20 avril 2007

[Aletheia n°108] Un « 4e secret de fatima? » ? - Le démenti de Mgr Capovilla - par Yves Chiron

Aletheia n°108 - 20 avril 2007

En Italie est paru un ouvrage d’Antonio Socci intitulé de manière sensationnaliste : Il quarto segreto di Fatima [« Le quatrième secret de Fatima »][1].

Après avoir dirigé la revue catholique néo-conservatrice 30 Giorni, Antonio Socci dirige aujourd’hui l’Ecole supérieure de journalisme radio-télévisé de Pérouse. Son précédent livre, Mistero Medjugorje (Piemme, 2005), était une apologie des fausses apparitions de Medjugorje, ce qui aurait dû inquiéter ceux qui accordent foi à sa révélation d’un prétendu « 4e secret » de Fatima.

En France, des sites et des forums internet, sédévacantistes ou traditionalistes, ont relayé l’information à grand bruit (sans avoir lu le livre d’ailleurs !). Ils y ont vu la confirmation qu’en 2000 le Saint-Siège avait menti lors de la publication du « 3e secret ».

Avant le livre d’Antonio Socci, deux livres avaient déjà été publiés en français qui prétendent démontrer l’un, que le « 3e secret » révélé en 2000 était un faux (thèse de Laurent Morlier[2]), l’autre, qu’il existe deux manuscrits du « 3e secret » et que le second reste « encore dans le coffre-fort du pape » (thèse du P. Kramer[3]).

Antonio Socci reprend certains des arguments avancés par ces auteurs, même s’il ne partage pas leurs positions sédévacantistes ou traditionalistes. Sa thèse principale est que la troisième partie du secret révélé par la Vierge aux trois voyants de Fatima le 13 juillet 1917 n’a pas encore été publiée complètement. Cette troisième partie comporterait deux textes : des paroles de la Vierge, qui traitent de la crise de l’Eglise, et la description d’une vision dramatique.

Jean-Paul II aurait lu le premier texte dès 1978, tandis qu’il n’aurait eu connaissance du texte décrivant la vision qu’en juillet 1981 (après l’attentat dont il a été victime le 13 mai de cette année-là). En 2000, il n’aurait rendu public que le second, occultant le premier avec la complicité du cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat, du cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et de Mgr Bertone, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Relevons les deux principaux arguments avancés par Antonio Socci :

  • Le « Quatrième mémoire » écrit par Sœur Lucie, en 1941, comporte une phrase inachevée : « Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi etc. ». Cet etc. a toujours troublé les analystes et les commentateurs. Beaucoup y ont vu le début du « 3e secret » qui restait à révéler.

Or, en juin 2000, lors de la publication du « 3e secret », cette phrase n’est citée qu’incidemment, en note de bas de

page, après la publication de la 1ère et de la 2e parties du secret et elle ne fait pas l’objet d’un commentaire.

Interrogé lors d’une conférence de presse sur le problème que posait cette phrase inachevée, Mgr Bertone, alors Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a répondu : « Il est difficile de dire si elle se réfère à la 2e ou à la 3e partie… il me semble qu’elle appartient à la seconde » .

Selon Antonio Socci, cette phrase inachevée correspondrait au début de paroles de la Vierge qui restent, à ce jour, cachées par le Saint-Siège.

  • Antonio Socci fait référence, par ailleurs, à un document de Mgr Capovilla. Mgr Capovilla fut le secrétaire particulier de Jean XXIII. Le pape avait lu « le secret » et lui en avait parlé, ainsi qu’à des responsables de la Curie.

Dans une note dont a eu connaissance Antonio Socci, Mgr Capovilla indique que le pape suivant, Paul VI, a lu la troisième partie du secret de Fatima le jeudi 27 juin 1963.

Or, dans la « Présentation » du texte publié en 2000, Mgr Bertone indique : « Paul VI lut le contenu avec le Substitut Mgr Angelo Dell’Acqua, le 27 mars 1965, puis renvoya l’enveloppe aux Archives secrètes du Saint-Office, décidant de ne pas publier le texte.[4] »

Comment expliquer une telle divergence de dates ? Pour Antonio Socci, il n’y a qu’une seule explication possible : en 1963, Paul VI a pris connaissance du texte qui contiendrait les paroles de la Vierge (texte conservé alors dans les appartements pontificaux) et en 1965 il a lu le texte qui contiendrait la description de la vision (texte conservé au Saint-Office).

Antonio Socci estime qu’en faisant connaître sa note relative à 1963, Mgr Capovilla « dit explicitement qu’il existe deux textes différents du troisième secret » (p. 142).

Cette information serait, en effet, très importante. Mgr Capovilla a l’autorité d’un témoin direct, au plus proche de Jean XXIII.

Mais, contrairement à ce qu’écrit Antonio Socci, l’ancien secrétaire particulier de Jean XXIII, ne croit pas en l’existence de deux textes.

Le démenti de Mgr Capovilla

En 2000, en donnant « un commentaire théologique » du secret de Fatima, celui qui n’était encore que le cardinal Ratzinger avait affirmé que le secret révélé aux petits voyants le 13 juillet 1917 était « publié pour la première fois dans son intégralité »[5].

Donc, Laurent Morlier, en publiant un livre pour affirmer que « le troisième secret publié par le Vatican le 26 juin 2000 est un faux », le P. Paul Kramer et Antonio Socci en publiant des livres qui affirment qu’il y a deux textes du « 3e secret », et que l’un reste encore inconnu, portent atteinte à l’autorité et à l’honnêteté du Saint-Siège.

Ces auteurs mettent également en doute les affirmations de Sœur Lucie elle-même qui a déclaré, à plusieurs reprises, qu’il n’y avait pas d’autre « secret » qui resterait à révéler.

Elle le disait, par exemple, un peu vertement, à la Mère Prieur de son Carmel qui l’interrogeait sur le sujet :

Sœur Lucie, certains prétendent qu’il y a un autre secret !

Alors, s’ils le connaissent, qu’ils le disent ! Moi, je ne sais rien de plus !... Il y a des gens qui ne sont jamais contents ! Que l’on cesse d’en tenir compte ![6]

Mgr Capovilla lui-même conteste formellement la pseudo-démonstration d’Antonio Socci.

En réponse à des questions précises que je lui ai posées par écrit le 10 avril 2007, Mgr Capovilla a répondu par un pro-memoria en cinq points, en date du 13 avril 2007.

Il y affirme notamment :

  • « Je ne peux avoir affirmé – dans le cas où je me serais exprimé de manière inexacte, je le fais maintenant – savoir quelque chose sur ” deux versions du 3e secret”. Je n’ai aucun pli réservé, mais seulement quelques notes personnelles tirées de diverses publications.

  • Je ne sais rien à propos de l’assertion : ”Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi”.

  • … je ne pense pas que le « Secret » contienne des révélations sur la crise de la foi.

  • Ma pensée ferme et plusieurs fois affirmée est celle-ci : je crois que Dieu peut se révéler de différentes manières. Je crois que l’interprétation des signes appartient au Magistère de l’Eglise, et jamais à une seule personne ou à une association. »

Ces précisions apportées par Mgr Capovilla amènent à considérer qu’il est malhonnête, intellectuellement, d’affirmer qu’il soutient la thèse de « deux versions » ou de « deux parties » du 3e secret.

La publication, en 2000, de la troisième partie du secret révélé à Fatima a déconcerté une partie des « fatimistes ». Les plus extrémistes parlent de texte inventé de toutes pièces par le Saint-Siège et d’une « fausse sœur Lucie » mise au devant de la scène pour accréditer les forgeries du Vatican. D’autres, apparemment moins extrémistes, parlent d’un texte caché qui resterait volontairement occulté par le Saint-Siège.

La critique historique peut certes encore s’exercer sur Fatima, les apparitions, sa réception et son interprétation par l’Eglise :

- Il y a peut-être des précisions chronologiques à apporter sur la connaissance du « 3e secret » par les papes successifs.

- Il y a sans doute une interrogation qui reste sur la phrase inachevée « Au Portugal… ».

- On peut souhaiter encore que soient publiés intégralement les travaux considérables sur Fatima du P. Alonso, religieux clarétin espagnol mort en 1981, travaux qui restent très largement inédits[7].

Mais quelle prétention de contester Sœur Lucie, Jean-Paul II et l’actuel Benoît XVI quand ils affirment que le « secret de Fatima » a été révélé en son entier !

Le « secret des secrets »

Comme le disait frère Michel de la Sainte Trinité, grand historien de Fatima – il s’est tu sur le sujet depuis plus de vingt ans, depuis qu’il s’est retiré à la Grande Chartreuse – :

« il y a plus important encore que le troisième Secret : c’est le ”secret des secrets qui est, pour ainsi dire, l’âme des révélations de Fatima, leur foyer incandescent propre à éclairer de sa flamme ardente nos temps enténébrés. […] C’est l’admirable Secret de la médiation de Grâce et de Miséricorde du Cœur Immaculé de notre Mère du Ciel.[8] »

Sœur Lucie elle-même l’avait demandé, avant que le « secret » ne soit complètement révélé en 2000 :

« Si seulement on vivait le plus important, qui est déjà connu !... Mais on ne s’occupe que de ce qui reste à dire, au lieu d’accomplir ce qui a été demandé, la prière et la pénitence ![9] ».

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NOTES

[1] Antonio Socci, Il quarto segreto di Fatima, Milan, Rizzoli, octobre 2006, 252 pages.

[2] Laurent Morlier, Le troisième secret de Fatima publié par le Vatican le 26 juin 2000 est un faux. En voici les preuves…, Éditions D.F.T. (B.P. 28, 35370 Argentré-du-Plessis), 2001, 192 pages. Laurent Morlier consacre un chapitre entier de son livre à « démontrer » qu’en certaines occasions, depuis 1982, une « fausse sœur Lucie » a remplacé la vraie. C’est à cette « fausse sœur Lucie » qu’il faudrait attribuer, notamment, les déclarations sur la consécration de la Russie par Jean-Paul II en 1984 et celles sur le « 3e secret » révélé en 2000.

La thèse du sosie – pour exonérer la responsabilité d’une autorité légitime – avait déjà été avancée par le même éditeur pour expliquer les « hérésies » professées par Paul VI.

[3] L’édition américaine définitive (Good Counsel Publications, 2005) a fait l’objet d’une traduction française photocopiée (273 pages), publiée hors-commerce et diffusée largement auprès des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X et d’autres fraternités traditionalistes. Cette traduction est disponible auprès du Fatima Center, 452 Kraft Road, Fort Erie, ON L2A 4M7 (Canada).

[4] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Le Message de Fatima, Téqui, 2000, p. 4.

[5] Id., p. 42.

[6] Propos rapportés dans la biographie publiée par la Mère Prieure du Carmel, M. Marie Céline de Jésus Crucifié, Sœur Lucie. Souvenirs sur sa vie, Carmel de Coimbra/Secrétariat des Pastoureaux, Fatima, 2005, p. 25.

[7] C’est une vingtaine de volumes d’études critiques, en espagnol, qui attendraient d’être édités. En français, seuls deux de ses livres ont été traduits en français : Le message de Fatima à Pontevedra, Téqui, 1977, 46 pages et La Vérité sur le secret de Fatima, Téqui, 1979, 106 pages.

[8] Frère Michel de la Sainte Trinité, Toute la vérité sur Fatima, tome III « Le Troisième Secret (1942-1960) », Renaissance Catholique/Contre-Réforme Catholique (Maison Saint-Joseph, 10260 Saint-Parres-les-Vaudes), 1985, p. 573-574.

[9] Propos rapportés par M. Marie Céline de Jésus Crucifié, Sœur Lucie. Souvenirs sur sa vie, op. cit., p. 24-25.