17 mai 2008

[Abbé Barthe - Monde&Vie] Où en est le Motu proprio ?

17 mai 2008 - Monde&Vie - Abbé Barthe - Thierry Bouzard

Monde et Vie, 17 mai 2008
Où en est le Motu proprio ? 

Le 7 juillet 2007, dans un Motu proprio solennel, Benoît XVI a reconnu que le rite traditionnel n’a jamais été abrogé. Le pape assure que tout prêtre a le droit de le célébrer et que les fidèles organisés en groupes stables peuvent faire valoir ce droit pour eux-mêmes…

Mais qu’en est-il des évêques, comment reçoivent-il la volonté du pape, en particulier en France ? En cette fin d’année, le moment est venu d’un premier bilan. M. l’abbé Barthe, analyste écouté de l’actualité catholique dresse ici l’épure d’un tableau complet.


Les catholiques français ont été les premiers et les plus ardents à prendre la défense de la liturgie traditionnelle depuis les années 60. Quarante ans plus tard, le retard dans la parution du motu proprio réhabilitant cette liturgie a été le fait des résistances du clergé français. Neuf mois après sa parution, comment a-t-il été reçu en France ?
Abbé Barthe. Historiquement, on remarque que la France a souvent été le lieu privilégié des grandes batailles religieuses (jansénisme, infaillibilité, modernisme, et même américanisme). Ainsi en a-t-il été, et en est-il toujours, pour la messe tridentine et pour ce qu’elle représente du point de vue doctrinal. La réception épiscopale française au Motu proprio de 2007 a consisté globalement à « traîner les pieds ». Quant à la réaction du clergé, elle est très diverse. Il est encore impossible de dresser un bilan précis d’une situation encore très évolutive. Grosso modo, on peut dire qu’il y a eu, non pas ce raz de marée que craignaient ses adversaires, qui jouaient à se faire peur pour faire peur, mais un ébranlement de fond : demandes au total très nombreuses, prêtres en quantité assez importante apprenant à célébrer la « forme extraordinaire », augmentation certes relativement modeste, mais « grignotante », des célébrations dominicales. Très concrètement, les évêques ont essayé de dresser des coupe-feu, c'est-à-dire qu’ils ont accordé plus de messes selon l’indult de 1988, pour éviter que leurs curés ne soient obligés d’accorder des messes selon l’indult de 2007. L’essentiel est que le nombre des messes tridentines ait augmenté. Il y avait 300 lieux de culte dominicaux Saint-Pie-V avant le motu proprio de 2007. Y en a-t-il 30 de plus, 10% ? En revanche, le nombre de demandes non encore satisfaites est proprement considérable.
De nombreux groupes de fidèles se sont constitués pour demander son application à leurs évêques, peut-on cerner leur origine (Frat St-Pierre, St-Pie X, rite 1962) ?
A.B. Le Motu proprio crée une situation juridique paradoxale : il affirme un droit radical pour tous les fidèles de rite latin, celui de la forme ancienne, mais au lieu d’exiger (pour l’instant) que le clergé fasse en sorte que ce droit soit applicable, il dispose que ceux qui veulent le voir appliquer doivent le demander sous forme de « groupes ». D’une certaine manière, on pourrait dire que le texte pontifical prend acte du fait que la messe tridentine s’est maintenue durant 40 ans du fait d’une pression de fidèles, et qu’il institutionnalise cette pression. Dans ces groupes (légaux) « de pression », il y a ceux qui prennent l’initiative, ceux qui adhérent par leurs signatures à l’initiative, et ensuite ceux qui assistent aux célébrations obtenues. Selon mes sondages, les deux premières catégories sont indistinctement composées de fidèles St-Pie-X et de fidèles Ecclesia Dei. En revanche, la grande surprise est qu’une part minoritaire mais notable des fidèles qui assistent aux messes traditionnelles nouvellement célébrées (ou bien déjà existantes, mais devenues encore plus « légales » depuis le motu proprio) sont des fidèles qui pratiquaient antérieurement selon le missel de Paul VI. Et si les messes nouvellement proposées l’étaient en des lieux et à des heures convenables, ce qui est loin d’être toujours le cas (à Paris, en tout cas), cette catégorie de fidèles croîtrait sensiblement, peut-être même spectaculairement.
Quel impact ont les demandes du rite extraordinaire sur le clergé ordinaire ? Celui-ci est-il à même de faire face à ces demandes ou le recours à des prêtres déjà formé à la liturgie traditionnelle est-il indispensable ? A terme sera-t-il suffisant ?
A.B. Votre expression de « clergé ordinaire » n’est pas dans le motu proprio… Certains prêtres diocésains sont très heureux et apprennent à célébrer selon la « forme extraordinaire ». Certains sont très hostiles. Le cas le plus intéressant, du point de vue de la psychologie religieuse, est celui des prêtres hostiles qui acceptent cependant les demandes : je connais quelques cas de conversion, et inversement un cas de dépression (pas encore d’infarctus !) Concernant la célébration de la « forme extraordinaire », à moyen terme, on ne peut que faire appel aussi aux prêtres formés à la messe traditionnelle : ils seront, toutes tendances confondues, 10% à 20% des prêtres français en activité dans une dizaine d’année. Mais plus largement, dans ces dix ans, bien des choses vont changer : le nombre des prêtres en activité va s’effondrer dramatiquement ; un certain nombre de diocèses français vont pratiquement cesser d’exister (et à Rome ? Si Dieu prête vie au pape, il aura, dans dix ans, 91 ans). Bref, tous les prêtres de toutes tendances et nuances devront répondre à une situation de passage probable du catholicisme à la marginalité. Chez tous, traditionnels et « officiels », inévitablement, beaucoup de choses seront nécessairement bousculées.
Les évêques français peuvent adopter des attitudes radicalement différentes, quels sont les arguments qui permettent de justifier les refus ?
A.B. Les évêques récalcitrants invoquent l’un des trois ou les trois motifs suivants : 1°/ La possibilité d’assister à la « forme extraordinaire » existe déjà en suffisance dans le diocèse ; 2°/ La célébration dans telle paroisse va « diviser » les fidèles ; 3°/ Nous faisons un gros effort pour avoir du Paul VI digne. Concrètement, c’est dans les diocèses où sont déjà célébrées le plus de messes tridentines que le nombre de groupes demandant des célébrations paroissiales est le plus important. Je reviens donc à mon idée (n’y voyez aucune irrévérence !) : il y a une espèce d’utilisation du principe démocratique dans le renversement (ou au moins dans l’équilibrage) liturgique que le pape veut instituer ; et du coup, comme en matière de capitalisme dominant, en matière de liturgie traditionnelle « à la demande », la richesse appelle la richesse… Mais pour continuer à filer cette plaisante métaphore : il faut chercher à éliminer de plus en plus la misère liturgique !
Entretien réalisé par Thierry Bouzard