3 septembre 2019

[Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou] Excuse ou pardon

SOURCE - Abbé Gonzague Peignot, fsspx - Le Seignadou - septembre 2019

J’ai connu un prêtre, ni plus ni moins malin qu’un autre, qui avait été un peu sec avec un fidèle. Pour apaiser une éventuelle blessure, il crut bon de lui adresser un petit mot pour lui demander pardon. Sans réponse après trois semaines, il crut pouvoir écrire à nouveau pour s’étonner de ce silence, en évoquant – sans doute à tort – la considération que  l’on peut avoir envers le fait qu’un prêtre vous demande pardon ! Cette fois, la réponse a été immédiate et fulgurante : orgueil et manque de charité ! Il a donc fait à nouveau un petit mot pour demander d’être pardonné de son indélicatesse. Et tout s’est arrêté là, sans aucune réponse ni réaction ! A-t-il été pardonné ? Il ne l’a jamais su et en était bien navré. Je lui avais conseillé de méditer ces sages réflexions d’Ernest Hello : 
« Celui qui refuse un pardon demandé semble livrer son prochain au remords, et celui qui pardonne le livre au repentir.... Entre le repentir et le remords, il y a un abîme. Le premier donne la paix et le second l’arrache. » 
Il m’avait alors confié que, même non pardonné, il n’avait aucun remords, et vivait dans la paix.

Cette triste aventure m’a conduit à quelques méditations sur cet acte si évangélique du pardon. Il nous arrive à tous, qui que nous soyons, prêtre, religieux ou religieuse, parent, enfant, homme ou femme, chrétien ou païen, jeune ou vieux... d’être maladroit, de manquer d’attention ou de délicatesse avec quelqu’un. La plupart du temps, c’est involontaire et la bienveillance devrait pouvoir nous aider à pardonner spontanément mais... c’est difficile, il est vrai.

Alors je vous propose simplement quelques réflexions recueillies ici ou là !
« Il est des mots qui, petit à petit, disparaissent du vocabulaire courant, et, en bout de course, aussi des dictionnaires. Ce phénomène est évidemment signe de ce que la réalité que le mot recouvre n'a plus cours. J'espère vraiment être dans l'erreur, mais je crains que le mot pardon ne soit en train de glisser sur cette pente savonneuse. Et si pardon se perd, c'est sans doute aussi parce que les fautes pour lesquelles on sollicite la miséricorde, et pour lesquelles dès lors la victime pourrait accorder son pardon, sont de moins en moins assumées. « Je ne l'ai pas fait exprès » remplace de plus en plus souvent « Pardonne-moi ». C'est étrange ! Si quelqu'un marche avec de grosses bottines sur mes pieds glissés dans des sandales et qu'il se contente de me dire que je n'ai pas à lui en vouloir puisqu'il n'avait pas vraiment l'intention de me faire mal... mes orteils n'en sont-ils pas meurtris pour autant ? Comment pourrais-je lui pardonner s'il se contente de m'affirmer que me blesser n'était pas sa volonté ? Encore heureux que sa maladresse ne fût pas volontaire ! Deviendrait-il moins humain s'il me demandait aussi pardon ? Un refus de priorité causant une portière défoncée se voit souvent traité de la même façon. Et lorsqu'il y a blessure grave, voire mort d'humains innocents, c'est encore le même couplet qui revient, et qui devrait suffire à clore toute discussion et tout procès aux yeux de celui qui l’entonne : « Je ne l'ai pas fait exprès ! »
 
L'étape suivante ne serait-elle pas alors le déni pur et simple : non plus : « Je ne l'ai pas fait exprès ! », mais « Je n'ai rien fait ! » ? Un match de football est un exemple très révélateur à ce propos : le joueur qui commet une faute lève tout aussitôt les deux bras, pour bien faire savoir à l'arbitre qu'il est innocent comme l'enfant qui vient de naître. Et si l'arbitre sort un carton jaune ou rouge, le fautif jure ses grands dieux qu'il n'a vraiment rien fait et qu'il est l'objet d'un déni de justice atroce, s'il n'injurie pas l'arbitre en plus !
   
Demander pardon ? Pardonner ? Par-courir une ville ou une région, c'est bien plus que la traverser : c'est la visiter dans divers sens. Par-faire, c'est plus que réaliser : c'est mener à son complet développement. Alors, par-donner pourrait bien signifier aussi donner à tort et à travers, donner totalement. Donner ainsi ne fait-il pas grandir en humanité tant celui qui donne que celui qui reçoit ? Redevenir plus humain ! » 
Arthur Buekens – Quand la Bible parle de pardon 
Le Bx Père Lataste, s’adressant aux repenties dont il conduisait la conversion, et à ceux qui ne comprenaient pas toujours son apostolat, nous rappelle quelques saintes vérités.
« Elles furent coupables, c’est vrai ! Mais quelle est donc l’âme qui n’a jamais eu rien à se reprocher, et parmi celles qui sont toujours restées pures, quelle est celle qui à un moment donné n’a pas senti que, si la main de Dieu ne l’avait fermement soutenue, elle était tout près de faillir, à deux doigts de sa perte. « Que celui qui est debout prenne garde de ne pas tomber » dit l’apôtre St Paul (1Co. 10, 12), et St Jean ajoute : « Si quelqu’un se dit sans péché́, il est un menteur et il s’en impose à lui-même » (1 Jn. 1, 8). Oui, elles furent coupables mais Dieu ne nous demande pas ce que nous fûmes, il n’est touché que de ce que nous sommes. Il n’est rien d’avoir été́ pure et vertueuse si on ne l’est plus ; il n’est rien d’avoir été́ coupable si l’on a reconquis sa vertu. Que celles qui sont restées pures par la grâce de Dieu prennent garde, je ne dis pas seulement de ne pas faillir, mais je dis même qu’elles prennent garde de ne pas se laisser devancer, car le prix de la course et la palme de la victoire ne sont pas pour celui qui n’est jamais tombé, mais pour celui qui a couru le plus loin. »
Je laisserai le mot de la fin à notre si sage et si bon P. de Chivré :
« Un homme hésite à pardonner à son ami dont il a reçu une indiscutable blessure d’amour propre. Ce refus de pardonner se présente à sa raison d‘homme comme une justice légitime à l’égard d’une amitié coupable. Il prie. Il en résulte en son jugement une certitude confuse et indéfinissable que cette justice qui sanctionne est une vérité boiteuse et partielle ; il s’efforce de maintenir sa décision mais, désormais, elle est accompagnée d’une sourde conviction qu’il agit mal en exerçant ce genre de justice ; et d’une conviction, non moins consistante, que la vérité se trouve dans un pardon méritoire. Fortifié par cet état d’âme, il pardonne, à la grande colère de sen entourage critique et orgueilleux. Au lieu de s’émouvoir, la calme certitude d’avoir bien agi lui fait affronter avec paix le mécontentement ambiant. L‘ami lui-même n’en revient pas, et pense que leurs relations ne seront plus comme par le passé. L’offensé sent sourdement, avec une certitude inexplicable, qu’il en sera encore mieux que par le passé ; et tout se réalise ainsi. 
Le Don de Conseil a mené le jeu à contre-courant de l’orgueil, de la rancune, des convictions mondaines et de la logique naturelle en créant un état d’âme de certitude, au cours des différentes phases de la crise. 
Toute crise est un ébranlement, et tout ébranlement appelle la Certitude de l’Esprit d’Amour pour ne pas devenir une catastrophe. Admirable réédition du “noli timere” de Jésus, le “n’ayez donc pas peur” écrit lentement dans nos réflexions priantes par le Conseil qui n’a jamais trompé et que personne n’a jamais pu prendre en défaut. » 
R.P. de Chivré
Combien nous sommes loin ici de cette étrange formule : « je m’excuse... » ! Mais cher Monsieur, si vous vous excusez vous-même, je ne puis rien faire de plus ! Allez donc en paix avec votre conscience rassurée, et n’attendez rien de moi, puisque vous ne me demandez rien !
    
La sainte miséricorde est bien autre chose, bien plus belle et plus vraie, qui rétablit tout dans la sainte charité de Dieu. Que chacun en vive et aime en faire vivre ceux qui l’entourent, tel est le commandement de Jésus : « aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés. »
     
Je me souviens que ce prêtre m’avait confié qu’il avait bien pardonné depuis longtemps l’absence du pardon qu’il avait sollicité mais il n’empêche qu’il en avait du regret, car celui qui ne pardonne pas, qui ferme son cœur au pardon, le ferme dans tous les sens : le don et la réception du pardon ! C’est toute la gravité de ce que nous disons à Dieu sans toujours y penser : « pardonnez-nous comme nous
pardonnons ! » 
     
Cette belle miséricorde est le cœur de la vie chrétienne : le chrétien est un être essentiellement pardonné, mais ce pardon reçu du Cœur de Jésus ne vivra vraiment en son âme que si l’âme ne le garde pas pour elle et le fait vivre en le donnant à son tour. 
     
Alors, à nous de garder toujours le cœur ouvert ! Il en recevra des blessures, sans doute, mais il pourra aussi laisser déborder sur ceux qui l’entourent un peu de cette miséricorde reçue du Cœur de Jésus et de Marie.