Les dimanches matin, la petite église de Saint-Benon, dans le vieux Varsovie, est toujours pleine. Cela n’a rien de singulier dans une Pologne qui reste encore très pratiquante. Mais Saint-Benon n’est pas une église comme les autres. Le prêtre y célèbre la messe en latin, le dos tourné aux fidèles. «Ici je peux vraiment vivre le mystère de Dieu, dit un jeune traditionaliste polonais, Tomasz Sulewski. Je ne risque pas de tomber sur un prêtre novateur qui cherche à plaire et à rendre la messe attractive. Le Dieu que je cherche n’est pas un copain. A l’église, je ne veux pas que l’on saute ou que l’on danse.»
Trop progressiste. Une dizaine d’églises ont opté pour le        rite traditionnel. Quand le pape Benoît XVI l’a autorisé par son Motu        Proprio (décret pontifical) du 7 juillet        2007, les traditionalistes ont été soulagés. «Seuls quelques prêtres        avaient obtenu ces dernières années du Vatican le droit de dire "la       messe universelle" - une autre appellation de la       messe d’avant le concile Vatican II - et il nous était       difficile de procéder aux baptêmes, mariages et autres sacrements dans       ce rite», raconte Izabela Jurek. Cette pratiquante suit la messe en        latin depuis une quinzaine d’années, date à laquelle les premières        messes traditionnelles ont été permises à Poznan. Désormais, pour la célébrer,        il n’est plus nécessaire de demander une autorisation de l’évêque        diocésain. Le pape allemand Benoît XVI est allé plus loin que Jean        Paul II qui, en juillet 1988, avait autorisé dans les paroisses        diocésaines une seule messe à l’ancienne par dimanche et jour de fête.        En Pologne, l’élection du cardinal Ratzinger a réjoui ceux pour qui le        pape Wojtyla était trop progressiste.
Les anciens missels sont de nouveau recherchés. Tomasz en a trouvé un        sur Internet, puis un autre dans sa famille. Pour satisfaire la demande,        une maison d’édition publie désormais les textes liturgiques en        version bilingue, latin et polonais. Sur l’autel de l’église        Saint-Benon repose un beau canon en latin, financé par les        traditionalistes. L’église collecte aussi de l’argent pour acheter un        candélabre ancien à une église qui vient de fermer ses portes en Europe        occidentale. «Autrefois nous avions le sentiment d’être rejetés.        Aujourd’hui, ce n’est plus le cas », dit Mme Jurek.
Quand elle a appris par Internet que le pape Benoît XVI avait célébré        à Rome, le 13 janvier, face tournée vers l’autel et non plus vers        le public, ce fut «une grande joie». Même si cette messe n’a        pas été dite en latin, les traditionalistes y ont vu un geste très        important et un signe que Joseph Ratzinger entend réviser l’application        de la réforme liturgique Vatican II. «La réforme de la réforme        est nécessaire si l’Eglise veut faire face à la laïcisation du monde.       Si les gens quittent l’Eglise, c’est souvent parce qu’ils n’y       retrouvent plus Dieu», pense Izabela Jurek. Cette dévote est indignée        de ce qu’elle appelle «les excès des prêtres en France, qui        laissent les fidèles en manteau de fourrure distribuer la communion sur        la main et qui ne s’agenouillent pas une seule fois au cours de la messe».
Nostalgie. Comme le modernisme, le retour à la tradition est        venu de France. « On a tout essayé, parfois jusqu’à la        caricature. Si des gens ne s’y retrouvent pas, c’est peut-être parce        qu’ils pensent que la réforme est allée trop loin», souligne le père        Krzysztof Stepowski, qui célèbre la messe en latin depuis six ans.        L’ecclésiastique pèse ses mots : «Je ne suis pas contre Vatican II,        mais une réforme de la réforme serait une bonne chose. La tradition est       un aspect fondamental de l’église.» Il s’empresse de souligner        qu’il n’est pas question de fondamentalisme : «Tout doit reposer        sur l’unité et la soumission au pape.» C’est ce qui oppose les        traditionalistes aux partisans de Mgr Lefebvre qui, sous        le nom de Fraternité Saint-Pie-X, sont présents en Pologne depuis 1993.
Plus qu’adeptes d’un courant de pensée, les traditionalistes sont        les champions de la nostalgie. «En Pologne, les traditionalistes ne        représentent que quelques centaines de personnes, c’est avant tout du       snobisme », veut croire Krzysztof Golebiewski, un journaliste        de l’agence de presse catholique KAI.
