7 août 2015

[DICI] Voyage du pape en Equateur, en Bolivie et au Paraguay (5-13 juillet 2015)

SOURCE - DICI - 7 août 2015

Le 9e voyage apostolique du pape François a été l’occasion d’évoquer la célébration du bicentenaire de l’indépendance de divers pays d’Amérique latine (1809 pour l’Equateur et la Bolivie, 1811 pour le Paraguay). Selon le père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, le pape, en encourageant dans ses allocutions une vraie transition démocratique, s’est appuyé sur leDocument final d’Aparecida, rédigé en grande partie par lui-même, alors archevêque de Buenos Aires, en mai 2007, au terme de la 5e Conférence générale du Conseil épiscopal latino-américain (Celam). Dans ce document, destiné à donner un nouvel élan d’évangélisation au continent, le cardinal Bergoglio insistait sur la force de la religiosité populaire en Amérique et ses quatre piliers : le sanctuaire, le pèlerinage, la fête et la dévotion mariale.


En Equateur

Le 6 juillet 2015, au cours de la messe pour les familles célébrée au Parc des Samanes à Guayaquil (Equateur), le pape François commentait l’évangile des noces de Cana. La famille « constitue la grande ‘richesse sociale’ que d’autres institutions ne peuvent pas remplacer, qui doit être aidée et renforcée », devenant de ce fait une vraie « dette sociale » pour ces institutions, car elle est « l’hôpital le plus proche, la première école des enfants, le groupe de référence indispensable des jeunes, la meilleure maison de retraite pour les personnes âgées ». Par ailleurs « la famille forme aussi une petite Eglise, nous l’appelons ‘Eglise domestique’ qui, avec la vie, achemine la tendresse et la miséricorde divine. » Le pape précise alors ce que représente l’« heure de Jésus » aux noces de Cana : « dans la famille – nous en sommes tous témoins – les miracles se réalisent avec ce qu’il y a, avec ce que nous sommes, avec ce que l’on a à portée de main… bien souvent ce n’est pas l’idéal, ce n’est pas ce dont nous rêvons, ni ce qui ‘devrait être’. Il y a un détail qui doit nous faire réfléchir : le vin nouveau, ce vin si bon selon l’intendant des noces de Cana provient des jarres de purification, c’est-à-dire de l’endroit où tous avaient laissé leurs péchés… Il provient du ‘pire’ parce que ‘là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé’ (Rm 5, 20). »

Le pape se sert de cette exégèse pour dire ce qu’il espère du Synode sur la famille, en octobre prochain : « Peu avant le début de l’Année jubilaire de la miséricorde, l’Eglise célébrera le Synode ordinaire consacré aux familles, pour faire mûrir un vrai discernement spirituel et trouver des solutions et des aides concrètes aux nombreuses difficultés et aux importants défis que la famille doit affronter aujourd’hui. Je vous invite à intensifier votre prière à cette intention, pour que même ce qui nous semble encore impur, comme l’eau dans les jarres, nous scandalise ou nous effraie, Dieu – en le faisant passer par son ‘heure’ – puisse le transformer en miracle. La famille a besoin aujourd’hui de ce miracle. » 

Le 7 juillet, devant plus d’un million de personnes, François a célébré la messe dans le parc du Bicentenaire de Quito (Equateur). Comparant le « susurrement de Jésus lors de la dernière Cène » au « cri de l’Indépendance de l’Amérique hispanique », lancé il y a plus de 200 ans, « cri de la conscience de manque de libertés, d’être objet d’oppression et de pillages », le souverain pontife a souhaité que « les deux cris concordent sous le beau défi de l’évangélisation » – Saint Pie X, quant à lui, dénonçait ceux qui « ne craignent pas de faire entre l’Evangile et la Révolution des rapprochements blasphématoires » (Notre charge apostolique, 25 août 1910).

Citant fréquemment Evangelii gaudium (cf. DICI n°286 du 06/12/2013, DICI n°287 du 20/12/2013 et Nouvelles de Chrétienté n°145 de janvier-février 2014) au cours de son homélie, le pape déclara : « l’évangélisation peut être le véhicule d’unité des aspirations, des sensibilités, des espoirs et même de certaines utopies », après avoir dit que « la parole de Dieu nous invite à vivre l’unité pour que le monde croie ». Et d’affirmer que « l’évangélisation ne consiste pas à se livrer au prosélytisme… le prosélytisme, c’est une caricature de l’évangélisation, mais évangéliser, c’est attirer à travers notre témoignage ceux qui sont éloignés, c’est s’approcher humblement de ceux qui se sentent loin de Dieu dans l’Eglise, s’approcher de ceux qui se sentent jugés et condamnés a priori par ceux qui se croient parfaits et purs » ! Puis François lança avec vigueur : « C’est cela évangéliser, c’est cela notre révolution – parce que notre foi est toujours révolutionnaire (sic) –, c’est cela notre cri le plus profond et le plus constant ! ».

Le même jour, s’adressant aux représentants de la société civile équatorienne, dans l’église Saint-François de Quito, le pape François se penchait sur « les valeurs sociales essentielles qui sont, dit-il, la gratuité, la solidarité et la subsidiarité ». Ainsi la solidarité naît de la fraternité vécue en famille, et elle « ne consiste pas uniquement à donner à qui est dans le besoin, mais à être responsable les uns des autres ». Le pape a insisté sur le dialogue nécessaire qui dans « une démocratie participative », doit être accordé à « chacune des forces sociales » (i.e. groupes indigènes, afro-équatoriens, femmes etc.) pour qu’elles soient « des protagonistes indispensables dans ce dialogue », et non pas « des spectateurs ». Et « les normes et les lois, ainsi que les projets de la communauté civile, doivent rechercher l’inclusion » au lieu d’un « contrôle démesuré et la restriction des libertés », a déclaré le pape sous les applaudissements.

Commentaire : Plutôt que l’éloge des « valeurs sociales » de « gratuité », de « solidarité » et de « subsidiarité », mises au service d’une « démocratie participative », on aurait attendu, dans la bouche d’un pape, un rappel sur la nécessité des vertus de justice et de charité. Cette allocution sur les valeurs de la sociabilité donne raison à l’analyse que faisait, dès 1985, Romano Amerio dans Iota unum (N.E.L., p. 415) : « L’Eglise semble redouter d’être rejetée, comme elle l’est positivement par une grande fraction du genre humain. Alors elle cherche à décolorer ses propres particularités méritoires et à colorer en revanche les traits qu’elle a en commun avec le monde ». Dès lors, elle fait valoir sa mission secondaire – civilisatrice et humanitaire –, occultant son rôle premier, essentiel, strictement salvifique. C’est pourquoi, selon Amerio : « Toutes les causes juridiques soutenues par le monde ont l’appui de l’Eglise. Elle offre au monde ses services et cherche à prendre la tête du progrès humain. » Que ce soit pour l’écologie ou les droits de l’homme…


En Bolivie

Le 8 juillet, le pape a entamé la deuxième étape de son voyage en arrivant à La Paz (Bolivie). Ce fut l’occasion de recevoir du Président Evo Morales, une réplique du crucifix du père jésuite Luis Espinal, en forme de faucille et de marteau (voir la photo). Ce crucifix « peut être décrit comme un genre d’art de protestation », dira-t-il simplement aux journalistes dans l’avion de retour vers Rome, ajoutant que « le père Espinal a été tué en 1980, à l’époque où la théologie de la libération prônait l’analyse marxiste de la réalité… Le père Espinal était un passionné de cette analyse marxiste, mais aussi de la théologie confrontée au marxisme ». François a tenu à se rendre sur le lieu de l’assassinat, invitant à une minute de prière silencieuse en mémoire de ce jésuite.

Participant à la 2e Rencontre mondiale des mouvements populaires, à Santa Cruz (Bolivie) le 9 juillet, François a demandé « pardon, non seulement pour les offenses de l’Eglise même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique ». Pour être « juste », il n’a pas manqué de rappeler « les milliers de prêtres et d’évêques qui s’opposèrent à la logique des épées avec la force de la croix ». Puis il dénonça le « nouveau colonialisme » dans le « pouvoir anonyme de l’idole argent », citant l’exemple de « quelques traités dénommés ‘de libre commerce’ et l’imposition de mesures d’austérité’ qui serrent toujours la ceinture des travailleurs et des pauvres ».

« Disons-le sans peur, nous voulons un changement, a déclaré le pape. On ne peut plus supporter ce système, les peuples ne le supportent pas. Et la Terre non plus ne le supporte pas, la sœur Mère Terre comme disait saint François ». L’expression de ‘Mère Terre’, utilisée à plusieurs reprises par le pape argentin en Bolivie, fait également allusion au culte de Pacha Mama, divinité invoquée chez les Amérindiens. « Disons non à une économie d’exclusion et d’injustice où l’argent règne au lieu de servir, a encore martelé François, cette économie tue. Cette économie exclut ».


Au Paraguay

Arrivé le 11 juillet au Paraguay, le pape a rencontré les représentants de la société civile à Asunción. Dans son discours il n’a pas hésité à s’élever contre les idéologies qui terminaient souvent en dictatures. Les tenants de ces idéologies, a-t-il insisté, pensent « tout pour le peuple, mais ne font rien avec le peuple », dénonçant également la corruption qualifiée de « mite, de gangrène du peuple », comme une critique du socialisme latino-américain.

Le 12 juillet, le pape François a célébré la messe, sur l’immense base aérienne Nu Guazú
 à Asunción. Devant 700.000 fidèles il a préconisé non pas l’évangélisation qui cherche « à convertir les personnes avec nos argumentations » mais « en apprenant à accueillir » car « l’Eglise, telle que Jésus la veut, est la maison de l’hospitalité ». « La caractéristique de l’Eglise, a insisté le pape, c’est d’apprendre à vivre la fraternité avec les autres ». C’est encore, a-t-il expliqué, « passer de la logique de l’égoïsme, de la fermeture, de l’affrontement, de la division, de la supériorité, à la logique de la vie, de la gratuité, de l’amour. De la logique de la domination, de l’oppression, de la manipulation, à la logique de l’accueil, du recevoir et de la sollicitude. »

(Sources : apic/imedia/vatican.va/vis – DICI n°319 du 07/08/15)