13 octobre 2017

[Anne Le Pape - Présent] Entretien avec Martin Mosebach : un grand défenseur de la liturgie traditionnelle

SOURCE - Anne Le Pape- Présent - 13 octobre 2017

Martin Mosebach est un célèbre écrivain allemand, connu à la fois comme romancier, scénariste, dramaturge, essayiste et poète. En 2007 il a, par exemple, obtenu le Prix Georg-Büchner, l’un des prix littéraires les plus prestigieux du pays. Ses articles contant sa découverte et sa défense de la liturgie traditionnelle ont fait un certain bruit, sa voix ne pouvant être ignorée. Il fut l’un des intervenants au colloque du 14 octobre à Rome à l’occasion du pèlerinage Summorum Pontificum
— Quel a été le rôle de la découverte de la liturgie catholique traditionnelle dans la croissance de votre foi catholique ?
— C’est la découverte de la liturgie traditionnelle qui m’a ramené vers l’Eglise. Je ne suis pas un théoricien, ni un philosophe, mais au contraire une personne empirique – la liturgie traditionnelle fut pour moi la forme visible de l’Eglise et, ainsi, l’Eglise elle-même. La religion de l’Incarnation possède un rite de l’incarnation. Le côté physique du rite me convainc car le Dieu des chrétiens a été physique.
— Que changeriez-vous aujourd’hui à vos propos tenus dans votre ouvrage La Liturgie et son ennemie, l’hérésie de l’informe, paru (en tout cas dans sa traduction française) en 2005 ?
— Après avoir envoyé d’innombrables lettres à Rome, il m’est apparu clairement que, au cœur de l’Eglise, il n’y avait aucune volonté forte de vraiment encourager la liturgie traditionnelle. Le pape Jean-Paul II ne portait aucun intérêt à la liturgie et le cardinal Ratzinger se heurta à une violente résistance contre tout ce qu’il voulait faire pour la liturgie. J’étais convaincu d’écrire pour une cause perdue. Par contre, la situation de la liturgie se présente mieux aujourd’hui.
— En 2005, vous écriviez notamment que le catholique attaché au rite traditionnel n’avait « pas droit à l’espoir ». L’a-t-il désormais, et dans quelle mesure ?
— Il serait ingrat de prétendre que Summorum Pontificum n’a pas considérablement amélioré la situation du rite traditionnel. Le plus gros espoir repose sur les jeunes prêtres, beaucoup plus favorables à l’ancien rite. Mais nous ne devons pas oublier que le combat est loin d’être terminé. La majorité des catholiques a perdu le sens liturgique. Beaucoup de catholiques pieux ne comprennent absolument pas le problème du sauvetage de la liturgie traditionnelle. A cela s’ajoute encore et toujours l’incompréhension d’une grande partie des évêques. Mon espoir se fonde sur une conversion imprévisible des mentalités – elle seule peut permettre une vaste reconnaissance du rite traditionnel.
— Nous fêtons en 2017 les dix ans du motu proprio de Benoît XVI, qui a précisément déclaré que le rite traditionnel n’avait jamais été interdit, contrairement aux assertions de nombreux prêtres et même d’évêques, rite traditionnel que le pape a voulu sortir des catacombes. Mais qu’en est-il aujourd’hui sur le terrain ? En Allemagne, par exemple ?
— Il y a effectivement beaucoup plus de lieux où peut être célébré le rite traditionnel, mais c’est de loin très insuffisant. Avant tout, les prêtres diocésains sont empêchés de célébrer le rite traditionnel. Dans les paroisses ordinaires, seule une petite partie des catholiques a la possibilité d’apprendre à le connaître. Celui qui le recherche peut maintenant le trouver en Allemagne, mais pour le chercher, on doit le connaître – et la majorité en est encore très éloignée.
— Vous posez le problème des cantiques chantés durant la messe en Allemagne, qui n’y ont pas une place très ancienne (insérés pour répondre au protestantisme). Ne rejoignez-vous pas en cela le cardinal Sarah et sa louange du silence ?
— Le problème des chants est avant tout qu’ils dissimulent le déroulement de la liturgie. La liturgie est confuse pour les paroissiens quand ceux-ci chantent et que le prêtre est en train de faire quelque chose de tout à fait différent. C’est un problème essentiellement allemand, qui n’est pas encore trop important, à savoir que la plupart des chants sont fort beaux mais qu’ils dérangent la liturgie. L’éloge du silence dont le cardinal Sarah a parlé rejoint avant tout, je pense, le silence du Canon, qui n’est naturellement pas prononcé à haute voix.

Mon plaidoyer contre les chants était avant tout un plaidoyer en faveur de la chorale grégorienne, un retour à la musique essentielle de l’Eglise, une musique qui est partie intégrante de la liturgie et non pas sa décoration.
— Vous remarquez que l’antiritualisme actuel est dû plus à une faiblesse religieuse, à une sorte d’asthénie, qu’à une passion religieuse. N’est-ce pas pire que tout ?
— Oui, c’est bien plus grave ! Les anciennes hérésies se caractérisaient par une violente passion – les hérétiques étaient souvent prêts à risquer leur vie et leurs adhérents étaient fréquemment de véritables ascètes – pensez seulement au calvinisme français. La crise actuelle est le résultat d’un embourgeoisement de l’Eglise et propage une médiocrité bourgeoise. Elle produit une hérésie de l’indifférentisme.
— Aujourd’hui à Rome, en septembre 2017, pour cet anniversaire du motu proprio Summorum Pontificum, ne voyons-nous pas « ces prêtres et ces moines inflexibles maintenant en vie la tradition par leur résistance, pour qu’elle n’ait pas un jour à être reconstruite de manière livresque » que vous appeliez de vos vœux ?
— Effectivement, cela fait partie du grand bonheur de ce colloque romain de voir combien bon nombre de jeunes prêtres et de moines se tiennent prêts à reprendre le flambeau. Au regard du nombre total des catholiques dans le monde, ils restent peu nombreux, mais cependant suffisamment pour maintenir en vie la question du rite. C’est aussi un avantage particulier qu’il y ait désormais beaucoup de communautés spirituelles d’un caractère très différent qui s’emploient à maintenir le rite traditionnel – c’est vraiment catholique et montre que le rite a sa place dans toutes les formes imaginables de spiritualité.

Propos recueillis par Anne Le Pape
  • La Liturgie et son ennemie, l’hérésie de l’informe, Martin Mosebach, éd. Hora Decima, 196 pages, 18 euros.