12 avril 2006

La place des « traditionalistes » (suite)
R. Fontaine - 12 avril 2006 - Présent - www.present.fr - Mis en ligne par le Forum Catholique
La place des « traditionalistes » (suite) Les « traditionalistes », combien de divisions ? C’est la question (largement insuffisante sinon inadéquate) qui a été notamment posée à la Conférence des évêques de France (du 4 au 7 avril) dont l’ordre du jour comprenait « l’accueil et la place des “groupes traditionalistes” dans les diocèses de France » (Présent d’hier).
Dans sa lettre d’informations religieuses Aletheia (16, rue du Berry, 36250 Niherne), Yves Chiron révèle qu’à la demande du cardinal Ricard, l’association Oremus, dirigée par Loïc Mérian, animateur également du Centre international d’études liturgiques (Ciel), avait envoyé à tous les évêques une Etude statistique sur le nombre de fidèles “traditionalistes” dans les diocèses français.
En s’efforçant d’être exhaustive, et en prenant les précautions d’usage dans le maniement des chiffres, cette enquête, résume Aletheia, estime que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle sont environ 80 000 en France : une centaine de lieux de culte pour les messes autorisées par les évêques et environ 45 000 fidèles ; et quelque 200 lieux de culte et environ 35 000 fidèles pour la FSSPX et les communautés qui lui sont liées. 120 séminaristes (15 % sur les 800 séminaristes français), environ 400 prêtres au total (dont 250 séculiers) et une quinzaine d’ordinations en France (en additionnant les clercs des fraternités et communautés dits Ecclesia Dei et ceux de la FSSPX et des communautés qui dépendent d’elles).
L’étude évoque aussi les écoles hors contrat (79), les mouvements de jeunes, les groupes scouts, etc., qui sont liés à ces mouvances « traditionalistes », toutes tendances confondues.
Dans le dernier numéro de La nef, Loïc Mérian, qui revient sur ces statistiques et sur d’autres plus locales mais tout aussi révélatrices d’une dynamique et d’une pyramide des âges projetée vers l’avenir, indique au demeurant que ces chiffres font l’impasse sur plusieurs phénomènes importants, notamment l’importance des fidèles qui voudraient bien assister à la messe traditionnelle mais n’en ont pas la possibilité matérielle ; l’importance de ceux qui ont cessé de pratiquer et se sont éloignés de l’Eglise à cause des « changements » et de cette impossibilité...
« Les évêques de France, commente Yves Chiron, ont été assez impressionnés, semble-t-il, par cette réalité qui leur était largement méconnue dans sa globalité. » A tel point que le cardinal Ricard déclare (dans son discours de conclusion) : « Or, depuis plus de 15 ans, la situation a beaucoup évolué. Des demandes nouvelles sont apparues, des sociétés de prêtres nouvelles se sont présentées pour se mettre au service de ces groupes, des jeunes sont entrés dans leurs séminaires, des écoles privées prises en charge directement par les parents se sont créées. Chaque évêque a dû faire face pastoralement [sic] à cette situation en constante évolution... »
Si la situation est effectivement en constante évolution positive, elle n’a en vérité pas vraiment changé de nature depuis quinze ans et davantage. Il suffit de regarder les deux pèlerinages de la Pentecôte pour se rendre compte chaque année de la vitalité et de la jeunesse des populations « traditionalistes ».
Or, en 2006 Loïc Mérian peut constater, comme Patrice de Plunkett en 1992, que l’annuaire officiel de l’Eglise de France ignore totalement ces populations. Reconnus ou non par le Motu proprio de 1988, les « traditionalistes » demeurent « les sans-papiers de l’Eglise de France ». Là où l’on recence par exemple les différentes communautés charismatiques, mouvements divers et variés, eux n’existent pas officiellement : silence du guide sur le Motu proprio, sur les fraternités sacerdotales, sur les monastères, sur les mouvements de jeunes, le pèlerinage de Chartres, les revues... et surtout les lieux de culte !
Tout ce courant profond, phénomène significatif, avec un peuple nombreux, « pourquoi un annuaire officiel – oeuvre collective et hétéroclite sans doute, mais publié au nom de la conférence épiscopale – feint-il de le mépriser ? », demandait déjà l’ancien journaliste du Figaro Magazine dans un premier bilan de l’application du Motu proprio édité par La Nef en 1992. Quatorze ans après, Loïc Mérian enchaîne – avec le réveil (?) de Lourdes 2006 : « Il semble donc clair que les “traditionalistes” constituent une composante d’avenir pour l’Eglise de France. Il serait donc regrettable et dommageable en ces temps de crise de continuer à ignorer officiellement leur existence. Un accueil bienveillant ne peut que favoriser leur implication dans les diocèses au service de l’Eglise et de l’évangélisation.»
Assurément. En rappelant une fois encore, au-delà de l’intérêt et de l’appui réels de ces chiffres, que la question de la tradition (pas plus que le pouvoir de Rome !) ne se pose pas d’abord en termes de « divisions », ni en termes de générosité, d’ouverture, de sensibilité, d’accueil ou d’intégration des fidèles « traditionalistes ». Elle se pose essentiellement en termes de justice, d’accueil de la messe catholique traditionnelle, elle-même, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V : « La messe sera sauvée par la messe », avait écrit Jean Madiran (le 3 juin 1998) dans un jugement qui pourrait bien rejoindre l’intuition profonde de Benoît XVI aujourd’hui.
RÉMI FONTAINE