12 septembre 2008

Tous les chemins ne mènent pas à Rome
12/09/2008 - Jean-Marie Guénois - lefigaro.fr
Tous les chemins ne mènent pas à Rome Les relations entre l'épiscopat français et Joseph Ratzinger, pourtant francophone et francophile, n'ont pas toujours été au beau fixe. Explications.
Le cardinal Ratzinger en fit la confidence émue, le 11 mai 1998, à l'ambassade de France près le Saint-Siège, à Rome. La France lui remettait, ce jour-là, en la personne de l'ambassadeur Jean-Louis Lucet, les insignes de commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur. Très touché, Joseph Ratzinger rendit un hommage vibrant au cardinal Henri de Lubac, grand jésuite dont « l'amitié, confia-t-il, est un des plus grands dons que j'aie reçus dans ma vie ». Un court discours où il révéla aussi son amour pour la France : « J'ai toujours été, dès ma jeunesse, un admirateur zélé de la douce France. Dans une Allemagne détruite et humiliée par la suite de la guerre, le premier drame que j'ai lu était Le Soulier de satin, de Paul Claudel. » Il décrivit ensuite d'autres lectures : « Bernanos, Mauriac, Péguy, mais aussi des laïques comme Anouilh et Sartre. » Puis la découverte de Lubac, en 1948, et aussi d'autres théologiens français : Congar, Daniélou, Chenu. « Ma pensée, précisa-t-il, s'est charpentée au contact de ces maîtres. »
Joseph Ratzinger est donc imprégné de culture française. Et pourtant, de ce jour de 1981 où Jean-Paul II le nomma à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le plus français des cardinaux étrangers avant qu'il ne devienne pape, en 2005 n'a jamais connu une relation apaisée avec la France. Ou plutôt avec l'Eglise de France...
Un mot de trop, en 1985, et l'orage éclate. Le cardinal allemand livre sa vision de l'Eglise au journaliste italien Vittorio Messori, dans un ouvrage intitulé Entretien sur la foi (Fayard). Avec précaution car il connaît et utilise notre langue avec finesse , il emploie le terme de « restauration ». Une polémique s'enflamme aussitôt en France, que même les paroles et l'autorité du cardinal Henri de Lubac, au plus fort de la crise, ne suffisent pas à tempérer : « Le tintamarre qui a retenti à propos du mot restauration est ridicule », avait lâché le vieux sage. Les adversaires du cardinal Ratzinger avaient en effet curieusement oublié les nuances qu'il apportait : « Si, par restauration, l'on entend un retour un arrière, alors aucune restauration n'est possible. (...) Mais si, par restauration, on entend la recherche d'un nouvel équilibre après les exagérations d'une ouverture sans discernement au monde (...), une restauration entendue en ce sens-là (...) serait tout à fait souhaitable, et est du reste déjà amorcée dans l'Eglise. »
La citation est essentielle pour comprendre le pontificat. Et reste symptomatique d'une incompréhension de fond entre Joseph Ratzinger et une partie de l'Eglise de France, qui ne partage pas ses orientations.

 

Il y a vingt-cinq ans, Ratzinger critiquait les catéchismes français
Lui, d'ailleurs, n'a rien fait pour se faire aimer. Dès janvier 1983, il prononce à Paris et à Lyon deux conférences chocs qui remettent directement en cause la forme et le fond du catéchisme alors en vigueur, le fameux Pierres vivantes. Le cardinal dénonce la « grande misère de la catéchèse nouvelle » et déplore tout net : « On n'a plus le courage de présenter la foi comme un tout organique en soi. » La controverse rebondit deux ans plus tard. Le préfet de la doctrine de la foi n'est toujours pas satisfait de la révision opérée par les évêques sur le manuel Pierres vivantes. Il leur demande, par lettre officielle, un « catéchisme » qui serait un « texte de base incontesté ».
L'autre précédent entre l'Eglise de France et Benoît XVI touche la question de la liturgie. Il y a certes l'affaire Lefebvre, où le cardinal Ratzinger joua, à la demande de Jean-Paul II, un rôle de médiateur, mais sans succès. Il y a surtout la publication et l'application, il y a un an, du Motu proprio libéralisant, de facto, l'usage du missel en latin, dit « de saint Pie V ». Son lieu principal d'application est la France. Le pape a même écrit une lettre d'accompagnement pour les évêques en français. Il y eut aussi, en son temps, des invitations que le cardinal Ratzinger acceptait volontiers dans les milieux traditionalistes. Ainsi, sa visite en 1995 à l'abbaye Sainte-Madeleine-du-Barroux, ou sa participation aux Journées liturgiques de Fontgombault, en 2001. Cette familiarité avec le monde de la tradition a toujours agacé une large partie des évêques de France.
Les cérémonies de Paris et de Lourdes porteront la marque du goût de Benoît XVI pour le classicisme liturgique. Dans les jours qui viennent, il faut s'attendre à ce que cette inflexion dans le style pontifical fasse parler...