Dom Gérard est mort vendredi 29 février 2008
par Yves Daoudal
Ce matin le monde s’est réveillé sans dom Gérard. Et        le monde ne le sait pas.
Dom Gérard est mort à cette terre le jour de la mi-carême.        Au milieu de la nuit difficile du carême. Et le monde est encore plus        sombre, car un luminaire s’est éteint.
Le 30 janvier les Eglises byzantines célèbrent les        « trois luminaires » : saint Basile le Grand, saint Grégoire        le Théologien, saint Jean Chrysostome. Aujourd’hui je comprends        brutalement le sens de cette expression.
J’aurai eu la grâce, le privilège, de connaître, au        XXe siècle presque finissant, trois        luminaires. Gustave Thibon, l’abbé Bryan Houghton, dom Gérard. Et je        pense à mon pauvre ami Gérard Prieur qui était leur ami beaucoup plus        que moi et dont la maison, là-bas à Richerenches, au carrefour de        Saint-Marcel, de Viviers et du Barroux, est imprégnée de leur présence.
Gustave Thibon, l’abbé Bryan Houghton, dom Gérard :        le paysan de l’Ardèche, le grand aristocrate britannique, le rejeton de        la bourgeoisie bordelaise ; le mystique héritier de Simone Veil, le        prêtre vivant de et pour son seul sacerdoce, le moine rebelle devenu père        abbé ; trois personnalités aussi dissemblables que possible, unies        dans une même foi, dans une même contemplation du Mystère, dans une        amitié surnaturelle. Trois personnages qui avaient en commun une immense        simplicité, celle qui est le fruit de la vérité, de la liberté et de        l’amour.
« Voilà un authentique israélite, en qui il n’y        a aucun artifice », en qui il n’y a rien de trompeur, s’exclame        Jésus en voyant Nathanaël. Car il est très rare de rencontrer des gens        qui soient véritablement sans artifice, qui soient véritablement        simples, et c’est encore plus rare quand il s’agit de gens qui ont des        responsabilités, ou un certain renom.
« Si ton œil est simple, tout ton corps sera        lumineux », dit Jésus. L’œil est simple quand il regarde Dieu et        ne se laisse distraire par rien sur cette terre. Et alors c’est toute la        personne qui est lumineuse, qui est un luminaire.
Dom Gérard est le seul homme qui, au XXe        siècle de ténèbres, a construit un monastère ex nihilo. Un grand        monastère, entièrement dédié à l’œuvre et à la prière bénédictine.        Entièrement voué à la liturgie latine et grégorienne, à la messe de        saint Pie V. Un monastère où l’on vient du monde entier. Le petit        moine rebelle qui s’était fait ermite à Bédoin est devenu le Très Révérend        Père dom Gérard, officiellement Abbé de l’abbaye Sainte-Madeleine,        reconnu comme tel par Rome, reconnu dans sa spécificité liturgique, de        par la volonté notamment du cardinal Ratzinger. Et lorsque le monastère        a édité un beau missel, ce fut avec une préface du futur pape.
Le luminaire a allumé d’autres lumières. D’autres        monastères sont nés du Barroux, et d’autres monastères encore ont        retrouvé la liturgie traditionnelle. Prions pour que le flambeau du        Barroux continue de briller dans cette nuit qui s’étend sur le monde.
Erat autem nox.
(NB. Parmi ses très nombreux écrits, Dom Gérard laisse        au moins deux livres essentiels : pour savoir ce qu’est la        liturgie, il faut lire ce lui qui est intitulé La Sainte Liturgie. Pour        savoir ce qu’est la chrétienté, il faut lire Demain la chrétienté.)
