18 janvier 2019

[François Hoffman - Monde&Vie] Requiem pour Ecclesia Dei?


SOURCE - François Hoffman - Monde&Vie - 18 janvier 2019

C'est la rumeur: parmi les réformes de la Curie, la suppression de la Commission Ecclesia Dei -commission actuellement responsable des communautés de rite traditionnel ralliées à Rome- serait envisagée. l'annonce en a surpris plus d'un
Souvenez-vous : le 2 juillet 1988, lorsqu'il condamna les sacres de Mgr Lefebvre, Jean-Paul II avait institué une commission Ecclesia Dei par le biais du Motu proprio éponyme. Cette commission devait remplacer la fameuse commission composée de prélats romains et de membres de la FSSPX prévue par le protocole d'accord du 5 mai 1988. Cette dernière ne vit pas le jour en raison du retrait en dernière minute du fondateur d'Écône. Mais Jean-Paul II eut l'idée de créer une instance destinée à faciliter l'application d'un Motu proprio, qui avait pour mérite de sortir la messe traditionnelle de l'interdiction de fait dont elle était victime.

Au cours de ses premières années, cette Commission eut la réputation de freiner les demandes de célébration de la messe traditionnelle, s'abritant parfois derrière une lénifiante langue de bois toute ecclésiastique. Présidée par le cardinal Mayer, elle fut confiée par la suite à des figures plus insignifiantes et moins engagées pour le rite tridentin. Il faut attendre le cardinal Castrillón Hoyos en 2000 pour que la commission redevienne un organisme plus dynamique. Dirigée par le prélat colombien, elle a pu se targuer d'un beau tableau de chasse" : on lui doit la réconciliation avec certaines communautés proches de la FSSPX : ainsi fut créée l'administration apostolique de Campos en 2002 (héritière de ce camarade de combat de Mgr Lefebvre que fut Mgr de Castro Mayer), et puis la mise en place de l'Institut du Bon Pasteur. Elle a surtout accompagné la libération du rite romain traditionnel par le Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007.

Pour la Fraternité Saint-Pie X, le bilan de la Commission est plus contrasté : elle porte en elle la condamnation des sacres d'évêques illégaux en 1988. En 2009. Benoît XVI, très attaché aux discussions doctrinales avec la FSSPX, rattacha Ecclesia Dei à la Congrégation pour la doctrine de la foi, sous la houlette du cardinal Levada. Présidée par Mgr Pozzo, elle a été l'instance de discussion avec Menzingen. Des discussions doctrinales qui ont toujours échoué.

On envisage aujourd'hui sa suppression Pour certains, cela traduirait une mauvaise volonté vaticane et un risque de marginalisation de l'ancien rite. Ce n'est qu'une hypothèse. Pour d'autres, la raison de cette suppression serait plus technocratique : une réorganisation administrative au sein de la curie romaine. Enfin, pour certains observateurs, François ne fait que répondre à un grief classique de la FSSPX. II supprime ce qui, même subliminalement, incarnait la condamnation de la Fraternité. En un sens, il la prend au mot. Benoît XVI avait répondu aux préalables de Mgr Fellay. François, lui, continue le travail en purgeant la curie romaine de certaines échardes du passé. La FSSPX en rêvait, François l'a fait ?
Conséquences pratiques
Que sera le monde traditionnel sans Ecclesia Dei? On peut d'abord supposer une réintégration dans le droit commun de différentes questions. Ainsi, la question du rite relèverait de la Congrégation pour le culte divin. La Commission avait donné certaines indications - heureuses ou maladroites - concernant la gestion » du rit traditionnel. Ainsi, c'est elle qui a permis le retour à certaines rubriques d'avant Jean XXIII. Inversement, elle a autorisé certaines réformes dans le sens du Missel de 1965. Il en irait de même pour d'autres questions, comme les vœux ou les ordres religieux : les congrégations romaines compétentes seraient les interlocuteurs des instituts Summorum Pontificum. Rappelons que la FSSPX a toujours eu recours aux instances romaines sans passer par Ecclesia Dei.

Quelles pourraient être les dangers, si la suppression de la commission était confirmée ? On peut songer à davantage de variations dans l'usage du rite traditionnel. C'est en effet Ecclesia Dei qui avait retenu comme étalon l'édition de 1962. Par ailleurs, voilà les Communautés Ecclesia Dei bientôt immergées dans le droit commun de l'Eglise. Les acteurs, de part et d'autre, sont-ils assez mûrs pour cela?