9 juillet 2013

[Paix Liturgique] A la suite de nos prières en faveur d'une "Eglise pour tous" - Mgr Brouwet: Les séminaristes attendent de leur évêque qu'il "prenne au sérieux la liturgie"

SOURCE - Paix Liturgique n°395 - 9 juillet 2013

Dans son numéro 1849 du 22 juin 2013, l’hebdomadaire Famille chrétienne a publié un très intéressant entretien avec Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes. Les propos de l’évêque de Lourdes viennent confirmer, après ceux de Mgr Rey, maître d’œuvre du colloque Sacra Liturgia (voir notre lettre précédente), qu’un esprit nouveau voit désormais le jour parmi certains membres de l’épiscopat français, et que la paix et la réconciliation liturgiques ne sont décidément pas pour eux une chimère.
I – L’ENTRETIEN DE MGR BROUWET POUR FAMILLE CHRÉTIENNE :

« C’est à l’évêque de donner l’exemple »
Propos recueillis par Jean-Marie Dumont pour le n° 1849 de Famille chrétienne
1) Quels changements percevez-vous dans la relation des jeunes prêtres et des séminaristes à la liturgie ?
Je perçois une triple prise de conscience. En premier lieu, les jeunes semblent réaliser davantage que la liturgie s’adresse à Dieu, que son but est de Le louer, L’honorer, Le glorifier ; et que c’est vers Lui que tend toute l’action liturgique. Ils redécouvrent aussi que Dieu est l'acteur principal de la liturgie : c’est l’Esprit Saint qui nous apprend à prier, qui « anime » la liturgie.

Ce n’est donc pas le prêtre ou la communauté locale qui « se saisissent » de la liturgie. Ils la reçoivent de l’Église. C’est le sens d’une attention plus grande aux rubriques. Les jeunes prêtres perçoivent enfin, avec une acuité renouvelée, que la liturgie n’est pas seulement une œuvre de la raison, mais qu’elle passe par la beauté, le ravissement.
2) Qu’est-ce que cela modifie dans la pratique ?
Dans les faits, on sort d’un état d’esprit trop rationalisant et on tourne progressivement le dos à une sorte de minimalisme liturgique. On réalise que, pour louer Dieu et contempler l’invisible, l’expérience de la beauté est nécessaire à l’assemblée. Le prêtre, enfin, se perçoit moins comme animateur de la liturgie que comme celui qui célèbre au nom du Christ, en prenant de la distance vis-à-vis de lui-même et en évitant la tentation de l’autocélébration. Il y a des liturgies où le risque est de mettre l’assemblée en avant, de célébrer les personnes présentes, plus que le Seigneur Lui-même.
3) Comment expliquer que cette prise de conscience ait lieu aujourd’hui ?
C’est un mouvement qui a été amorcé il y a une bonne vingtaine d’années. Au moment où j’ai commencé à célébrer la messe, j’avais déjà l’impression de ne pas célébrer comme mes aînés. Certains diront que c’est un mouvement de balancier. Je pense que c’est plutôt un mouvement de fond où l’on retrouve, après les expériences des années soixante-dix et quatre-vingt, ce qui est central dans la liturgie.
4) Quel est le rôle de Benoît XVI dans cette évolution ?
Le pontificat de Benoît XVI a joué une influence déterminante sur les séminaristes de cette génération. Ils ont trouvé en lui un modèle. Car si Benoît XVI a parlé de la liturgie, il a aussi donné l’exemple en la célébrant. Ces jeunes ont également été impressionnés par la possibilité de célébrer dans la forme extraordinaire, avec, en arrière-plan, l’idée d’une influence réciproque et le désir d’une plus grande unité dans la liturgie. Cela a eu des conséquences sur la manière de célébrer dans la forme ordinaire.
5) Tout évêque n’est-il pas appelé à avoir ce souci de la liturgie ?
Il est essentiel que l’évêque se préoccupe de la formation liturgique de son clergé. Et qu’il donne le ton d’un art de célébrer dans son diocèse. La responsabilité n’est pas seulement celle du séminaire, mais plutôt celle de l’évêque : que veut-il dans les paroisses ? L’Église nous demande que, dans la cathédrale, la liturgie soit belle, exigeante, nourrissante et exemplaire.
6) Au-delà de l’exemple, faut-il également passer par l’enseignement ?
Oui, il est important de mettre en place des cours pratiques sur l’art de célébrer, cours qui font souvent défaut. Là où ces formations n’existent pas, chacun adopte sa manière de faire. Ces cours doivent être guidés par des recommandations de l’évêque. S’il n’y a pas un art de célébrer indiqué par l’évêque, on risque de tomber soit dans une forme de « rubricisme », c’est-à-dire dans une observance quasi obsessionnelle des règles du rituel, soit dans un individualisme liturgique où chacun met en place ses propres coutumes et les impose à l’assemblée. Or dans la liturgie, les préférences personnelles sont secondaires.
7) Concrètement, comment faire ?
Le cérémoniaire ou le responsable diocésain de la liturgie peut bien former les séminaristes à l’art de célébrer. Ce n’est pas le séminaire qui en a la seule charge. Mais si on laisse ce créneau vide, il ne faut pas s’étonner que chacun invente.

Certaines crispations peuvent disparaître à partir du moment où on prend au sérieux la question de la liturgie. Au fond, c’est cela que les séminaristes nous demandent : qu’on prenne au sérieux la liturgie et que leur évêque les accompagne.
8) Faut-il former à la forme extraordinaire dans les séminaires ?
Je ne crois pas que ce soit de la responsabilité du séminaire qui a déjà bien des formations à assurer. Un séminaire doit déjà préparer les futurs prêtres à célébrer dans la forme ordinaire du rite romain instaurée à la suite du concile Vatican II.

En revanche, il faut que les séminaristes qui veulent célébrer dans la forme extraordinaire osent le dire à l’évêque et qu’ils s’y préparent en confiance avec lui. Le droit étant reconnu à tout prêtre de célébrer dans cette forme, il n’y a donc aucune raison que cela se fasse en cachette.
9) Que dites-vous aux jeunes prêtres qui, en arrivant dans une paroisse, désirent rénover la liturgie ?
En premier lieu, d’avoir beaucoup de délicatesse et de respect pour ce qui s’est fait avant eux. J’utilise parfois une image : quand je vais dîner chez les gens, je ne commence pas à déplacer les fauteuils du salon parce que j’estime qu’ils sont mal agencés. Il faut commencer par prendre la suite de son prédécesseur, en ne changeant rien la première année. Il faut apprendre à patienter, à voir comment des initiatives seront comprises. Sans le vouloir, un jeune prêtre peut être amené à faire exactement ce qu’il reproche à ses aînés d’avoir fait après le Concile. Il faut beaucoup de pédagogie. Et accepter de rentrer dans une histoire.
10) En prenant le temps d’expliquer ?
Les fidèles sont prêts à comprendre beaucoup de choses si on prend du temps avec eux, si on ne les culpabilise pas en leur disant que ce qu’ils ont fait depuis quinze ans n’a pas de valeur. Les jeunes prêtres ont à apprendre à devenir de vrais pasteurs. Étant entendu que c’est la charité du bon berger qui doit être la première, pour ne pas blesser. Il est souhaitable de procéder par étapes.

Il faut avoir une vue claire de ce à quoi on veut arriver, mais on ne peut pas y parvenir du jour au lendemain. Les jeunes n’ont pas toujours la sagesse de voir que les changements se font dans le temps. L’une des vertus du pasteur est la vertu de prudence, parce que c’est la vertu du gouvernement.
11) Comment mieux célébrer la liturgie sans tomber dans le formalisme ?
Le premier remède au risque de formalisme, c’est la vie intérieure du prêtre, son regard de foi sur ce qu’il est en train de célébrer. Il n’y aura pas de formalisme si le prêtre est tout entier à ce qu’il doit célébrer, s’il est habité, s’il ne fait pas semblant de l’être. C’est la question de la vérité du prêtre sur lui-même.
12) La répétition de gestes prévus par l’Église n’est-elle pas à l’opposé de cette exigence d’intériorité ?
Au contraire, elle permet de se dégager de l’inquiétude de la célébration, de vivre de l’intérieur les gestes qui sont posés. Le formalisme peut tout à fait être présent dans une liturgie inventée de toutes parts. On met tellement l’accent sur la forme qu’on a l’impression qu’il n’y a plus d’intériorité. Plus la liturgie est créative, créée de toutes pièces, plus elle est imprégnée de nouveauté, plus elle focalise l’attention sur le « comment faire ». Or la liturgie nous aide à nous débarrasser du « comment faire » pour être pleinement à ce qui est célébré.
13) N’est-ce pas le sens même du rite et du respect des rubriques ?
L’observation des rubriques nous aide à nous libérer du souci des gestes pour être pleinement dans le mystère qu’on est en train de fêter. Il y a dans la liturgie une saine habitude, qui peut favoriser le recueillement, l’union à Dieu et l’engagement de tout l’être dans ce que le prêtre célèbre. Il faut que le prêtre accepte d’être dépassé par ce qu’il célèbre. Je ne pense pas que la créativité incessante permette de faire cette expérience.
14) Et du côté des fidèles ?
Pour eux, la participation active ne consiste pas à voir des choses toujours nouvelles, mais à s’unir aux sacrements célébrés sans être dissipés par des nouveautés qui dispersent. L’observance du rite, pour les fidèles comme pour le prêtre, donne la liberté d’être tout aux sacrements célébrés. Et de comprendre que c’est Dieu qui agit.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) « Donnez-nous des évêques selon le cœur du pape ! » : c’était le vœu des signataires de la supplique adressée fin mai 2011 au cardinal Ouellet, préfet de la Congrégation pour les Évêques (voir notre lettre 285 bis).

En effet, comme Mgr Rey, non seulement Mgr Brouwet porte « une annonce claire de l’Évangile » mais est aussi animé « d’un vrai désir de réconciliation et de paix entre tous les catholiques de France ». Deux qualités que les auteurs de la supplique de 2011 attendaient de leurs pasteurs. Au moment où la direction de la Conférence des Évêques de France vient de se renouveller, les propos des évêques de Toulon et de Lourdes pourraient bien être le signe que quelque chose est en train de changer dans l’Église de France.

2) Ancien curé du diocèse de Nanterre, Mgr Nicolas Brouwet est devenu auxiliaire de ce même diocèse en avril 2008. Mgr Daucourt ne souhaitant pas avoir de contacts avec les fidèles liés à la forme extraordinaire, Mgr Brouwet a fait preuve d’une grande ouverture et d’une grande disponibilité envers les groupes stables de demandeurs de la liturgie traditionnelle. En 2011, il a très volontiers célébré la messe de clôture du pèlerinage de Pentecôte à Chartres pour Notre-Dame de Chrétienté. Son arrivée sur le siège épiscopal de Tarbes et Lourdes début 2012 a été perçue comme un signe de possible redressement d’un diocèse qui, malgré le rayonnement du sanctuaire marial, compte parmi les plus sinistrés de France.

L’entretien donné à Famille chrétienne laisse penser qu’après une première année passée à faire connaissance avec son nouveau ministère – l’évêque de Lourdes est aussi celui qui accueille chaque année l’Assemblée plénière des évêques de France – Mgr Brouwet se sent aujourd’hui en mesure d’en définir les grandes orientations. À commencer par une liturgie « belle, exigeante, nourrissante et exemplaire ».

3) Défenseurs ardents de la paix de l’Église, nous sommes bien conscients qu’en définitive, c’est en allant au fond des choses qu’on l’obtiendra durablement. Mais, si on ne saurait demander à Famille chrétienne et à l’évêque de Tarbes et Lourdes d’aborder, dans ce type d’entretien, les questions doctrinales qui motivent l’adhésion à la forme traditionnelle du rite, il est clair que la manière apaisée dont il est désormais possible de traiter des questions liturgiques peut aussi permettre d’en parler sereinement. Nous en remercions vivement les acteurs exemplaires.

4) Nous pourrions résumer la pensée de Mgr Brouwet comme nous avons synthétisé le colloque Sacra Liturgia de Mgr Rey : « Il est nécessaire de réaffirmer les droits de Dieu dans la liturgie ». Ce qui va de fait très loin, lorsqu’on pense aux enjeux théologiques qui sous-tendent les débats liturgiques. La particularité des propos de l’évêque de Lourdes est qu’ils sont ceux de l’un des premiers prélats français appartenant à la génération Jean-Paul II. En ce sens, il est intéressant qu’il voit le renouveau liturgique comme « un mouvement de fond » plus que comme un retour de balancier.

5) Évidemment, lorsque Mgr Brouwet estime que l’enseignement de la forme extraordinaire n’est pas « de la responsabilité du séminaire qui [...] doit déjà préparer les futurs prêtres à célébrer dans la forme ordinaire du rite romain instaurée à la suite du concile Vatican II », il omet – sans doute « politiquement », en pensant à l’état d'esprit qui reste encore celui des diocèses – les invitations romaines. Le n. 21 du texte d’application de Summorum Pontificum, l’instruction Universae Ecclesiae, dit en effet : « On demande aux Ordinaires d’offrir au clergé la possibilité d’acquérir une préparation adéquate aux célébrations dans la forme extraordinaire. Cela vaut également pour les séminaires, où l’on devra pourvoir à la formation convenable des futurs prêtres par l’étude du latin, et, si les exigences pastorales le suggèrent, offrir la possibilité d’apprendre la forme extraordinaire du rite ». Tout séminariste devrait avoir accès aux trésors de la liturgie romaine. D’autant que, comme cela a été mis en évidence lors du colloque Sacra Liturgia, la visée de Benoît XVI était que la forme extraordinaire serve d’instrument au renouveau de la liturgie ordinaire.

Le nombre important de séminaristes qui apprennent en cachette à célébrer la forme extraordinaire, comme Mgr. Brouwet l’évoque, et la proportion de plus en plus importante de jeunes prêtres qui célèbrent une première messe selon cette même forme du rite, montrent le besoin et la volonté de cette nouvelle génération d’enraciner sa pratique liturgique sur les bases solides d’une forme liturgique multiséculaire.