Tout d’abord mes félicitations pour tout le travail que       vous accomplissez et pour le souci constant que vous avez de vouloir la       sanctification du troupeau.
Ma question porte, suite à la promulgation d’une       nouvelle oraison pour la conversion des juifs par le pape.
Pourriez-vous nous donner votre éclairage sur le sujet ?       S’agit-il d’une promulgation diplomatique ? S’agit-il d’une       promulgation qui reste dans le cadre d’une possible réforme liturgique       au sens catholique du terme ?
Je vous remercie par avance de votre réponse sur ce sujet       délicat et fort important.
Bien chère Marie Alix,
Avant de traiter d’un sujet aussi délicat, il faut         savoir de quoi l’on parle. Aussi, avant toutes choses, je vous propose         la relecture des trois formules de prières pour les juifs, du Vendredi         saint.
1/ la formule du missel de 1962, suppression faite du         fameux « perfidis » décidée par Jean XXIII en 1959.         « Oremus et pro (perfidis) judeis : ut Deus et Dominus noster         auferat velamen de cordibus eorum ; ut et ipsi agnoscant Jesum         Christum Dominum Nostrum. Oremus. Flectamus genua. Levate. Omnipotens         sempiterne Deus qui Judeos etiam a tua misericordia non repellis ;         exaudi preces nostras, quas pro illius populi obcaecatione deferimus ;ut,         agnita veritatis tuae luce, quae Christus est, a suis tenebris eruantur.         Amen. »
2/ La formule du missel de Paul VI de 1969 :         « Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé en premier :         Qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité à son         alliance. (silence). Dieu éternel et tout-puissant, toi qui a choisi         Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis         à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l’Alliance,         comme ton Eglise t’en supplie. Par Jésus, Le Christ, notre Seigneur »
3/ La formule du pape Benoît XVI, proposée et rendue         obligatoire par la note de la Secrétairie d’Etat le 4 février 2008 :         « Oremus et pro Judeis ; ut Deus et Dominus noster illuminet         corda eorum, ut agnoscant Jesum Christum salvatorem omnium         hominum.Oremus. Flectamus genua. Levate. Omnipotens sempiterne Deus, qui         vis ut omnes homines salvi fiant et ad agnitionem veritatis veniant,         concede propitius, ut plenitudine gentium in Ecclesiam Tuam intrante         omnis Israël salvus fiat. Per Christum Dominum Nostrum. Amen. »
Quelques remarques factuelles, avant d’aller plus         loin. J’ai rapporté la seconde formule pour mémoire : elle         n’est pas l’objet direct de votre question ni de mon analyse. La pérennité         de l’alliance ancienne demanderait évidemment une herméneutique sérieuse.         Cette formule reste en vigueur dans la forme ordinaire et ne se trouve         pas modifiée. Car la modification du pape actuel ne porte que sur la         forme extraordinaire : elle remplace la première par la troisième,         sans modifier en rien la seconde. Le Pape a choisi de ne pas imposer la         seconde : nous en prenons acte.
On notera ensuite que le tapage médiatique actuel         autour du « perfides », qu’il soit journalistique ou         traditionaliste, est simplement ridicule : voila plus de 50 ans que         ce mot avait été officiellement retiré de la liturgie. Et je crois,         pour en finir avec ce mot, qu’il faut comprendre pourquoi il était         devenu un contre sens dans le vernaculaire. Car le mot latin désigne         quelqu’un qui passe au travers de la Foi, à côté, outre, ce qui est         manifestement le cas des juifs dont la plupart ne croient pas que Jésus         soit le Messie d’Israël et encore moins que ce Messie soit le Fils         Unique de Dieu. Ils sont donc « perfides » au sens latin du         mot, objectivement, d’une qualification théologique. Mais la liturgie         ne saurait les qualifier de « perfides » au sens que ce mot         revêt en français courant. La qualification morale et hyper-péjorative         saute aux yeux et ne s’accommode guère du style d’une prière qui         supplie Dieu et ne règle pas des comptes ! Dans le dictionnaire         HATIER que j’ai sous la main, « perfide » signifie :         traître, qui manque à sa parole, déloyal. Le juif actuel, éduqué         dans le talmudisme strict est sans doute aveugle (obcaecatio dans         l’ancienne oraison, reprise par la nouvelle qui demande toujours une         illumination) sur la messianité de Jésus et plus encore sur sa divinité :         c’est un fait. Mais nul n’a le droit, surtout en citant à tort la         liturgie traditionnelle, de penser qu’il soit un traître, un homme         qui manque à sa parole (laquelle ?), un homme déloyal. Relisez         les textes de Saint Paul pour vous en convaincre : il parle bien         d’un voile sur leurs yeux (et l’on peut déplorer que cette forte         image paulinienne ait disparue) mais il n’affuble les juifs de         qualificatifs redoutables (2 Thess ou Gal par exemple) que dans la         mesure où ils persécutent les chrétiens et empêchent la diffusion de         l’Evangile. Ne pas tout confondre, s’il vous plaît. Il les aime         passionnément, de toute évidence et voudrait être anathème lui-même         pour leur salut !
Les éléments de l’ancienne oraison se trouvent tous         dans la nouvelle, une certaine violence des termes ou de références en         moins. Tous mal compris, comme on va le voir. La théologie y est         strictement la même, c’est évident. La référence supprimée au         « voile posé sur les cœurs » n’était pas du tout péjorative         chez saint Paul (2 Cor 3. 15) puisque c’est Dieu qui pose le voile et         non les juifs et que l’Apôtre y ajoute aussitôt : « dès         que leurs cœurs se seront tournés vers le Seigneur, le voile sera levé ».         On sait que ce voile est celui que Moïse mettait sur son visage pour         cacher aux fils d’Israël la gloire passagère de son sublime contact         avec Dieu (idem 3.13). Quel changement de perspective !
Mais Saint Paul revient deux fois : dans la volonté         salvifique universelle de l’épitre à Timothée et surtout dans la         dernière demande « ut omnis Israël salvus fiat ». Avant         que quelque agité de la contestation nous fasse une exégèse bizarre         de cette phrase difficile, qu’il prenne garde quand même qu’elle         est de Saint Paul (Rom 11.25) ! Car à première vue, Israël         pourrait désigner « l’Israël de Dieu » de l’épitre         aux galates (6.7) qui est l’Eglise, ceux qui sont une « nouvelle         créature » dans le Christ et on ne voit pas bien pourquoi il         faudrait le sauver. Ou bien il s’agirait seulement de l’Israël de         l’ancienne alliance et le « omnis » n’a plus aucun sens.         Saint Paul dit clairement ce que signifie là son « omnis Israël ».         Citons-le : « c’est qu’une partie d’Israël est tombée         dans l’aveuglement jusqu’à ce que la masse des gentils soit entrée.         Et ainsi tout Israël sera sauvé ». Et l’Apôtre d’expliquer         le plan de Dieu qui fait désobéir pour faire miséricorde, les païens         (devenus chrétiens) d’abord et les juifs ensuite (« jugement         insondable » s’exclame-t-il !). Il s’agit donc, dans la         pensée de Saint Paul, de réunir enfin les deux parties d’Israël,         divisées à présent : celle de l’ancien testament y compris la         génération apostolique avec la seconde qui doit rentrer en masse quand         les nations seront gagnées. Le « omnis » devient alors très         clair : il manque dans l’Eglise la deuxième partie d’Israël,         tant que la plénitude des Nations n’est pas entrée ; « ut         plenitudine gentium in Ecclesiam Tuam intrante ». Toujours Saint         Paul. Cette façon de prier pour les juifs est magnifique : elle         appelle de ses vœux la réunification d’Israël promise par         l’Ecriture, dans l’Eglise, et donne à entendre à tous les non chrétiens         que ce sont eux qui retardent la chose. « Car Dieu a enfermé tous         les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous ».         (11.32). Avis à tous les polémistes primaires qui ne perçoivent pas         la question des juifs comme un mystère que Dieu seul se réserve. Et         pour s’en sortir, un bon conseil : relire l’épitre aux romains         et s’aviser enfin que c’est bien plus intelligent que votre prêt à         penser.
Quant aux inquisiteurs qui font observer (sur le Forum         Catholique…) que Jésus n’y est pas appelé par son titre de Fils de         Dieu, je leurs réponds qu’un homme simple ne saurait être le Sauveur         de tous les hommes, allons ! Et que les juifs admettant (par         illumination) que Jésus est le Messie et le Sauveur de tous les hommes         viendraient évidemment à la perception de sa divinité. En outre, je         signale à ces érudits que le « per Christum Dominum »         final signifie « par le Christ Seigneur » et que le mot         Seigneur au singulier, avec majuscule « Le Monsieur » (en hébreux         « Adonaï » en grec « Kyrios ») est celui que         les juifs employaient pour désigner Dieu parce qu’ils         s’interdisaient par respect de prononcer son vrai nom « Jahvé ».
Je prendrai donc cette magnifique prière parce que         c’est un ordre, mais aussi parce qu’un pape qui connaît si bien         Saint Paul mérite, appelle, notre piété filiale.