27 septembre 2018

[Paix Liturgique] Pourquoi nous contenterions nous du plus commun, quand nous possédons le plus beau et le plus grand?

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 662 - 27 septembre 2018

Dans son bulletin de septembre/octobre 2018 (A Crucetta n°118), l’abbé Hervé Mercury, célébrant de lamesse traditionnelle en Corse, a livré un intéressant éditorial portant sur le sens de l’expression « forme extraordinaire » [du rite romain] choisie par le pape Benoît XVI depuis 2007 pour qualifier la liturgie traditionnelle latine et grégorienne de l’Église. Avec son aimable autorisation nous vous proposons cette semaine ce texte, suivi des réflexions qu’il nous inspire.

I - FORMES DU RITE ROMAIN
(éditorial de M. l’abbé Mercury, bulletin A Crucetta n°118) 
À partir de ce mois de septembre [2018], par décision de Mgr de Germay, la Messe traditionnelle, dite dans la forme extraordinaire, sera célébrée deux dimanches par mois à Bastia. Nous nous réjouissons de cette décision sans cacher, pour autant, les oppositions larvées à la mise en place de telles célébrations.

Le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI mettaient les curés eux-mêmes dans l’obligation de répondre aux demandes de leurs paroissiens, sans même que l’autorité épiscopale n’ait à se prononcer. Sauf qu’il y a toujours la nécessité de vérifier qu’une telle pratique n’entraînera pas de désordres et ne portera pas atteinte à la communion ecclésiale, ce qui ressort du rôle de l’évêque. La communion ecclésiale est supposée se faire principalement autour de la Nouvelle Messe, dite dans la forme ordinaire.

Forme ordinaire / forme extraordinaire. Ces deux expressions peuvent être entendues différemment. La forme ordinaire peut désigner le rite habituellement célébré dans l’Église aujourd’hui. La forme extraordinaire revêtirait donc un caractère exceptionnel. Elle devrait être célébrée rarement, un peu comme une relique insigne qu’on sort de temps en temps et qui finit par sentir le renfermé ou le formol.

Cette interprétation se heurte toutefois à la lettre du motu proprio puisque l’obligation des Curés s’étend non seulement à la Messe dominicale, mais aussi à celle des jours de semaine. À ce compte, si les Pasteurs avaient obtempéré en 2007, la célébration extraordinaire serait maintenant tout aussi habituelle que l’ordinaire.

C’est pourquoi il faut comprendre autrement la catégorisation de Benoît XVI. Le Pape parlait des richesses de la Messe traditionnelle par rapport à la nouvelle. L’épithète « extraordinaire » s’entend alors de quelque chose de sublime, qui s’écarte du niveau moyen et plus commun. C’est le sentiment de beaucoup de prêtres qui découvrent la forme extraordinaire : un trésor inestimable.
D’où la question : pourquoi nous contenterions-nous à toute force du plus commun quand on possède le plus beau et le plus grand ? L’Église gagnerait à mettre en valeur son meilleur patrimoine. D’autant que ce choix est sans doute une des solutions à la crise actuelle des vocations. 
Abbé H. Mercury
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Le motif de l’éditorial de l’abbé Mercury est la célébration désormais bimensuelle de la messe dominicale à Bastia. Jusqu’ici, ne ménageant pas sa peine, l’abbé Mercury desservait chaque dimanche après-midi Lumio, près de Calvi, et chaque dimanche matin Ajaccio. Grâce à un confrère, il peut désormais ajouter le 1er et le 3ème dimanche du mois la messe en l’église Notre-Dame-de-Lourdes de Bastia. L’abbé Mercury vient de la Fraternité Saint-Pie X dont on connaît l'esprit missionnaire, largement partagé par d’autres groupes et fraternités dont les prêtres couvrent souvent de longues distances pour célébrer la messe d'un apostolat à l'autre. Chaque mois, sur les sinueuses routes corses, l’abbé Mercury parcourt ainsi environ 2000 kilomètres pour assurer catéchisme, récollections et sacrements sur toute l’île.

2) « Oppositions larvées » : oui, aujourd’hui, onze ans après l’entrée en vigueur du motu proprio de Benoît XVI, il demeure des oppositions à la diffusion de la forme extraordinaire du rite romain. Mais bien peu sont ouvertes et violentes comme elles l’étaient hélas souvent avant 2007. Ce qui frappe aujourd’hui, au-delà des dernières ruades d’un clergé progressiste vieillissant, c’est l’ignorance de nombreux pasteurs quant aux dispositions du motu proprio de Benoît XVI et à la parfaite licéité de la liturgie traditionnelle. Un jeune prêtre désireux de célébrer dans son diocèse nous a récemment confié que son évêque ne savait rien du cadre juridique entourant l’ancienne liturgie romaine, prenant le motu proprio Summorum Pontificum pour une décision abrupte de Benoît XVI sans savoir qu’elle était l’aboutissement d’un processus commencé en 1984 par l’indult Quattuor abhinc annos et poursuivi par le motu proprio Ecclesia Dei adflicta de 1988. Quand son jeune prêtre lui eut retracé ce parcours, l’évêque lui dit quelque chose comme : « Je ne connaissais pas l’existence de ces normes et ne vois aucune raison de m’opposer à leur application. » Comme nous l’ont illustré les résultats de notre sondage à Saint-Germain-en-Laye (voir notre lettre 658), la connaissance du motu proprio tend à diminuer peu à peu. Tout travail d’information, de formation et de promotion de la liturgie traditionnelle n’en est que plus nécessaire.

3) « Extraordinaire » dans le sens de rare, c’est en effet l’une des interprétations que les opposants au motu proprio de Benoît XVI donnent à la formule inventée par Benoît XVI pour désigner ce que l’on appelait auparavant la liturgie « tridentine » ou « traditionnelle ». Et l’abbé Mercury fait bien de la refuser pour la rapprocher de ce terme de « trésor », qui rappelle ces lignes de Benoît XVI en introduction du motu proprio, évoquant la figure de saint Grégoire le Grand, « attentif à transmettre aux nouveaux peuples de l’Europe tant la foi catholique que les trésors du culte et de la culture accumulés par les Romains au cours des siècles précédents ». C’est d’ailleurs sans doute ce que l’histoire retiendra de Benoît XVI qui, par le motu proprio, aura lui aussi redonné « leur juste place » aux « richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église » (lettre aux évêques du 7 juillet 2007).

4) Enfin, nous ne pouvons que souscrire pleinement à la conclusion de l’abbé Mercury : « L’Église gagnerait à mettre en valeur son meilleur patrimoine. D’autant que ce choix est sans doute une des solutions à la crise actuelle des vocations. »