4 septembre 2018

[Paix Liturgique] Au cœur du Midwest, l’irrésistible rayonnement de la Tradition

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 659 - 4 septembre 2018

Du 2 au 18 juillet 2018 s'est tenu aux États-Unis le chapitre général de la Fraternité Saint-Pierre (FSSP) qui a vu l'élection de l'abbé Andrzej Komorowski comme nouveau Supérieur Général du principal institut Ecclesia Dei(près de 300 prêtres). Polonais, ordonné en 2006 par le cardinal Medina Estévez, l'abbé Komorowski est le symbole de l'essor de la FSSP dans le monde.

L'un des foyers de l'expansion de la FSSP est précisément le séminaire Notre-Dame de Guadalupe de Denton où s'est tenu ce chapitre général 2018. La Providence a voulu que nous le visitions fin juin, accueillis et guidés par l'abbé Bisig, son recteur (mais aussi l'un des fondateurs de la FSSP) que nous remercions de son hospitalité et du temps et de l'attention qu'il a bien voulu nous consacrer.
I – Tradition, fidélité et humilité
C'est en 1998 que l'histoire du séminaire Notre-Dame de Guadalupe commence dans le Nebraska. En effet, le séminaire nord-américain ouvert en 1994 par la FSSP en Pennsylvanie ne convenait déjà plus à l'explosion des candidatures. C'est donc à l'invitation de Mgr Bruskewitz, évêque de Lincoln, la capitale de l'État du Nebraska, que l'abbé Devillers, alors supérieur du district des États-Unis de la FSSP, décide d'y entreprendre la construction d'un bâtiment à la mesure des vocations à satisfaire.

Le premier coup de pioche est donné en 1998 et la première pierre bénie et posée en 1999. Dès la rentrée 2000, efficacité américaine permettant, le séminaire ouvre ses portes à une cinquantaine de séminaristes : ceux venus de Pennsylvanie et les nouveaux entrants. À l'échelle américaine, le Nebraska – morceau de l'immense plaine céréalière du Midwest –, c'est un peu le bout du monde. Pourtant, 20 ans après la décision de l'abbé Devillers, il se confirme que c'est un cadre parfait pour permettre aux jeunes gens de se débarrasser de leur vieil homme pour revêtir la tunique du Christ.

« Ici, nous sommes loin des distractions, explique l'abbé Bisig, et plutôt préservés des intempéries à l'exception de quelques tornades, mais, surtout, nous sommes au cœur d'un diocèse catholique guidé par d'excellents évêques. Aujourd'hui nous avons même trois évêques pour nous : Mgr Conley, l'actuel évêque de Lincoln, Mgr Bruskewitz, l'évêque – aujourd'hui émérite – qui a veillé à notre installation et continue de nous soutenir et Mgr Finn, ancien évêque de Kansas City, Missouri. » Trois évêques qui viennent volontiers prêcher et célébrer au séminaire.

Le diocèse de Lincoln, dont nous avons parlé dans notre lettre 647, est un joyau de l'Église : non seulement il a maintenu un fort taux de vocations sacerdotales et religieuses grâce à la priorité donné à l'éducation catholique (catéchisme, écoles, soutien aux familles), préservé la dignité de la liturgie ordinaire et fait une place à la forme extraordinaire mais il présente aussi, comme nous l'a confirmé son évêque, Mgr Conley, un taux record de pratique dominicale : 56% des catholiques diocésains assistent à la messe chaque dimanche !!!

Dans ce cadre favorable, le séminaire a pu prendre tout son envol puisque ses 100 chambres sont presque toutes occupées : il comptait 86 séminaristes en 2017-2018, 83 pour la FSSP et 3 pour les Fils du Très Saint Rédempteur, communauté monastique installée sur un îlot au large de l'Écosse.

Professeur au séminaire depuis 2004 et son recteur depuis 2006, l'abbé Bisig a pu poursuivre et compléter les saines fondations posées par son prédécesseur, l'abbé Jackson. Aussi bien sur le plan matériel puisque ce mois-ci seront officiellement bénies les grandes orgues de l'église du séminaire, complétant ainsi le projet inauguré en 1998, que pédagogique et spirituel. Un projet que résume parfaitement la formule « tradition, fidélité et humilité ». Tradition liturgique, doctrinale et enseignante ; fidélité à Rome et à l'ordinaire du lieu ; humilité dans les études et la vie quotidienne.
II – Une pépinière féconde mais sélective
Grâce au concours de Geoffrey Coleman, l'assistant de l'abbé Bisig, et du directeur des vocations du séminaire, l'abbé Lawrence, nous pouvons illustrer la grande fécondité du séminaire Notre-Dame de Guadalupe.

Depuis la première rentrée en l'an 2000, 111 prêtres ont été ordonnés, soit près de 6 prêtres par an. Mais ils ont été 40 au cours des 5 dernières années, soit exactement 8 par an.

Au cours du quinquennat 2013-2017, près de mille jeunes gens ont demandé, par téléphone ou par courrier, des renseignements sur l'admission au séminaire. 3 demandes sur 4 viennent des États-Unis, le dernier quart du reste du monde (Amérique du Sud, Afrique, Asie et Europe anglophone). Sur ce millier de jeunes, 160 ont présenté formellement leur candidature en remplissant le dossier demandé par le séminaire. Souvent, ces jeunes ont été invités à passer quelques jours au séminaire pour observer et être observés. Pour des raisons logistiques et financières, cela concerne essentiellement les Nord-Américains mais constitue une première occasion précieuse pour évaluer la solidité d'une candidature.

Sur ce même quinquennat, 96 jeunes gens sur 160 ont été retenus et sont entrés en année de spiritualité. Parmi les candidats écartés, la moitié d'entre eux environ sont invités à poursuivre leurs études et à revenir plus tard s'ils se sentent toujours appelés au sacerdoce. L'abbé Bisig insiste en effet beaucoup sur la bonne préparation intellectuelle et morale des candidats : « Nous observons hélas que, d'année en année et dans le monde entier, le niveau académique des candidats baisse. Nous avons un noviciat en Australie pour les candidats d'Asie et d'Océanie et une année de mise à niveau culturel et linguistique au Mexique mais, souvent, cela ne suffit pas. De même ici, aux États-Unis, la préparation des candidats souffre de lacunes. Le "homeschooling" (l'école en famille) produit parfois des jeunes gens ayant des difficultés à s'intégrer. » 

Il y a aussi le fait que le recrutement des candidats nord-américains se fait à la sortie du lycée, donc alors qu'ils sont assez jeunes. La raison, explique M. Coleman, est qu'aux États-Unis les étudiants doivent emprunter pour étudier et que la dette qu'ils contractent à cette occasion les contraint à embrasser la vie civile pour la rembourser. Le séminaire demande d'ailleurs une attestation de non-endettement aux candidats.

En dépit de cela, les candidatures augmentent d'année en année et le nombre de places occupées demeure à peu près constant. Dans l'économie d'un séminaire, quel qu'il soit, il est important de détecter au plus tôt les vocations qui n'iront pas à leur terme : le temps passé à former des jeunes gens qui suivront une autre voie a un coût – pour le séminaire mais aussi pour le jeune lui-même. Cela a aussi un coût moral car il est souvent difficile de refuser un candidat motivé sans que l'expression du refus ne devienne pour lui une source de découragement. 

« Nous cherchons des hommes parfaits du point de vue des vertus naturelles, pour que la grâce puisse opérer pleinement » résume l'abbé Bisig. À l'image de la porte du Salut, celle du séminaire est étroite mais ouverte à tous.
III – LES RÉFLEXIONS D'OREMUS-PAIX LITURGIQUE
1) C'est à Dallas, en 1991, que la FSSP a ouvert son premier apostolat américain. Dès 1993, elle ouvrait une maison de formation en Pennsylvanie, installée comme séminaire par l'évêque du lieu dès l'année suivante, signe de sa croissance rapide outre-Atlantique. Aujourd'hui, les prêtres originaires des États-Unis représentent le premier contingent de prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, devant les Français. Le supérieur sortant de la FSSP, l'abbé Berg, est lui-même Américain. Le dynamisme de la tradition aux États-Unis est donc bien antérieur au motu proprio Summorum Pontificum même s'il est indéniable qu'il a connu un coup d'accélérateur depuis 2007 car, désormais, il se manifeste au cœur des diocèses. Le développement de la forme extraordinaire dans les paroisses et les diocèses des États-Unis ne cause cependant aucun préjudice au recrutement du séminaire Notre-Dame de Guadalupe puisque les candidatures continuent d'affluer à Denton. Il y a même un circuit vertueux qui s'instaure au sein duquel la vingtaine d'évêques qui sont déjà venus au séminaire pour une ordination ou une retraite, et les prêtres qui, deux fois par an, viennent y apprendre à célébrer la forme extraordinaire, invitent volontiers les jeunes qui leur semblent avoir le profil à prendre contact avec la FSSP.

2) Il y a à Denton une harmonie artistique et architecturale très sensible voulue par ses constructeurs :l'église elle-même, par exemple, a été construite à partir des proportions et du style du majestueux baldaquin acquis lors de la démolition d'une église à Québec. L'abbé Bisig a tenu à maintenir cette unité de style dans les projets qu'il a complétés : ainsi, tous les vitraux ont été réalisés par la même artiste et le choix des bois pour les meubles et pour le plafond a été pensé en fonction du reste du projet. Comme nous l'avons constaté en visitant d'autres importants lieux de culte à l'occasion de ce voyage au Nebraska, il y a aux États-Unis un réel mouvement de renouveau de l'art sacré au service de ce que le professeur Kwasniewski appelle dans son dernier ouvrage la « noble beauté » et la « sainteté transcendante » (1). Souvent, les lieux de culte traditionnels sont les ambassadeurs de ce mouvement notamment inspiré par le souci liturgique de Benoît XVI. Le soin apporté à leur restauration ou à leur construction inspire les paroisses ordinaires et fait connaître le savoir-faire d'artistes et d'artisans maîtrisant les canons de la beauté classique.

3) Si, en dehors des États-Unis et du Canada, l'origine des séminaristes de Notre-Dame de Guadalupe reste limitée à quelques pays car la FSSP ne dispose d'apostolats qu'en Australie, au Mexique, au Nigeria et en Colombie, le rayonnement du séminaire va bien au-delà puisque des demandes de renseignements parviennent chaque année à Denton en provenance aussi bien d'Amérique latine (notamment Paraguay, Costa Rica et Brésil) que d'Asie (notamment Singapour, Hong Kong, Taïwan) et d'Afrique. La variété de l'origine de ces demandes témoigne de l'universalité de l'attrait de la forme extraordinaire du rite romain, trésor volontairement restitué par Benoît XVI à toute l'Église universelle il y a 11 ans, le 7 juillet 2007, et pour lequel nous ne saurions cesser de rendre grâces.
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(1) Peter Kwasniewski : "Noble Beauty, Transcendent Holiness: Why the Modern Age Needs the Mass of Ages" [Noble beauté, sainteté transcendante : pourquoi l'époque moderne a besoin de la messe de toujours], Angelico Press, 2017.