3 octobre 2009

[Vianney / Le Forum Catholique] Jean Madiran : “le sac de Rome”

SOURCE - Vianney - Le Forum Catholique - 3 octobre 2009
Dans un récent compte-rendu de l’ouvrage de Gérard Leclerc “Rome et les lefebvristes”, je n’ai pas été peu surpris de voir rangé Jean Madiran parmi ceux qui “dénonçaient, certes, le progressisme, mais sans jamais s’en prendre au Concile”. C’est à croire que l’auteur – G. Leclerc ou son commentateur – n’a jamais lu une ligne de Madiran.

A tire d’illustration, voici quelques extraits d’un article d’une quinzaine de pages intitulé Le sac de Rome que Madiran a publié dans les numéros 155 (1971) et 297 (1985) de la revue Itinéraires.

Et tout d’abord, à propos du but de Vatican II, tel qu’il fut exprimé par Jean XXIII dans son discours d’ouverture du concile :
Il s’agissait principalement de deux mises à jour occasionnelles et délimitées avec précision :

1° Rénover l’expression de la doctrine catholique : « Il faut que cette doctrine certaine et immuable soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. »

2° Donner désormais plus de place à l’exposé positif et explicatif des richesses de la doctrine qu’aux condamnations négatives : « L’Eglise n’a jamais cessé de s’opposer (aux) erreurs. Elle les a même souvent condamnées, et très sévèrement. Mais aujourd’hui elle préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »

Le vice intrinsèque d’un tel programme, son vice abominable réside tout entier dans sa formidable impiété : involontaire ou délibérée, mais radicale, absolue, massive. Ce double objectif de l’aggiornamento était proposé à l’Eglise, et spécialement au concile, comme une tâche à entreprendre ; à inaugurer ; à commencer ; une tâche nouvelle, tout juste esquissée, depuis quelques saisons à peine, par la charité du « bon pape Jean ». Affreuse méconnaissance, ou affreux charlatanisme, puisque cette tâche avait été universellement commencée par Léon XIII, poursuivie par ses successeurs, et synthétisée, et parachevée enfin dans les vingt volumes qui contiennent l’œuvre de Pie XII comme docteur universel. Voilà donc que Jean XXIII, le 11 octobre 1962, dans le discours qui lui avait été préparé par le cardinal Montini, proclamait en substance que tout était à faire, que rien n’avait été fait. Il supprimait ce qui avait été la fonction, l’œuvre propre des documents pontificaux de Léon XIII à Pie XII.

C’est ce que Madiran appelle “le sac de Rome”, par analogie avec celui que l’histoire a retenu sous ce nom :

Le sac de Rome, celui-ci, n’est plus le pillage de trésors de pierre ou d’argent, ni le massacre des hommes par la soldatesque, ni le rapt des femmes. Il est cette fois dans un trésor intellectuel et moral jeté au Tibre, avec le massacre des âmes et le viol des consciences qui s’ensuivent inévitablement.

Ceux qui ont fait cela, détenteurs provisoires de la succession apostolique, ne connaissaient pas les documents pontificaux de Léon XIII à Pie XII : nous montrerons, sur pièces et sur preuves, que le principal d’entre eux était frappé de l’incapacité mentale de lire correctement une encyclique. L’Eglise depuis 1958 est gouvernée par des hommes qui n’ont ni compris ni connu (ni aimé !) la doctrine enseignée par les papes du XIXe et du XXe siècles : c’est-à-dire que ce trésor, sans précédent par son abondance et son degré d’explicitation, a été radicalement méconnu par les règnes de Jean XXIII et de Paul VI.

Si Jean XXIII et Paul VI ne l’avaient pas méconnu, ils auraient pu dire, par exemple, qu’ils se proposaient de poursuivre, ou d’accélérer, ou d’approfondir, ou de compléter l’aggiornamento de leurs prédécesseurs. Ou encore, que cet aggiornamento en chantier depuis Léon XIII devait maintenant recevoir la consécration solennelle d’un concile œcuménique, pour en faire passer plus activement les fruits dans les esprits et dans les mœurs. Ou encore, que dans cet immense monument d’encycliques, de messages, d’allocutions de cinq papes successifs, tout n’avait pas la même autorité ni la même valeur, qu’il fallait faire un tri, mettre de l’ordre, résumer, d’aventure émonder, par une série de décrets récapitulatifs et pratiques qui seraient l’œuvre propre du second concile du Vatican. Ou encore bien d’autres choses du même genre, qui auraient pris en considération tout le travail doctrinal accompli par les cinq papes de l’aggiornamento : Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV, Pie XI et Pie XII. Ce travail monumental pouvait être confirmé, complété, poursuivi, amendé, que sais-je ! On fit la seule chose qui n’était pas permise : on fit comme s’il n’existait pas.

Cette méconnaissance impie, barbare, sauvage, est comme le péché originel du nouveau gouvernement de l’Eglise depuis 1958.

Cette méconnaissance, souligne Madiran, ne date pas d’hier. Le fait nouveau, c’est que, depuis Vatican II, elle s’étend à toute la hiérarchie :
Il existe une clef de l’histoire moderne de l’Eglise, c’est le Syllabus, publié par Pie IX en 1864 : « Résumé des principales erreurs modernes... » De Léon XIII à Pie XII inclusivement, les cinq papes de l’aggiornamento catholique ont tenu strictement, face aux erreurs modernes, les positions du Syllabus. Sur quoi l’on remarquera :

1. — Bien que vieux de plus d’un siècle, le Syllabus n’a rien perdu de son actualité : les erreurs modernes dénoncées par Pie IX sont encore, en substance mais exactement, les erreurs modernes d’aujourd’hui ; les nouveautés doctrinales que le Syllabus rejetait en 1864 nous sont encore proposées maintenant, et encore comme des « nouveautés ».

2. — Les erreurs modernes condamnées par le Syllabus nous sont présentées comme les vérités nouvelles par l’aggiornamento que l’Eglise subit depuis 1962 au nom et de par l’autorité du concile, du pape et des évêques. Dans cet aggiornamento donc, on n’a plus cherché à conserver la doctrine du Syllabus en l’exprimant d’une autre manière. Sous prétexte de changer la formulation, c’est bien la doctrine que l’on a changée.

3. — On l’a changée à contretemps : au moment où le monde moderne est en train — au moral, au social, au mental, au spirituel — de mourir, comme l’annonçait le Syllabus, pour n’avoir pas renoncé aux erreurs que le Syllabus condamnait ; au moment donc de la vérification historique, de la vérification dans les faits, voici que le pape et les évêques cachent le Syllabus, comme s’ils en avaient honte ; et voici qu’ils se mettent à faire et à dire ce que le Syllabus avait interdit.

Mais l’aveuglement dans l’Eglise, concernant le Syllabus, n’est pas d’aujourd’hui.

Il remonte au premier jour de sa publication.

Relisons ce qui était son titre complet (je souligne) :

« Résumé des principales erreurs modernes qui sont signalées dans les allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de N.S.P. le pape Pie IX. »

Le Syllabus ne contenait aucune révélation, il n’apportait aucune nouveauté, il n’était que la table des matières de ce que Pie IX avait précédemment enseigné en détail.

Or ce fut une levée de boucliers dans le monde — et dans une partie de l’épiscopat catholique.

Le monde, passe encore : mais les évêques ?

Ils avaient accepté une à une les allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques de Pie IX soit parce qu’ils ne les avaient pas lues, soit parce qu’ils n’y avaient rien compris. Mais quand on leur en procure un simple résumé, ils s’étranglent de stupeur : et ils ne comprennent pas davantage, ils n’aperçoivent pas que la doctrine du Syllabus est manifestement la doctrine obligatoire de tout catholique conscient et conséquent.

En ce sens, Madiran concède que les deux points de l’aggiornamento défini par Jean XXIII pouvaient paraître opportuns à l’époque de Pie IX. Devant l’opposition épiscopale et mondaine au Syllabus, on pouvait estimer que les condamnations rappelées par le Syllabus avaient besoin de beaucoup plus d’explications. C’est ce à quoi s’emploieront Léon XIII et ses successeurs :

Les documents pontificaux de Léon XIII à Pie XII ont été en général compris et tenus, du moins par ceux qui les ont étudiés, pour ce qu’ils étaient en réalité : un effort, qui dans l’histoire de la papauté est sans précédent par son ampleur et sa durée, pour dire au monde contemporain, dans une langue qui lui soit plus accessible, et avec d’inlassables explications, les vérités religieuses et morales dont il a besoin pour le salut temporel de ses sociétés et pour le salut éternel des âmes qui y pérégrinent. Or en 1962 la majorité du corps épiscopal n’en connaissait ni la portée, ni le contenu, ni souvent même l’existence : la plupart des évêques se trouvaient démunis et privés de cela même qui leur avait été donné pour les éclairer, pour les défendre, pour les fortifier dans la grande tentation. Ils ont renié, au sens propre, au sens strict, — car renier, c’est déclarer que l’on ne connaît pas, ou que l’on ne reconnaît pas, ce que l’on a le devoir de connaître ou de reconnaître, — ils ont implicitement mais réellement renié l’enseignement des cinq papes de l’aggiornamento catholique, l’enseignement de Pie XII, celui de Pie XI, celui de Benoît XV, celui de saint Pie X, celui de Léon XIII.

Et, bien entendu, ils ont renié Pie IX et son Syllabus.

C’est en cela que le sac de Rome a été accompli, cette fois, par le pape et les évêques.

Après avoir parcouru ces (trop longues) citations, peut-on encore soutenir que Jean Madiran ne s’en est jamais pris au concile ?

V.