21 juillet 2008

[Abbé Claude Barthe] Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre I - " Un premier bilan" et " Les rouages du processus de nomination"
21 juillet 2008 - lettre 122 de paixliturgique.com
Les Nominations Episcopales en France : Les lenteurs d’une mutation
Chapitre I - " Un premier bilan" et " Les rouages du processus de nomination"
Nous entreprenons avec cette lettre 122 la publication intégrale en quatre parties de l'excellente étude de l'abbé Claude Barthe sur " les nominations épiscopales en France" un texte qui nous fait comprendre bien des choses à propos de la situation actuelle au sein de l'Eglise de France...

A travers une « radioscopie » des nominations épiscopales de ces dernières années, Claude Barthe met à jour les mécanismes qui, favorisant la cooptation, expliquant l’étonnante lenteur que met le monde épiscopal français à se renouveler. Or, c’est précisément en raison de cet immobilisme apparent qu’aucune réflexion sur une mutation profonde de la pastorale ne se dessine.
Cette réflexion est d’autant plus urgente qu’une part du clergé français attend aujourd’hui une nouvelle donne pastorale, un nouveau style d’évêques, une nouvelle visibilité de l’Eglise. Ces clercs, formés dans le contexte désastreux de l’après-concile et en réaction contre lui, reprochent à leurs aînés et à leurs supérieurs de ne pas vouloir tirer les conséquences des erreurs passées.
Si-dans les années à venir ce que représente l’élection du pape Benoît XVI était appliqué en France, une union des forces vives du catholicisme serait possible. En effet, à moyen terme, tout est suspendu à l’émergence d’une nouvelle sensibilité dans l’épiscopat français.

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ISBN 978-2-915844-12-2, 64 pages
Diffusion/distrinution : Serdif
NB : Les notes de l'auteur sont incorporées par nous en italique dans le texte lui-même

LES NOMINATIONS EPISCOPALES EN FRANCE : LES LENTEURS D'UNE MUTATION


INTRODUCTION : PREMIER BILAN



Lors de l’accession au souverain pontificat de Benoît XVI, le 19 avril 2005, une onde d’espérance a soulevé cette part du clergé français, peu nombreuse en soi mais proportionnellement toujours plus importante, qui attendait impatiemment une nouvelle donne, avec un nouveau style de pasteurs, une nouvelle pastorale de visibilité de l’Eglise, l’utilisation ouverte de toutes les ressources humaines, y compris traditionalistes, en un mot une salutaire « remise des pendules à l’heure » [Le contenu de ce carnet a fait l’objet d’une publication dans L’Homme nouveau, sous forme de quatre dossiers successifs : « Radioscopie de l’épiscopat français », 24 juin 2006 ; « Episcopat francs : d’hier à aujourd’hui », 30 septembre 2006 ; « Retour sur l’ère Lustiger », 12er mars 2008 ; « Des évêques pour une « troisième voie », 15 mars 2008].

Ces clercs, formés dans le contexte désastreux de l’après-Concile et en réaction contre lui, reprochent à leurs aînés et à leurs supérieurs de ne pas vouloir tirer les conséquences des erreurs passées. Surtout dans les zones rurales, où ils s’épuisent à saupoudrer cultuellement une quantité toujours plus grande d’églises pour un nombre toujours plus réduit de paroissiens, mais leur désir de rupture avec des expériences désastreuses reste, à ce jour, étouffé. Beaucoup d’évêques, demeurant encore trop souvent, par conviction ou en raison de la pression de leur entourage, conformes au modèle des « années de plomb », maintiennent au niveau diocésain ou à celui des ensembles pastoraux tout un ensemble de structures, de bureaux et de conseils.

Pourtant, deux mois seulement après l’élection du nouveau pape, est intervenue la nomination de Mgr Raymond Cenène à l’évêché de Vannes, désignation étrangère à tous les réseaux habituels de « fabrication » d’évêques, comparable à la toute récente désignation de Mgr Nicolas Brouwet, curé de Saint-Pierre de Neuilly-sur-Seine, comme auxiliaire de Mgr Daucourt, à Nanterre. Mais l’ensemble des nominations durant les trois premières années du pontificat de Benoît XVI ont fait retomber un optimisme sans doute trop impatient. Les procédures ont continué à fonctionner de manière accoutumée : Mgr Nourrichard, nommé à Evreux dans la droite ligne de son « progressiste » prédécesseur, Mgr David, qui se l’était fait donner pour coadjuteur en le choisissant parmi les hommes de confiance de son ami Mgr Duval, ancien archevêque de Rouen ; Mgr Grua, longtemps vicaire général à Digne, où il faisait régner avec efficacité le « religieusement correct », nommé à Saint-Flour par la grâce du cardinal Panafieu ; Mgr Pontier, vice-président de la Conférence des Evêques, promu de La Rochelle à Marseille. Sans parler de Mgr Mathieu, désigné comme évêque de Saint-Dié sous le précédent pontificat, premier évêque de France consacré en aube, sans chasuble ; on peut évoquer les classiques, mais aussi peu avenants que possible aux traditionalistes (au moins jusqu’à ce jour), Mgr Benoît Rivière, auxiliaire de Marseille, nommé évêque d’Autun, et Mgr Alain Castet, curé de Saint-François-Xavier à Paris, nommé évêque de Luçon. On pourrait continuer : quel changement manifestent des nominations comme celles de Mgr de Kérimel à Grenoble, de Mgr Lalanne, secrétaire de la Conférence des Evêques, à Coutances ou de Mgr Jacolin à Mende ? Quelle nouveauté, le transfert de Mgr Houssin de Montauban à la Rochelle, celui de Mgr Maillard de Laval à Bourges, de Mgr Santier de Luçon à Créteil ou de Mgr Ulrich de Chambéry à Lille ?

Certes, tout le monde peut évoluer, même un évêque : Mgr Pansard, « poussé » à Chartres, selon l’expression consacrée, par Mgr Favreau, prédécesseur de Mgr Daucourt à Nanterre, et ordonné au son du tam-tam, s’est cependant montré toujours plus accueillant pour le pèlerinage de chrétienté dans sa cathédrale et d’une tolérance très paternelle pour l’installation à Courtalain de l’Institut du Bon Pasteur, auquel il a même confié le service de l’église du village. Le Motu Proprio Summorum Pontificum aidant, cette évolution, encore timide mais sensible, n’est d’ailleurs pas exceptionnelle. Par ailleurs, deux nominations où l’on reconnaissait les ultimes effets de l’influence du cardinal Lustiger sont venues, non pas inverser mais tempérer la déception de ceux qui attendaient des changements significatifs : celle de Mgr Legrez, dominicain de grande réputation spirituelle, qui avait un temps collaboré avec l’inclassable ami du cardinal de Paris, le P. Garrigues, dans la Fraternité des moines apostoliques de Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence), au diocèse de Saint-Claude (lequel s’avère au reste ingouvernable) ; et celle de Mgr Le Vert, qui était passé un temps dans la quasi traditionaliste Communauté Saint-Martin, d’abord auxiliaire de Meaux, puis évêque de Quimper.

De plus, des classiques ont fait une (timide) apparition ; outre Mgr Centène et Mgr Brouwet dont je viens de parler, Mgr Wintzer a été imposé comme auxiliaire à Mgr Rouet, à Poitiers ; le cardinal Barbarin a poussé son auxiliaire Mgr Giraud, comme évêque coadjuteur de Soissons ; Mgr Lebrun a été nommé à Saint-Etienne ; Mgr Ginoux a été propulsé par la recommandation de Mgr Cattenoz à Montauban. Si l’on ajoute la nomination de deux évêques auxiliaires à Paris et le transfert de Mgr Robert Le Gall de Mende à Toulouse, on compte tout de même environ vingt-cinq nominations ou transferts en trois ans. Autrement dit : un quart de l’épiscopat français a été modifié depuis l’élection de Benoît XVI. Or, le paysage épiscopal de l’hexagone est resté pratiquement inchangé. En France donc, sur le point ecclésialement le plus déterminant pour une réforme de l’Eglise, à savoir le gouvernement des diocèses, l’effet Benoît XVI n’a, pour l’instant, pratiquement pas joué.

Je voudrais donc tenter dans ces pages d’expliquer les mécanismes qui, favorisant la cooptation, expliquent pour une part l’étonnante lenteur que met le monde épiscopal français à se renouveler. Il m’a semblé que, dans un sujet d’une telle conséquence, il fallait pratiquer l’« écrire vrai ». J’insiste sur le fait que la déception n’est pas tant le fait des traditionalistes que de ces prêtres que l’on appelle, avec une connotation inverse à celle des années soixante, « les nouveaux prêtres », proportionnellement toujours plus nombreux [Je dis bien hélas, proportionnellement : dans tel diocèse particulièrement éprouvé, les « nouveaux prêtres » en activité formeront dans dix ans la moitié du presbyterium, c'est-à-dire qu’ils seront trois sur six].


Le plus angoissant pour l’Eglise de France est que la reconduction d’une pastorale toujours identique se fait dans un contexte dont on connaît l’extrême gravité (on a parlé, à propos de certains diocèses, de « coma dépassé »), mais sans encore en prendre la mesure exacte : dans des régions entières, le sacerdoce est en voie d’extinction, les cours de catéchisme sont fréquentés par une poignée d’enfants, les paroissiens continuent à vieillir et à se clairsemer. Pire encore : dans tel ou tel diocèse parmi les plus durement touchés, la proportion entre le nombre de prêtres encore en activité et le nombre de fidèles vraiment pratiquants n’a jamais été… aussi forte : un prêtre pour une petite centaine de fidèles. C’est un cercle infernal : il y a toujours moins de pratiquants et donc toujours moins de vocations ; mais comme les prêtres restent en activité fort longtemps, il sont parfois… trop nombreux pour les fidèles qui restent ! Et cependant, dans ces diocèses financièrement et humainement exsangues, on continue à organiser à grands frais des synodes diocésains (ou plus modestement, des « assemblées générales diocésaines », comme au Mans) dont tout le monde sait qu’ils ne servent à rien, on s’échine à planifier des regroupements paroissiaux alors que l’heure est en réalité au regroupement de diocèses dans lesquels on ne célébrera bientôt plus qu’une poignée de messes dominicales, et surtout on persiste à laisser se coopter entre eux des évêques d’une génération qui gère aujourd’hui la faillite qu’elle a hier programmée.
Or, c’est spécialement parce que le recrutement des pasteurs de diocèse reste en France structurellement conservateur qu’aucune réflexion sur l’ensemble de la pastorale ne se dessine. C’est donc bien du recrutement des évêques de France dont il faut parler avec franchise, en appelant les faiblesses et les maux par leur nom. De même en effet qu’il existe des « structures de péché » dans la société, on peut assurément évoquer des « structures d’immobilisme » dans l’Eglise de France.


CHAPITRE I : LES ROUAGES DU PROCESSUS DE NOMINATION


La préparation de la nomination des évêques est l’une des tâches principales, sans doute la plus absorbante, du nonce apostolique à Paris. C’est actuellement, depuis 1999, Mgr Fortunato Baldelli, 72 ans, qui se dispose sans doute à être appelé à des fonctions romaines conduisant au cardinalat. En raison du départ en retraite des évêque à 75 ans, il arrive qu’il y ait à pourvoir huit à dix sièges par an. Ce qui veut dire que, sur une centaine de sièges français, un renouvellement profond pourrait être théoriquement très rapide, bien plus rapide qu’il n’a été lors de changements historiques de « lignes » imposés à l’épiscopat français sous Pie X ou Pie XI.
Le nonce est donc chargé de présenter les dossiers des candidats possibles au « ministère » romain compétent, la Congrégation des Evêques, dont le préfet est le cardinal Jean-Baptiste Re. L’ambassadeur du Pape établit de nombreuses fiches, recueille des listes de candidats remplissant les critères canoniques (âgés de plus de 35 ans, prêtres depuis plus de cinq ans, compétents théologiquement et ayant de bonnes mœurs [Aussi étonnant que cela puisse paraître, durant les deux ans d’attente du Motu Proprio libéralisant la messe traditionnelle et depuis sa promulgation, dans le climat d’opposition épiscopale larvée que l’on sait, le fait pour les prêtres pressentis d’être favorables à cette libéralisation n’a jamais fait partie des critères examinés]), listes qui sont régulièrement établies à divers niveaux des instances épiscopales. De plus, le nonce interroge beaucoup, à droite et à gauche, c’est bien le cas de le dire. Ceux auxquels il demande de lui donner des noms s’empressent, flattés de penser qu’ils vont « faire » des évêques. En réalité, ces demandes ont plutôt valeur de sondage : elles permettent aux diplomates de l’avenue du Président-Wilson de noter comment sont perçus et par qui sont appréciés les noms portés sur les listes fournies par les évêques eux-mêmes.


Une mécanique complexe où domine la cooptation


Lorsqu’un siège épiscopal est vacant, commence pour l’ambassadeur du Saint-Siège et pour ses collaborateurs un long travail ayant pour but d’établir une liste de trois noms de prêtres ou bien d’évêques [évêques auxiliaires, ou évêques proposés pour être promus à un siège plus important que celui qu’ils occupent] – la terna –, qui puisse être adoptée par le préfet de la Congrégation pour les Evêques. Les noms sont retenus en fonction de savants dosages entre les diverses demandes d’évêques ou d’ecclésiastiques influents, de France ou de Rome. Il faut tenir compte des usages (tel évêché est, selon la coutume établie, un « premier poste », Chartres, par exemple ; à tel autre, Lille, on n’accède généralement que par promotion, c’est-à-dire par transfert d’un autre évêché), maintenir une certaine présence de religieux à l’intérieur du corps épiscopal (actuellement, un bénédictin, plusieurs dominicains, des membres de sociétés diverses), donner une représentation aux nouveaux groupes d’Eglise, soit directement [sept évêques sont actuellement issus de communautés nouvelles], soit indirectement si ces communautés sont considérés comme trop « marquées » [Mgr Le Vert, qui avait appartenu à la Communauté Saint-Martin : Mgr Brincart, qui avait enseigné pour la Communauté Saint-Jean ; et jusqu’à un certain point, Mgr Centène, proche du monde traditionaliste]. Les propres intuitions du nonce comptent assurément : il fut un temps où la possible création d’un séminaire dans le diocèse concerné, ou bien le maintien du séminaire créé (celui de Toulon fondé en 1983 par Mgr Madec, celui d’Aix, en 1984, par Mgr Panafieu) était un critère qui dépassait en importance tous les autres. Mais il est des nonces aplomados, comme on dit en tauromachie, des taureaux piqués et banderillés, par de cruelles déconvenues d’en bas ou d’en haut. Et puis, certaines influences peuvent peser très lourd sur la nonciature, comme je le dirai à propos de celle du feu cardinal Lustiger. Chaque nom est accompagné d’un dossier composé après enquête discrète, dans laquelle les renseignements donnés par l’évêque dont dépend le prêtre sont particulièrement importants, mais aussi ceux des évêques qui l’ont bien connu. Le nonce communique son propre avis, expose les besoins spécifiques du diocèse (état des fidèles, des finances, problèmes en suspens, séminaire à maintenir, etc.), les remarques et suggestions du métropolitain (ce titre est désormais réservé aux archevêques à la tête d’une région apostolique), du président de la Conférence épiscopale et des évêques de la région apostolique, ainsi que le sentiment de membres du clergé et même de quelques laïcs. S’ajoutent la biographie de chacun des épiscopables, les postes qu’il a occupé, ses qualités morales, pastorales, les appréciations de ceux qui le poussent, l’absence, dans le jargon, de « casseroles », de mauvaises affaires qui pourraient ressortir après sa nomination.

Le cardinal Re – il padrone, et même il padrino, comme le nomment des langues romaines acérées – exige en outre que les candidats que lui présente le nonce aient de bonnes capacités administratives et des compétences dans le domaine financier, compte tenu de l’état plus qu’alarmant des finances de nombreux diocèses français. Il lui est arrivé de renvoyer purement et simplement une terna lorsque la situation de quasi faillite financière du diocèse – c’est un cas de figure qui se reproduit de plus en plus – exigeait des candidats ayant fait la preuve de leurs capacités de gestionnaires en matière économique. Pour les évêques auxiliaires ou les évêques coadjuteurs (auxiliaires avec droit de succession), il n’est pas rare que la terna soit proposée par l’évêque qui demande un auxiliaire, avec l’accord du nonce (simple formalité quand il s’agit par exemple de l’archevêque de Paris, Mgr Nahmias et Mgr Beau). Mais, sauf le cas exceptionnel de la succession du cardinal Lustiger, dont je parlerai plus bas, un évêque démissionnaire n’est normalement pas consulté à propos de son successeur, ce qui installerait une cooptation pure et simple (il est cependant arrivé que tel prélat ayant l’oreille du nonce, apprenant qui allait le remplacer, s’y soit opposé efficacement). Les dossiers sont examinés par les employés de la Congrégation des Evêques (dans laquelle la « section française » n’est constituée que par un seul Français, Mgr Joël Mercier, ancien secrétaire de Mgr Orchamp, d’Angers) et franchissent les diverses étapes jusqu’au bureau du secrétaire de la Congrégation, Mgr Monterisi, le numéro deux et personnage clé dans tout dicastère romain.

Il faut aussi savoir que la Secrétairerie d’Etat, une énorme machine, faite de pôles divers voire divergents, cœur du gouvernement de l’Eglise, située au troisième étage du Palais apostolique, au même niveau, mais côté opposé, que les appartements privés du pape, a un rôle de coordination et de direction de l’ensemble des dicastères romains. De sorte que ses services interviennent de diverses manières, au cours de cette élaboration – n’y a-t-on pas fait valoir que Mgr Raymond Centène avait la tare pour un Français… de porter volontiers la soutane ? – de même qu’interviennent d’autres instances ou d’autres prélats qui s’intéressent de près au pays concerné. Entérinée définitivement par le cardinal Re, la terna est alors proposée à l’ensemble des cardinaux et des évêques convoqués en assemblée plénière et constituant à proprement parler la Congrégation. Chaque nom proposé est présenté par un cardinal ou par un évêque de la Congrégation, le « ponant », qui expose ses qualités en fonction des besoins du diocèse. Et les membres de la plenaria sont invités, à tour de rôle, à donner leur avis. Le vote de l’assemblée permet alors de fixer l’ordre dans lequel les trois noms seront présentés au Pape, cette classification étant l’aboutissement de tout le processus préparatoire (théoriquement, car il est parfois acquis bien avant).

Assurément la classification n’oblige pas le Pape, qui peut souverainement décider de choisir le deuxième ou le troisième nom de la terna au lieu du premier, ou même, en soi, un tout autre prêtre ou évêque. En fait, dans bien des cas, le Pape ne connaît pas, ou fort peu, les noms qui lui sont présentés et ne peut que faire confiance aux membres de la Congrégation en choisissant le premier nom. La bulle de nomination est alors préparée pour être présentée à sa signature. Cependant, lorsque le siège est particulièrement important (Paris, Lyon, Milan, Washington, etc.) la nomination est directement l’œuvre du Pape et de ses conseillers les plus écoutés. A la fin du règne de Jean-Paul II, les discussions qu’avait à arbitrer le secrétaire particulier, Mgr Stanilas Dziwisz, entre les cardinaux les plus influents, Sepe, Re, Ratzinger, Sodano, et Mgr Sandri, ont parfois maintenu un suspense haletant jusqu’à la dernière minute. Ainsi, lors du transfert du très conservateur Mgr Carlo Caffarra de Ferrare à Bologne, barré par Mgr Re, mais qui fut emporté par son ami le cardinal Scola, patriarche de Venise, très proche comme Mgr Caffarra, de Communione e Liberazione.

Dans le même temps, en France, en vertu d’accords informels passés lors de la reprise des relations diplomatiques après la Grande Guerre, aux termes desquels le Saint-Siège avait promis de consulter le gouvernement de la République avant la désignation d’un évêque, le nom retenu est présenté par le nonce à la section des cultes du ministère de l’Intérieur. Une enquête rapide est faite (Renseignements généraux, préfets) pour savoir si l’épiscopable pressenti pourrait être considéré comme indésirable (au pire, comme dangereux « pour la forme républicaine de l’Etat », selon la formule consacrée). Dans l’immense majorité des cas, le gouvernement fait savoir courtoisement qu’il n’élève aucune objection à cette courtoise interrogation, au point que la procédure est pratiquement devenue de pure forme diplomatique. Même en Alsace-Moselle, où sont encore en vigueur le Concordat de 1801 et les Articles organiques de 1808, qui prévoient que la désignation des évêques soit faite par décret du Président de la République, sanctionné ensuite par l’investiture canonique du pape, la véritable désignation est romaine, étant davantage considéré, il est vrai le sentiment des autorités publiques [sauf, il va de soi, lorsque les autorités publiques se montrent trop « traditionalistes », et cherchent par exemple – Georges Pompidou étant premier ministre, André Malraux, ministre de la Culture –, à préconiser le chanoine Roussel, curé de Port-Marly, tout à la fois gaulliste et célébrant selon le rite tridentin, pour l’archevêché de Strasbourg].

La bulle d’investiture est ensuite enregistrée en Conseil d’Etat. (Pour les évêques auxiliaires, il en va théoriquement de même, mais cela est plus encore de pure forme : ainsi le Conseil d’Etat a-t-il accepté la bulle nommant Mgr Kratz évêque auxiliaire de Strasbourg le 17 janvier 2001, lequel avait été déjà consacré le 14 janvier).
L’effet principal de la procédure ordinaire auprès du ministère de l’Intérieur, qui précède l’annonce de la nomination de l’évêque, est d’ordre anecdotique : la section des cultes s’estimant sans doute moins strictement tenue au secret que les instances ecclésiastiques, le nom de l’évêque désigné est alors connu par un cercle d’initiés, qui goûtent le délicat plaisir de répandre la nouvelle avant tous autres.


Des changements très lents


Le dernier mot, le fiat d’acceptation, reste cependant à l’ecclésiastique qui va être nommé. Informé directement par le nonce, il peut parfaitement refuser la nomination proposée. Il peut aussi arriver que, par avance, les prêtres que l’on va porter sur la terna soient préalablement sondés sur leur acceptation éventuelle. A l’heure où je mets la dernière main à ces pages, l’évêché de Bayonne semble ainsi difficile à pourvoir. Ce refus, jusqu’à une dizaine d’années, était rarissime. Mais la charge épiscopale est devenue si peu gratifiante qu’il arrive aujourd’hui que des prêtres pressentis n’acceptent pas la charge qui leur est proposée. Ainsi a-t-on vu un ecclésiastique, qui avait fait son deuil depuis longtemps de l’aboutissement de sa vocation épiscopale, se retrouver propulsé à un évêché du fait du refus catégorique du premier de la terna.

Les évêques de nombreux diocèses français sont en effet devenus des espèces de curés-doyens sillonnant les routes de leur territoire au volant de leur voiture, de réunions en réunions, s’épuisant en tâches administratives, pourvoyant de plus en plus difficilement aux nominations de responsables de secteurs paroissiaux, contestés à droite et à gauche (tel évêque s’étant séparé d’un proche collaborateur a la surprise de voir répandre dans et hors du diocèse une lettre ouverte d’accusation-déballage). Des évêques de certains diocèses, dont on peut dire qu’ils sont en voie de disparition, ont d’autant plus de mal à se faire obéir par leurs subordonnés qu’ils n’ont plus la possibilité de les remplacer, lesdits subordonnés pouvant ainsi faire un tranquille chantage.

On comprend pourquoi ce processus de nomination, où la cooptation a une si grande part, freine puissamment le renouvellement du profit du corps épiscopal français. Et par voie de conséquence, le renouvellement de la vie des diocèses.

Au sein d’une France qui dans dix ans ne comptera plus que cinq mille prêtres en exercice, tout un monde de prêtres, de communautés nouvelles, sans parler des traditionalistes et para-traditionalistes dont le poids n’est pas négligeable [avec, toutes tendances confondues, 300 lieux de culte dominicaux, 400 prêtres, 160 séminaristes, le tout pour 4 à 5 % des pratiquants, le monde Saint-Pie V français représentait jusqu’au Motu Proprio, la valeur d’environ deux diocèses] ,reste brimé ou comprimé, et dans certains cas encore persécuté, par des prêtres, des religieuses et des laïcs souvent très cléricaux, qualifiés communément de « progressistes », majoritairement présents dans les conseils diocésains et paroissiaux. Or, un bon nombre d’évêques soit sont en phase avec ces instances diocésaines [44 Evêques actuellement en fonction étaient vicaires généraux ou épiscopaux au moment de leur nomination] ,soit estiment qu’ils se trouvent dans l’impossibilité de les court-circuiter.

Et pourtant, depuis le milieu du XIXe siècle, époque à laquelle le catholicisme français s’est partagé en tendances très contrastées, les changements d’orientation du Saint-Siège (sous Pie IX, Léon XIII, Pie X, Benoît XV ou Pie XI) s’étaient manifestés, en France spécialement, par de véritables politiques de désignations épiscopales qui les reflétaient successivement. Pie X nommait des prélats « intégraux » comme Mgr Ricard, Mgr Marty, Mgr Penon ; Pie XI les remplaça un à un par des évêques démocrates, Mgr Feltin, Mgr Liénart, Mgr Gerlier. De même, Paul VI a contribué à la transition espagnole en nommant systématiquement des auxiliaires très conciliaires (pour contourner le privilège du régime franquiste qui, en vertu du concordat, avait le droit de nommer aux sièges diocésains). Plus tard, sous Jean-Paul II, dans certains pays comme l’Espagne, les Pays-Bas ou le Brésil, le choix préférentiel de candidats modérés a renouvelé les épiscopats. Mais en France, où les guerres idéologiques sont inexpiables et les changements qui pourraient intervenir plus décisifs – et sans chauvinisme exagéré, plus exemplaires –, ces mutations sont de fait beaucoup plus lentes. Bien entendu, de « nouveaux évêques », comme le cardinal Barbarin, Mgr Turini à Cahors, Mgr Rey à Toulon, Mgr Cattenoz à Avignon, Mgr Sankalé, Mgr Planet, etc., ont rejoint des évêques comme Mgr Brincard au Puy, Mgr Bagnard ou Mgr Fort. Ces « nouveaux évêques » sont délibérément (Mgr Rey) ou tentent d’être en phase à des degrés divers avec le monde, lui-même multiforme, des « nouveaux prêtres ». Les changements peuvent d’ailleurs affecter les hommes eux-mêmes : on a vu, hier, le cardinal Ricard, curé marseillais connu comme plutôt « progressiste », se faire, d’abord à Montpellier, puis à Bordeaux, l’« évêque de tous », accueillir toute la palette des traditionalistes, confier la direction de son séminaire à des prêtres « identitaires » ; on voit aujourd’hui des évêques devenir particulièrement « réalistes » dans l’utilisation de communautés considérées comme très conservatrices, voire même dans l’accueil de communautés purement et simplement traditionalistes, jusqu’à leur confier des églises au centre des villes.

Pourtant, un décalage important entre le modèle nouveau désiré par Rome et la manière dont il est accepté par la hiérarchie française demeure : la réception pratiquement hostile et l’application en traînant les pieds du Motu Proprio du 7 juillet 2007 le montrent éloquemment. On pourrait certes faire valoir que le Saint-Siège ne défend pas son texte avec une vigueur proportionnée à son caractère « révolutionnaire ». Mais de quelle marge de manœuvre dispose-t-il, sinon de celle des nominations ? En tout cas, le conformisme idéologique des années d’après 1968 reste tel que des évêques réputés comme « conservateurs » ont du mal à s’en écarter. Ainsi, Mgr Robert Le Gall, évêque de Mende, ancien moine bénédictin de la congrégation de Solesmes (il était Père Abbé de l’abbaye de Sainte-Anne de Kergonan), devenu président de la commission épiscopale pour la liturgie, déclarant que l’instruction romaine Redemptionis sacramentum, du 25 mars 2004, sur les abus à éviter en matière de célébration de l’eucharistie… ne concernait pas la France, où comme chacun sait, les célébrations se déroulent conformément aux livres liturgiques ! Ou bien Mgr Minnerath, évêque de Dijon, secrétaire du premier synode sur l’Eucharistie, intellectuel non conformiste « parachuté » dans le petit monde administratif diocésain, bien plus classique que son prédécesseur, Mgr Coloni, mais se prononçant pourtant de manière stupéfiante en faveur… de l’ordination d’hommes mariés.


Une caste de cadres supérieurs conciliaires


C’est qu’en fait le processus de nomination des évêques se déroule au sein d’une caste de cadres ecclésiastiques (vicaires généraux et épiscopaux, chanceliers, permanents nationaux, curés de paroisses importantes, supérieurs de séminaires) indélébilement marqués par les années de l’après-Vatican II. Il s’agit d’un ensemble, certes divers et ayant de plus en plus tendance à se diversifier, mais où le conformisme ecclésiastique joue puissamment pour la sauvegarde du « correct ». Ces hommes ont été formés peu avant, durant ou un peu après les années soixante-dix, « années de plomb » pour l’Eglise de France (la moyenne d’âge des évêques de France s’élève à soixante-quatre ans). Ils constituent un milieu de décideurs diocésains et nationaux de tous niveaux, en même temps qu’un vivier d’épiscopables. De sorte que les évêques nommés auront en somme à gérer leur diocèse au moyen du personnel dont ils émanent.

Ceci explique grandement la lenteur de ce monde épiscopal à se renouveler dans le sens où pourtant l’y incitent, au sommet, la ligne « restauratrice » de Jean-Paul II et de Benoît XVI, et, à la base, une génération de « nouveaux prêtres » identitaires (dont certains, d’ailleurs, ont la cinquantaine et ont traversé comme ils ont pu les « années de plomb »). Il faut exclure, bien entendu, un certain nombre de personnalités affirmées qui ont accédé à l’épiscopat – on pense, entre autres à l’imprévisible Primat des Gaules – mais qui ne parviennent pas encore à troubler le jeu de manière significative.

Le nonce apostolique, dont le rôle est théoriquement déterminant, ne parvient pas davantage à infléchir nettement la tendance. La nomination des derniers locataires du 10 de l’avenue du Président-Wilson (Felici, Antonetti, Tagliafferi, Baldelli) est cependant très typée. Une des raisons en est que, compte tenu du poids particulier de la question lefebvriste en France, la nomination du nonce à Paris n’a jamais échappé au feu vert de celui qui a eu officieusement la charge de cette affaire depuis 1982, le cardinal Ratzinger. Mais ce nonce a d’autant moins les coudées franches que les rouages de la machine à faire les évêques français sont ce qu’ils sont, et que les choses sont beaucoup plus compliquées que cette opposition bipolaire qu’on a tendance à imaginer entre « Rome », dont il serait l’agent, et « les évêques français », dont on le croit le mentor, mais dont il est aussi, d’une certaine manière, le porte-parole. En tout cas, s’il est bien vrai qu’en dernière analyse, les évêques de France sont faits par le Saint-Siège, il faut apporter cette précision : ce dernier, surtout depuis l’après-Concile est pour une part très « français ». Il ne faut donc pas trop vite dénoncer le complexe anti-romain qui affecterait notre Eglise nationale. En réalité, depuis le Concile et jusqu’à aujourd’hui, c’est à Rome même qu’agit le plus efficacement le complexe anti-romain en question, qui fait perdurer une étonnante continuité dans le type d’évêques nommés.

La suite dans nos trois prochaines lettres....