L’abbé Claude Barthe étant sur le point de publier un Carnet de la collection « Hora Decima », chez Muller Éditions, Pour une herméneutique de tradition. A propos de l’ecclésiologie de Vatican II, il nous a paru intéressant d’en publier quelques bonnes feuilles, dans la mesure où son sujet touche directement au débat que fait actuellement gonfler l’engagement du processus de réintégration canonique de la FSSPX. L’objet de ce petit ouvrage vise en effet le discours bien connu de Benoît XVI à la Curie romaine du 22 décembre 2005, par lequel il valorisait, comme on le sait, une « herméneutique de continuité » (pour faire bref : la sienne, celle du P. de Lubac, du P. Daniélou, etc.) contre une « herméneutique de rupture » (celle de Hans Küng, de Karl Rahner, du P. Congar, etc.) L’objet du livret se résume en ceci : « Le Pape n’a nullement exclu d’autres interprétations, notamment celle, proche à certains égards et cependant très distincte, de l’ 'herméneutique de continuité', que l’on pourrait qualifier d’ 'herméneutique de tradition', qui fut représentée au Concile par le cardinal Ottaviani, le cardinal Siri, Mgr Lefebvre, Mgr Carli, etc. Les successeurs intellectuels de la minorité conciliaire ont donc, eux aussi, le droit d’en interpréter les textes, et ce d’autant plus qu’ils s’adossent à la tradition bimillénaire du magistère ». Avant de donner prochainement des bonnes feuilles de ce Carnet, nous avons d’abord demandé à l’abbé Barthe de nous préciser le pourquoi cette publication maintenant. [SPO].
par l’abbé Claude Barthe :
Pour des raisons diverses, la  publication de ce Carnet a un peu tardé. Du coup, le débat, comme on  dit, auquel elle fait référence, s’est considérablement amplifié ces  derniers temps. On peut même parler de véritable glissement de terrain  dans le post-Concile, qui a commencé depuis le début du pontificat de  Benoît XVI, mais qui se manifeste de manière saisissante avec le  processus en cours de réintégration canonique de la FSSPX –  réintégration, comme j’ai eu l’occasion de le dire sur un article publié  par votre blogue, le 14 septembre, de fait, sans condition doctrinale  préalable.
Un glissement de terrain dans le post-Concile
L’ouvrage de Roberto De Mattei, Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta (2010 Lindau, Turin). « Le concile Vatican II. Une histoire jamais écrite », est un des éléments de ce glissement de terrain, en même temps qu’il en donne une clé de lecture.
En faisant, plus de 40 ans après, une  Histoire du concile Vatican II, de manière exhaustive et scientifique du  point de vue des « perdants », Roberto De Mattei montre qu’il n’y a pas  eu à Vatican II une « majorité »  progressiste opposée à une « minorité » conservatrice, mais un véritable  débat démocratique de type parlementaire, avec un « centre » (il  vaudrait mieux parler de centres : grosso modo, les partisans de ce que Benoît XVI qualifie d’herméneutique de la continuité), et deux minorités, la 1ère,  « de droite », dans la continuité du magistère du pontifical de Pie XII  (les cardinaux Ottaviani, Siri, l’École romaine de théologie, le Cœtus internationalis de NNSS Lefebvre, Carli, de Proença Sigaud, etc.), la 2ème  minorité, minorité « de gauche » celle-là, franchement hétérodoxe (les  partisans de ce que Benoît XVI qualifie d’herméneutique de la rupture). 
Comme on  le sait, le centre, appuyé et largement manipulé par la gauche, l’a  emporté sur la minorité traditionnelle (autrement dit sur le magistère  de Pie XII). Dans le centre lui-même, il faudrait distinguer un « centre  gauche » (le personnel de Paul VI) et un « centre droit » (le personnel  de Jean-Paul II), qui se sont succédés aux commandes du post-Concile.
Brochant  sur cette véritable prise du pouvoir doctrinal, par élimination du  personnel théologique de Pie XII (à savoir, la minorité de droite),  lequel a été remplacé par les tenants de la « nouvelle théologie », par  Rahner et ses émules, etc. (autrement dit, le centre et la minorité de  gauche), s’est déroulée une bataille à propos de la grande absente de  Vatican II, l’infaillibilité, remisée en même temps que l’École romaine.  Comme on sait, de manière tout à fait atypique, ce concile doctrinal, à  la différence de tous ceux qui l’ont précédé, ne s’est pas voulu  infaillible – il s’est voulu « pastoral » = doctrinal mais pas  infaillible. 
Ce qui a  permis à tout le monde de se sortir, tant bien que mal, d’un mauvais  pas. Une partie des vainqueurs de l’époque (le centre gauche et les  progressistes) l’ont interprété comme un non-dogme (d’où la possibilité  de hiatus éventuels avec le dogme antérieur) élevé paradoxalement au  rang de « super-dogme », autrement dit d’idéologie aussi vague  qu’obligatoire : il fallait « accepter le Concile », être dans  « l’esprit du Concile ». Quant aux perdants, ils ont profité dès  l’origine de ce statut « pastoral » pour en minimiser l’importance,  s’autoriser la critique, voire légitimer une véritable rébellion (le  phénomène lefebvriste au sens large).
Des temps nouveaux
Mais  l’avènement de Benoît XVI a coïncidé avec, et pour une part a été  produit par, la prise de conscience de plus en plus désespérée de  l’échec de la pastorale du Concile… pastoral : effondrement  continue de la pratique, des vocations, du nombre des prêtres, des  catéchismes, des finances, etc. dans le catholicisme occidental, avec  schismes progressistes latents en passe de devenir ouverts en Autriche,  Allemagne, Belgique, au Canada. Qui plus est, la sécularisation à  laquelle l’idéologie de « l’esprit du Concile » tentait de s’adapter, a  dévasté tout le champ religieux, y compris cette tentative  d’« adaptation au monde » elle-même, qui apparaît aujourd’hui dérisoire,  même si elle n’en finit pas de mourir. Enfin, en reléguant l’autorité  magistérielle comme telle – celle qui dit la foi et le contenu du Credo  –, on a assisté à une relativisation magistérielle générale, agissant  comme un poison lent dans l’organisme de ce que Pie XII qualifiait de  magistère vivant.
Au point  que, les temps sont devenus mûrs, non seulement pour battre sérieusement  en brèche le pouvoir doctrinal de « l’herméneutique de rupture »,  fortement vieillie et affaiblie, mais aussi pour assister au retour –  pas au retour en force, car celle-ci est très relative – des derniers  survivants de l’École romaine (Gherardini), rejoints par une nouvelle  génération critique (les théologiens et historiens de la réforme de la  réforme, par exemple) et par les jeunes générations de clercs diocésains  et des communautés, clercs traditionalistes de l’intérieur et (pour  quelques mois encore) de l’extérieur. Le tout, hélas !, dans un  catholicisme ravagé et réduit souvent à bien peu de chose, et où plus  gravement, le capital catholique intellectuel de continuité a  été dilapidé sans doute plus durablement qu’il ne le fut en France lors  de la crise révolutionnaire (à de notables exceptions près, comme par  exemple la haute tenue de l’école thomiste de Toulouse et Fribourg).
Cependant, sous prétexte que le  Saint-Siège s’apprête à réintégrer canoniquement une Fraternité hostile à  certains textes doctrinaux de Vatican II, on ne saurait passer par  pertes et profits une posture théologique qui peut paraître marginale,  mais qui est très compréhensible. Je pense à une minorité de théologiens  traditionalistes, qui se sont écartés de l’attitude de rupture du  lefebvrisme, et qui ont cru pouvoir découvrir un Vatican II infaillible  (essentiellement par recours au magistère ordinaire universel) : un  Vatican II, surtout celui de la liberté religieuse, revu et reforgé par  eux de manière parfois extrêmement complexe et savante. Aujourd’hui, le  concordat qui semble devoir se signer entre les « rebelles » de la FSSPX  et le « gouvernement » romain, semble invalider cette tentative de  théologiens plus catholiques que le pape. Sauf que les prélats qui  « négocient » la reconnaissance de la FSSPX, tout en étant très proches  des positions d’un Brunero Gherardini (considérant que le Concile est,  en certains points, révisable), au moins par fidélité administrative au  magistère vivant qui doit être l’âme du Siège apostolique dont ils sont  les serviteurs, ne peuvent admettre purement et simplement que  l’œcuménisme et la nouvelle liturgie soient doctrinalement suspectables.
Des points de suspension
Le problème que soulèvent les théologiens du Barroux, de Chémeré, de La Nef (ce  sont souvent les mêmes), etc., n’est pas éloigné, on peut le parier, de  l’objection qu’ont dû fréquemment poser les théologiens romains qui ont  débattu avec ceux de la FSSPX lors des colloques à cet effet. On peut  même dire que c’est une part de la pensée du Pape que les uns et les  autres expriment. On imagine, en effet, que les théologiens de la  Congrégation pour la Doctrine de la foi n’ont pas pu ne pas user de  l’argument d’autorité (celle de l’enseignement postconciliaire) de la  même manière que leurs interlocuteurs invoquaient l’autorité de  l’ensemble de l’enseignement antérieur au Concile.
Et on pourrait concéder que, sous un  certain aspect, la FSSPX, mais aussi plus faiblement ceux qu’on pourrait  appeler les « gherardiniens », apparaissent paradoxalement comme des  « modernes », dans la mesure où ils soumettent les nouveautés d’un  enseignement présent à un examen critique. Jamais il ne leur serait venu  à l’esprit (ni à moi), sous Pie XII, de passer au crible de la critique  les textes d’enseignement théologique de ce pontife, même les plus  modestes d’apparence. Or, pour défendre, la teneur du magistère vivant  d’hier, chahuté par certains passages de Vatican II, ils sont amenés  méthodologiquement à mettre entre parenthèses le fait que le magistère  est, par définition, (toujours) vivant. En quoi ils sont encouragés par  un autre aspect de la pensée de Benoît XVI qui, 40 ans après la clôture  de Vatican II, laissait entendre que son interprétation reste ouverte,  40 ans après la réforme liturgique rétablissait la liturgie qu’elle  avait abolie dans ses droits, et 40 ans après la rupture  provoquée/consentie de la FSSPX la réintègre en l’état.
Sans prétendre – même de très loin – résoudre ce casse-tête, la conclusion de mon Herméneutique de tradition  reprend, une fois de plus, le thème de la « sortie par le haut », ce  qui est une manière d’achever en points de suspension, ou d’attente,  l’attente de précisions magistérielles à venir.
