4 avril 2015

[Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Et si nous allions passer Pâques à Rome ?

Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou - avril 2015

Notre belle église St Joseph est enfin bénie, et St Joseph est honoré dans un sanctuaire digne de lui, qui permettra de mieux chanter liturgiquement notre foi, notre espérance et notre amour de son fils Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte et noble épouse, Notre Dame Marie ! Les célébrations pascales y connaîtront un lustre impossible jusqu’à présent, malgré toute la ferveur des participants ; et cette ferveur en sera renforcée pour la plus grande joie de tous. Dieu est bon, et notre gratitude doit tendre à être à la mesure de sa trop grande bonté. Jamais nous ne lui dirons assez ce merci qu’il ne demande pas mais qu’il mérite.

Et si nous allions passer Pâques à Rome ?

Nous savons peut-être que c’est à Rome, durant la Semaine Sainte 1838, que Louis Veuillot, âgé de 24 ans, s’est « converti ». Il a raconté cela dans son « Rome et Lorette », et son récit est révélateur de ce que peut être l’action de la grâce de Rome sur une âme bien disposée. Son enfance avait bien été parsemée de quelques gestes religieux mais « pas un mot de Dieu […] Seulement, ma mère par un reste des traditions de sa mère, voulait que j'allasse le dimanche à la messe, où elle venait elle-même aux grandes fêtes, et m'avait appris quelques bribes de l'Ave Maria, que je récitais le soir au pied de mon lit.

Partageant le sort des enfants du pauvre dans ce qu'il a de plus mauvais, je n'eus point le bonheur d'aller à l'école des frères[…]Je fus donc jeté dans cette infâme école mutuelle; […] Cependant l'école était religieuse : nous avions régulièrement congé aux moindres fêtes, jours où, non moins régulièrement, notre vénérable instituteur se couchait mort ivre; et l'on nous faisait le catéchisme! Ce fut, souvenir abominable, à la suite de cet enseignement que je fis ma première communion. Que le crime en retombe sur d'autres têtes! Je n'ai pas à le porter tout entier. Ils sont heureux ceux qui marchent dans la vie sous la protection des souvenirs et des grâces de ce beau jour! On m'enleva ce bonheur. Poussé à la table sainte par des mains ignorantes ou tout à fait impies, je m'en approchai sans savoir à quel redoutable et saint banquet je prenais part; j'en revins avec mes souillures, je n'y retournai plus. »

Dans le récit qu’il fit ensuite de son retour à Dieu, ainsi que l’écrivit son neveu, François Veuillot : « tout est vrai, rigoureusement vrai, quant aux sentiments et à l'ensemble des faits ». La prière en commun, les larmes au tombeau de saint Pierre, le sermon de Bourdaloue, la confession dans la cellule du P. Rosaven, et bien d'autres épisodes, sont d'une parfaite exactitude. Mais, dans les confidences du jeune homme, il faut discerner un long travail de conscience, antérieurement accompli […] plutôt qu'un effort de réflexions condensées à Rome en quelques jours.»

C’est donc à Rome que la grâce a triomphé. Ecrivant à son frère, le 9 mai 1838, il lui confia : « J'ai vu le Pape : c'est un solide et bon vieillard. Il nous a reçus très gracieusement, et pour moi surtout il a été fort aimable. Quand nous l'avons quitté, il m'a donné une petite tape sur la joue, ce qui est une très grande faveur. »

Dans « le parfum de Rome », Il revient plus longuement sur cette entrevue : « Avec la superbe d'un fils des temps nouveaux, je m'étais dit : Je verrai le Pape ! Comme s'il se fut agi tout simplement d’un prêtre, tout au plus d'un roi, dans tous les cas, d'un mortel. Mais, grâce à Dieu, quand j'ai monté l'escalier du Vatican, je m'étais agenouillé, j'avais passé par le bain de la pénitence, j'y avais laissé la superbe et la souillure des temps nouveaux.

J'étais l'homme des temps anciens, j'étais l'homme du baptême, le fils de la vieille Église qui a précédé tous les temps et qui remplira tous les temps, et qui, après tous les temps, survivra pour remplir l'éternité. J'étais cet homme que Dieu a créé dans Adam « pour connaître, aimer et servir Dieu, et conquérir la vie éternelle. »

J'étais l'héritier de cette promesse longtemps oubliée du monde, renouvelée en vain pour tant de faux sages, ignorée de tant de faux savants, dédaignée de tant de fausses grandeurs. Je l'avais reçue, elle m'appartenait, et avec elle je possédais mon âme et ma royauté. Dans la ville royale et dans la maison sainte, je ne passais pas comme un curieux et comme un étranger.

J'étais un fils de la cité, je pouvais, je devais aspirer à l'honneur de la défendre. Bien plus, j'étais un fils du roi, et sur ce sol sacré, dans ce palais même, j'habitais mon patrimoine. Je ne venais pas ici saluer un de ces hommes qui se font appeler seigneurs parce qu'ils portent sur la tête un bandeau qui souvent les aveugle, et que la force peut déchirer.

J'allais vers celui que Dieu a désigné pour être la représentation vivante de la miséricorde et de la justice, la représentation vivante du Dieu vivant; vers celui que Dieu même a orné de la couronne toujours lumineuse qui ne roule pas sous les pieds de la sédition, qui ne tombe pas dans les gouffres de la mort. Ô Seigneur Jésus ! il est donc vrai, je suis catholique !

J'entrai, non pas orgueilleux, mais fier; non pas assuré, mais tranquille; non pas tremblant, mais remué jusqu'au fond de l'être. Je vis la robe blanche du grand vieillard. Déjà, depuis huit ans, Grégoire portait la tiare et n'avait pas fléchi sous Je poids; depuis huit ans sa main gouvernait dans la tempête et n'en était pas moins prompte à se lever pour bénir.

J'oubliai le vieillard, le docteur, le roi, l'Évêque; un titre plus auguste couronnait cette tête vigoureuse et sereine, un titre plus doux rayonnait sur ce front resplendissant de bonté. Je me prosternai devant l'Immortel, devant le vicaire de Jésus-Christ, devant le vicaire de l'amour, et je l'appelai mon Père ! Et lui, s'inclinant pour me bénir, me dit: « Figliuolo, mon enfant! »

Il ajouta quelques paroles; je n'entendis que ce mot. Dans ce seul mot, j'avais tout entendu et tout compris. J'étais jeune, sans état, sans fortune, sans nom; j'étais un obscur passant. Cet accueil de tant de puissance à tant de faiblesse, la douceur de cette majesté et la tendresse de ce sourire, me disaient quelle est la dignité du Chrétien.

Figliuolo, mon enfant! D'un seul bond de la pensée je parcourus toute ma vie. Je me vis à quelques années en arrière sous les livrées de l'indigence, et, plus tard, plus pauvre, dans les détresses de l'Ame.

Qui m'avait jamais donné ce nom avec cet accent et ce sourire, si ce n'est mon père, et de quel autre l'aurais-je accepté?

«Mon enfant!» Que de fois ce mot s'est allumé soudain au fond de ma pensée, comme un flambeau qui éclairait les choses humaines! Par ce mot, j'ai plus vite et mieux connu l'histoire du Christianisme et l'histoire du genre humain. Avant Jésus-Christ, avant le Pape, c'était un mot qui manquait dans le monde, et qui dans la famille même ne possédait pas cette douceur et cette énergie. .

Je compris que Je genre humain n'avait pas uniquement des chefs et des maîtres, mais qu'il avait aussi un père. Je sentis la force de ce symbole du bon Pasteur, sur lequel mes yeux s'étaient vaguement arrêtés quelques jours auparavant dans les catacombes. Le bon Pasteur va chercher sa brebis, la dégage des épines, la rapporte sur ses épaules.

Que de droits inébranlablement soutenus, que de faiblesses courageusement et amoureusement protégées, et aussi que de passions apaisées, et de révoltes calmées, et d'orgueils abattus et guéris par l'action de cette royauté divine qui pose tendrement ses regards sur le plus pauvre des mortels, et qui lui dit : Mon enfant!

Trois fois depuis, les désirs de mon cœur, victorieux des embarras de la vie, m'ont ramené à Rome et au Vatican. En Pie IX j'ai retrouvé, plus douce encore, non moins ferme, la majesté de Grégoire. J’ai senti de nouveau ce cœur de Père, j'ai reçu de nouveau le nom de fils. Un jour, j'ai dû demander justice: et le juge, aussi attentif que le père s'était montré clément, a relevé mon humble droit qu'une main puissante avait brisé.»

Un autre témoignage sur cette grâce de Rome, et sur ce qu’était autrefois la Rome pascale, mérite quelques citations, extraites du récit d’un pèlerin en 1950: «Parvenu à Rome depuis quelques semaines, je fus étonné par le faste des édifices et la beauté de la ville. Mais je suis demeuré surtout saisi par les célébrations des Jours Saints. Le point culminant fut la messe papale de Pâques, à la basilique Saint-Pierre du Vatican.… j’y ai perçu malgré moi le reflet de cette immense vitalité de l'Église catholique. J’ai probablement succombé à la fierté d’appartenir à cette grande Église.

Au cœur même de l’Église universelle, ces cérémonies catholiques célébrées avec éclat dans la basilique mère de toutes les églises (cérémonies que je connaissais presque par cœur depuis mon enfance), prenaient un sens extraordinaire. J’étais saisi au plus profond de mon âme par cette joie ineffable d’être héritier d’un tel passé qui revivait devant moi. J’en faisais partie. J’étais catholique, au cœur de l’Église. J’étais dans la Joie.

J’y ai vu des traditions profondément enracinées et qui témoignaient de l’ancienneté de l’Église fondée par le Christ. Intacte est donc demeurée la joie que j’éprouvais à célébrer Pâques au cœur de l’Église universelle.

Perché en effet sur la sedia gestatoria pour que les fidèles souvent venus de très loin puissent l’apercevoir, il était porté par plusieurs hommes de la noblesse en costume de velours pourpre. Le pape bénissait la foule qui criait «Viva il Papa!». Pie XII faisait de grands signes de croix à droite et à gauche, un léger sourire gêné aux lèvres.

Sorti sur la Place Saint-Pierre, je me suis mêlé à la foule de près d'un million de fidèles qui s'étendait jusqu'au Tibre par la nouvelle Via della Conciliazione. La foule, venant de tous les pays du monde, a chanté à l’unisson le Credo en latin, avec force et enthousiasme, d'un seul cœur. J'avoue en avoir pleuré de joie, la poitrine gonflée d'une grande exaltation. Il me semblait vivre, en chantant le chant sacré du Concile de Nicée, l'unité de l'Église dont la mission est de libérer l’humanité de l’égoïsme, des divisions et du non-sens. Jamais je n'ai revécu deux jours aussi fantastiques.

Comment peut-on ne pas se rendre compte combien cette Église est vraiment l'Église de Dieu ? Notre Église est à la source de ce qui est le plus précieux dans notre civilisation exténuée par l'athéisme, le matérialisme, le vide de l'insignifiance. J’ai vécu ce jour-là la Résurrection.»

Il serait trop facile de comparer tout cela avec la misère des célébrations actuelles : Le pape passe mais ne bénit plus la foule massée sur son chemin… il salue mais il ne bénit pas !

Avons-nous encore à Rome un père qui bénit ses enfants?

Gardons courage et confiance: Jésus Christ a vaincu et notre foi sera notre victoire. Saint et beau temps de Pâques à tous et toutes.