17 avril 2007

[Abbé Laguérie, ibp - blog] Vous avez dit "légitimité" ?

SOURCE - Abbé Laguérie, ibp - blog -17 avril 2007

Monsieur l’Abbé,

L’abbé de Cacqueray affirme dans sa Lettre aux amis et bienfaiteurs du mois d’avril, que vous-même et l’Institut du Bon Pasteur, vous avez reconnu la "légitimité" de la réforme de Paul VI (d’après un entretien de l’abbé de Tanoüarn dans Valeurs actuelles). Cette affirmation me laisse perplexe.

En effet, d’après ce qui a été dit de vos statuts, vos prêtres célèbrent exclusivement le rite romain traditionnel et il me semble que devant l’Église, vous défendez mieux encore que la Fraternité St Pie X la légitimité de ce rite brutalement supprimé en 1970.

Dans ce contexte, que signifie exactement le terme "légitimité" appliqué à la liturgie ?

[Qu’en est-il selon vous de la position de l’abbé de Cacqueray : tiendrait-il implicitement la nouvelle messe pour invalide ?]

Luc Jaulin, Nantes


Vous avez dit "légitimité" ?

17 avril 2007 10:42, par Abbé Philippe Laguérie

Cher ami,

Telle qu’elle est formulée par M. l’abbé de Cacqueray dans la lettre aux amis et bienfaiteurs n° 70 d’avril 2007, la position de l’Institut du Bon Pasteur sur la messe est caricaturée jusqu’à la fausseté. Citons le passage : « Nous ne pouvons donc que protester lorsque des prêtres, qui ont obtenu pour eux l’autorisation de célébrer selon l’ancien rite – qu’il s’agisse de prêtres de la Fraternité Saint-Pierre ou désormais de l’Institut du Bon Pasteur – affirment pour les premiers l’orthodoxie de la nouvelle messe et, pour les autres, ont déjà admis sa légitimité ».

Où donc l’abbé de Cacqueray a-t-il pioché cette position donnée par lui comme étant celle des prêtres du Bon Pasteur ? Dans un document officiel dudit Institut ? Dans une communication de son supérieur ? Pas du tout ! Mais dans un entretien de l’abbé de Tanoüarn avec un journaliste dans Valeurs Actuelles, faussement interprété hors de son contexte et déformé comme nous allons le voir. Du reste, la Fraternité saint Pie X ne reconnaît-elle pas la légitimité de la messe en français face au peuple, proposée officiellement aux prêtres diocésains comme une étape par l’abbé de la Rocque, dans sa lettre d’accompagnement du DVD sur le rite de St Pie V (cf. le message "Lettre de l’abbé de la Rocque" du 11 février 2007 sur ce blog) ? A ce compte et avec les mêmes méthodes, je pourrais tout aussi aisément « démontrer » que la FSSPX admet la possible légitimité de la « messe Pie-Paul » envisagée par l’abbé Celier (cf son livre Benoît XVI et les traditionalistes, approuvé par l’abbé de Cacqueray), et mille autres choses semblables… Dieu me préserve toutefois de ce genre d’amalgame intellectuellement douteux.

Voyons à présent la phrase incriminée de notre cher confrère avant d’ouvrir la vraie question. Il s’agit d’un débat avec Jean-Pierre Denis (eh oui !) paru dans Valeurs actuelles en date du 2 décembre 2006. Tout ceci a de l’importance. Car précisément, au cours du long paragraphe qui précède, l’abbé de Tanoüarn vient de rappeler fortement ce qui distingue essentiellement les deux rites : l’aspect mis ou non sur la valeur sacrificielle de la messe. Et de conclure que la préférence pour le rite traditionnel est donc, sur ce motif, « profonde et non subjective ou esthétique ». Dès lors, le mot légitime utilisé dans la conclusion ne peut évidemment pas avoir le sens que lui prête l’abbé de Cacqueray dans son amalgame avec orthodoxe. Il prend analogiquement, s’agissant d’une loi liturgique de l’Église qui est de constitution divine, le sens que lui donne le dictionnaire Larousse : « qui a les qualités requises par la loi ». Ou le premier sens donné par le Petit Robert : « qui est juridiquement fondé, consacré par la loi ».

Citons l’abbé de Tanoüarn : « Cela dit, bien entendu, si au nom de cette préférence [pour le rite traditionnel], on anathémise tous les autres et on dit que le rite rénové n’est pas légitime, on a rien à faire dans l’Eglise ». Il est donc manifeste que le terme légitime employé ici pour qualifier le nouveau rite désigne d’abord sa cause efficiente, l’Autorité compétente en la matière et son droit à légiférer en ce domaine. L’utilisation de cette citation pour faire dire à l’abbé de Tanoüarn (et par lui, on l’a vu, à tous les prêtres de l’Institut !) que le contenu du rite nouveau serait entièrement bon est simplement frauduleuse. A y bien regarder, c’est même traiter son cousin de sot, lequel vient d’affirmer le contraire sur un paragraphe entier. Considéré sous le seul aspect de la puissance à légiférer le mot légitime a bien le sens français premier de légal. Et j’ose espérer, toujours sous cet aspect, que la Fraternité tient bien cette thèse…

L’abbé de Tanoüarn explique par ailleurs dans un article d’Objections n° 8, p. 18 l’usage qu’il fait du terme : « Ce qu’il faut considérer avant tout, plutôt que de s’étriper sur les positions des uns ou des autres, c’est la légitimité que chacun possède à se déclarer catholique. » Si l’on se réfère donc à l’intention de l’auteur, ce qu’il entend par légitimité du nouveau rite, c’est la constitution même de l’Église qui garantit que ceux qui observent correctement ce rite ne peuvent être déclarés par quiconque membres (ou ministres) illégitimes de l’Église romaine. Le respect mutuel et l’apaisement entre catholiques en dépend, au cœur même des discussions doctrinales sur la Messe.

Mais une autre considération capitale saute à l’esprit : ce que l’abbé de Tanoüarn appelle légitimité se rapporte concrètement, non à une prétendue obligation de célébrer ce nouveau rite, mais tout simplement à sa validité, reconnue comme telle, en son principe, par la Fraternité saint Pie X, ainsi que l’absence d’hérésie formelle dans son contenu – ce qui ne signifie pas que ce contenu soit bon et sans danger. Tout concourt à le démontrer, en effet : s’il pouvait arriver qu’un rite universel, promulgué par l’Autorité compétente, soit invalide et formellement hérétique, alors oui, les portes de l’Enfer auraient prévalu sur l’Épouse de Jésus-Christ. Ce qui est impossible. Le sens de la Foi, que possèdent les fidèles bien mieux que les théologiens, le clame hautement.

J’invite donc notre cher confrère, M. l’abbé de Cacqueray, à se ressouvenir du serment qu’il a dû prêter lui-même sur ce point avant son ordination, affirmant certes, l’ambiguïté dans l’expression de la foi aux saints Mystères, mais admettant la « validité » intrinsèque et « l’absence d’hérésie formelle » dans la Messe de Paul VI. En prêtant ce serment exigé par Ecône à ses futurs prêtres, les abbés de la Fraternité ont tous juré qu’ils admettaient en ce sens la légitimité du nouveau rite, définie telle qu’on l’a dit : rite promulgué par l’autorité compétente de l’Église, par conséquent exempt d’hérésie formelle, et en lui-même valide – de sorte que se renier sur ce point reviendrait non seulement à douter de la constitution divine de l’Église, mais serait encore un parjure…

Il faut donc être très clairs et précis sur la critique théologique constructive que nous proposons, vous et nous, de la réforme liturgique. Nous affirmons que l’abrogation du rite grégorien, imposée dans les faits et non en droit en 1970, a été, elle, bel et bien gravement illégitime, comme l’a démontré l’annexe au livre Le Problème de la réforme liturgique paru en 2001, et comme l’ont reconnu depuis de nombreux cardinaux. Cette illégitimité radicale n’a-t-elle pas fondé Mgr Lefebvre à « désobéir » légitimement, en se soustrayant à la fausse obligation de célébrer le rite nouveau (cf le ch. 13 du livre de l’abbé Héry, Non lieu sur un schisme) ?

Nous continuons d’affirmer de surcroît que la réforme Bunigni-Paul VI, de par son contenu et non de par l’autorité de sa promulgation, « s’éloigne de façon impressionnante de la théologie catholique de la Messe telle que définie au concile de Trente », comme le signèrent si bien les cardinaux Ottaviani et Bacci à l’époque. Faire dire autre chose à l’Institut du Bon-Pasteur est une pure diffamation qui se doit d’être réparée.