgré la constitution de Vatican II qui maintenait explicitement latin et grégorien. La première juste après un petit groupe de Norvégiens, mais nos fondateurs avaient l’avantage d’avoir parmi eux de grands musiciens comme Vallombrosa (premier président), Sauguet, Duruflé, Messiaen, et ils ont eu cette idée simple et géniale de s’intituler Una Voce, rappelant que le latin symbolise l’unité de l’Eglise romaine ; et puis ce sont les mots que l’on entend tous les dimanches avant le Sanctus : una voce dicentes (« proclamant d’une seule voix »). Ces mots d’una voce ont été repris par la Fédération internationale qui regroupe 41 associations du même type dans le monde entier. Le président international, James Bogle, issu de la Latin Mass Society, sera d’ailleurs présent à notre jubilé.
— C’étaient donc surtout des organistes ou compositeurs, au début ?
— Pas du tout ! L’élément moteur, ce sont des écrivains-journalistes, le regretté Cerbelaud-Salagnac ou, toujours bien présent, Jacques Dhaussy. Il y eut aussi, parmi les premiers, l’historien Philippe Ariès, le colonel Rémy, le grand latiniste de la Sorbonne Jacques Perret, celui qui a inventé le mot ordinateur pour éviter computer. A ne pas confondre, comme font certains, avec l’auteur du Caporal épinglé, qui nous envoya un message de soutien au congrès de 1975. Robert Bresson aussi, le cinéaste. Et l’émotion était telle devant la perte de l’antique liturgie qu’elle transcendait les clivages, même le clivage conservateurs/progressistes dans l’Eglise : Stanislas Fumet, Jacques Madaule (compagnons de route du PCF jusqu’en 1956) nous ont rejoints tout de suite. En quelques mois de 1965, il y eut 20 000 adhérents, des sections dans tous les départements.
— Et quel était le but ?
— L’association (loi de 1901) s’est fixé deux buts au départ : défendre la liturgie latine et le chant grégorien (à quoi l’on a ajouté, depuis, l’art). Nous n’avons pas de chorale ni de paroisse, nous sommes au service des chorales et des paroisses ou, plus largement, au service de tous les catholiques (ou non) qui nous demandent une adresse, un livre, un disque, une information, une aide. Tenez, une anecdote : Denis Tillinac, qui ne veut pas être enterré comme un chien, est entré à notre Comité d’honneur en disant : « Avec vous, au moins, je prends une assurance-obsèques chantées » !
— L’association n’a jamais craint d’avoir à mettre la clé sous la porte ?
— Comme toute association de longue durée, Una Voce a ses hauts et ses bas. Il y a eu les conflits entre traditionalistes (et même entre grégorianistes : nous sommes en Gaule !), la création d’instituts et fraternités de prêtres qui parfois estiment qu’ils suffisent à eux-mêmes et à leurs ouailles, ou la concurrence de jeunes associations plus spécialisées dans certains types d’action, comme Paix liturgique, Domus Christiani pour les couples, Juventutem pour les JMJ… Mais cette dispersion a aussi son côté positif, et il nous arrive d’avoir des contacts ou des actions communes. Et nous sommes plutôt dans les hauts, in excelsis, depuis que le Motu proprio de 2007 nous a donné raison d’avoir lutté pour la messe tridentine, en même temps que nous maintenions une part seulement de tradition (un cantique, un Kyriale…) là où cette messe était exclue. Loué soit Benoît XVI ! Et aujourd’hui voici ce jubilé du feu de Dieu, avec un évêque présent, dix autres nous envoyant des messages sympathiques et au moins 100 choristes, j’espère. Nous ne pouvions espérer cela dans les années 1970. Et pourtant…
— Comment avez-vous traversé ce demi-siècle ?
— Il y a eu différentes phases. Henri Sauguet, le compositeur fameux des Forains, a d’abord été un président merveilleux pour notre aura, payant de sa personne, attirant dans notre Comité d’honneur le peintre Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo, qui y rejoignait le fils aîné de Paul Claudel, puis les académiciens Jean Dutourd et Michel Mohrt, allant voir Mgr Lustiger et obtenant de réintégrer solennellement la messe de saint Pie V dans le diocèse de Paris : Saint-Etienne-du-Mont, le 15 décembre 1984, ce fut une belle matinée !
— Le président était bien secondé, je suppose ?
— Il avait à ses côtés une équipe de rêve, comme disent les sportifs en anglais : Yves Gire et Simone Wallon secrétaires, Jacques Dhaussy trésorier, Mme Guillemot qui mit un peu de son appartement parisien à notre disposition, comme aujourd’hui Mme Deshayes, ce qui nous permet d’avoir une permanence téléphonique. Avec cette équipe, nous avons pris le virage des radios libres et j’ai succédé à Yves Gire à Radio Courtoisie (vendredi à 23 heures, le dimanche à 7 et 11 heures).
— Cela, c’est pour les années 1980. Mais ensuite ?
— Depuis la mort de Sauguet en 1989, nous avons eu des présidents provinciaux : Michel Gruneissen (un Lillois installé en Normandie), Benoît Neiss (un Strasbourgeois). Moi-même je fais la navette entre Paris et ma Saintonge d’adoption. Le centre de gravité s’est un peu déplacé vers le Sud, comme vous le voyez. Notre dernier grand rassemblement (car il nous arrive d’organiser des pèlerinages) a eu lieu en 2009 à l’abbaye de Fontfroide près de Narbonne, conclu par un magnifique Te Deum. Avec l’équipe des années 90, c’est le virage de l’informatique qu’il a fallu prendre : nous avons créé un site, une boutique en ligne. A ce propos, je lance un appel aux informaticiens bénévoles qui pourraient nous aider à rénover et à améliorer ce site.
— Je constate aussi que votre revue est passée à la couleur, et que la rédaction s’est renouvelée…
— Oui, c’est un miracle bimestriel que cette revue faite par des bénévoles. Jacques Dhaussy nous fait toujours bénéficier de son inlassable curiosité. Certains n’ont pas été remplacés, comme le Dr Fournée, érudit normand incollable sur le folklore chrétien, ou Mlle Roussel, de Montpellier, qui signait Diaphane Incognito une chronique humoristique. Mais, pour la rubrique de grégorien, des moines du Barroux, de Triors, de Fontgombault ou de Randol, ont pris le relais de l’abbé Ferdinand Portier. Christian Jaby a lancé une rubrique nouvelle de latin. Toutefois, la revue n’est pas réservée à des spécialistes de latin et de grégorien. On y trouve des articles sur l’art (d’aucuns signés par un certain Samuel Martin) ; une rubrique des livres et disques, par des chroniqueurs qui lisent les livres, écoutent les CD et ne se contentent pas de recopier la couverture ; et beaucoup d’actualités, car Una Voce est une association qui compte certes en son sein des personnalités, des chefs de chœur un peu partout en France, mais où il y a toujours eu surtout des petits, des obscurs, des sans-grade/Sans espoir de duché ni de dotation, comme dit Rostand, qui veulent apporter leur petite pierre au maintien de la liturgie latine et grégorienne.
— Quelles consignes aux lecteurs de Présent pour les 4 et 5 octobre ?
— J’invite évidemment tous vos lecteurs à nous rejoindre à Sainte-Jeanne-de-Chantal (porte de Saint-Cloud, XVIe arrondissement), pour les conférences et le dîner du samedi, puis à la grand-messe de dimanche autour de Mgr Aillet, avant la grande manifestation pro-famille. Tout se tient. Nous poursuivons un combat pour diffuser et faire revenir dans nos églises la messe latine (au moins en alternance avec la messe vernaculaire) et le chant grégorien, parce que celui-ci « excelle, comme disait Dom Gajard, à introduire les âmes dans la région bienheureuse où Dieu les attend ». C’est un combat pour la contemplation et pour la tradition, c’est-à-dire la transmission.
— Un dernier mot ?
— Oui, bien sûr, pour ceux qui ne peuvent venir : l’argent est le nerf de la guerre. Ce jubilé va nous coûter cher. Pensez à nous adresser un chèque, ou à vous abonner à la revue (39 €, qu’on peut arrondir à 50 ou plus…)


Propos recueillis par François Franc

----------
Fondée en décembre 1964 dans la crypte de Saint-Charles-de-Monceau (les catacombes !), l’Association Una Voce (tél. 01 42 93 40 18) revient dans Paris Rive Droite pour son cinquantenaire. Le samedi 4 octobre à 11 h 45 pour chanter Sexte et Angélus, à 13 h 30 pour les conférences et débats (Gabriel Steinschulte, de Cologne ; Alain Cassagnau, de Bordeaux ; Dom Pateau, de Fontgombault), avec à 19 heures une messe paroissiale célébrée par Mgr Aillet, l’évêque de Bayonne (homélie de Mgr Chauvet). Le dimanche 5 pour une conférence de Patrick Banken à 10 h 15, une répétition du Kyriale à 11 heures et la messe pontificale tridentine célébrée à midi par Mgr Aillet, qui fera cette fois l’homélie. Mais primum vivere : ceux qui veulent profiter du repas de jubilé du samedi soir 20 h 30 (39 euros tout compris) ou du déjeuner du dimanche à 13 h 45 (19 euros) doivent impérativement s’inscrire au plus vite auprès d’Una Voce, 42 rue de la Procession, 75 015 Paris (paiement par chèque) ou sur le site unavoce.fr - C’est aussi une façon de jubiler, de manifester son soutien et de participer aux frais de ce cinquantenaire.
----------
Article extrait du n° 8198 de Présent du Lundi 29 septembre 2014