25 août 2008

Yves Amiot, mon ami.
25 août 2008 - Abbé Philippe Laguérie - blog.institutdubonpasteur.org
Mon ami, Yves Amiot, est mort aujourd’hui, dimanche 24 Août à 13h00, à l’hôpital Bergonier de Bordeaux. Un ami comme on en fait plus, sorti du fond des âges, éternel déjà de son vivant, et dont il y a tout à craindre qu’on en verra plus guère, moule brisé. Je suis triste et heureux à la fois. Je mesure à sa disparition la place qu’il occupait, pas seulement dans les lettres, pas seulement dans la politique, pas seulement dans le combat de chaque jour, mais dans mon cœur de prêtre pourtant habitué de la mort. Mais je suis assuré que cette grâce efficace qu’il a tant défendue, parfois en la créditant aux jansénistes en la personne du plus génial d’entre eux, Pascal évidemment, alors qu’elle sort tout droit de la somme théologique, ne lui aura pas fait défaut et qu’elle l’aura conduit rapidement au seuil de la gloire. Comme disait mon professeur de théologie dogmatique de l’époque, un certain abbé Richard Williamson, « les Prats and Witneys » de la prédestination. Fasciné par la dérive jésuite de la casuistique, amoureux de tout ce que la France a compté de plus génial et un moment ramassé autour de Port-Royal, Yves Amiot a su prendre aux Solitaires, non pas leur mépris de Saint Thomas (quoiqu’ils en eussent les doctrines : mais un certain Descartes avait de longtemps interdit qu’on de référât à la Scholastique), non pas les pudibonderies eucharistiques du grand Arnaud, non pas le charismatisme convulsionnaire du diacre Paris, non pas le forceps moral de Quesnel et encore moins l’esprit révolutionnaire des revanchards sur le pouvoir royal qui feront les deux tiers de l’ Assemblée Constituante… Quoi me direz-vous et que reste-t-il du Jansénisme après en avoir écarté tout cela ?
La plume d’abord ! Quand on aligne Saint Cyran, Le Grand Arnaud, Pascal, Boileau, Racine, Le Maitre de Sacy, Nicole, La Mère Angélique, La Fontaine et beaucoup d’autres, on a beau faire semblant de se recommander d’un obscure évêque d’Ypres, on le dépasse tellement qu’on l’éclipse tout à fait. La plume d’Yves Amiot, pourtant moderne et « branchée » a puisé là le génie éternel de la langue française tant il est vrai que la culture française avait atteint un point de civilisation insurpassé et (à mon avis) insurpassable tel que deux siècles de décadence n’ont pu l’anéantir. Quand Hegel affirmait que Pascal est un génie dévoyé par le Christianisme, il aurait mieux fait de relire la 17ème Provinciale (comme nous le faisions avec Yves chaque année) et se demander si l’on peut pousser plus loin le génie humain qu’il n’a pas seulement entrevu, le malheureux. Dont les élucubrations « spirituelles » nous on valu, à peine retournées, les totalitarismes les plus abjects du XXième siècle : communisme et nazisme.
La Grâce efficace ensuite ! Tous les romans d’Yves Amiot décrivent ces personnages tiraillés, il est vrai, entre cette soif incoercible de l’absolu et le pragmatisme absurde du quotidien. Mais ils ont toujours un fil conducteur qui leur fait refuser de perdre l’honneur, qu’à défaut de pouvoir incarner dans les faits ils conservent intact dans leurs âmes. N’allez pas vous étonner d’apprendre qu’un personnage aussi sombre que François Mitterrand ne manquait jamais de lire le dernier roman d’Yves Amiot et de l’en féliciter personnellement à chaque fois. Il y retrouvait sans doute cette (nostalgie de la) fierté qu’on peut conserver même avec des mains très sales. Un vrai chrétien sait que c’est Dieu qui sauve et que cette reconnaissance est ce qui permet à Dieu cette efficience. Comme disait Pascal, il n’y a que deux sortes de gens : les pécheurs qui se croient justes et les justes qui se croient pécheurs. Choisissez votre camp.
D’où l’extrême pudeur des héros comme de l’auteur. Yves Amiot ne se livrait pas. Il savait que ce monde détestable a proscrit la franchise et que pour conserver un peu de consistance il faut se garder soigneusement de toutes confessions à la Rousseau ou à la Victor Hugo. Le charme exquis de mon ami lui venait sans doute de là : aux antipodes du romantisme qui déballe de fausses vertus déguisées en vrais vices, il gardait le fond de son âme délicate. Pour lui-même ? Certes non, car c’est encore là du romantisme affiché comme il se doit de son orgueil congénital. Il se gardait parce qu’une âme doit se garder. Seul Dieu peut entendre ce murmure que chuchote une âme qui a décidé de se garder de la médiocrité, du laisser-aller, de la popularité. Il faut aller chercher dans ses héros, qui ne se livrent jamais, les situations cornéliennes qu’ils affrontent pour deviner quels pourraient être leurs sentiments. Le mot d’ailleurs est faux : ils ont bien des passions, des pensées, des réflexions, mais jamais de sentiments, d’états d’âmes, bref, tout ce qui fait ce repli détestable d’une âme sur elle-même. Oui, la lecture d’Yves Amiot est le meilleur contrepoison du romantisme généralisé et irrespirable. Et si sa passion pour l’armée, les batailles et son admiration pour Napoléon lui-même vous étonnent, sachez qu’elles ne procédaient évidemment que de la bravoure mises en œuvre-là et non point de la cause stérile et funeste défendue.
L’homme véritablement consistant se réalise donc dans ses combats. Son idéal n’est pas son « moi », il met ce « moi » miséreux au service. Yves Amiot s’est donné sans compter à la cause de saint Nicolas du Chardonnet, passant des nuits entières à dormir sur un marchepied d’autel latéral. Il a suivi sans aucun « état d’âme », cette chose ignorée de lui, le combat de Mgr Ducaud-Bourget, le girondin qui triomphe à Paris. Cet écrivain de talent et même de génie parfois, à la plume gigantesque, m’accordait des articles dans le Chardonnet puis dans Mascaret.
Il sut reconnaître comme d’instinct que le combat parisien pour la liberté de la tradition liturgique s’était transporté à Bordeaux. D’aucuns, que je ne nommerai pas, n’ont pas eu ce flair ! Il est aussi l’un des premiers à qui je m’ouvrais des difficultés concernant les vocations et quand je fus chassé de ma Fraternité en trois petites semaines, après 25 ans de services comme prêtre, en compagnie de mes meilleurs amis, il en conçut une si grande amertume qu’il créa incontinent « Sensus Fidei » pour faire justice de cette farce… ignoble il est vrai. On avait jamais vu, en 2000 ans d’histoire de l’Eglise un évêque se permettant de « désincardiner » ses prêtres pour les mettre à la rue, ce que les pires modernistes ne font pas. Yves Amiot ne pouvait le supporter. Quand l’Institut du Bon-Pasteur fut créé en 2006 par le Pape Benoît XVI, il me confia que c’était le résultat de toutes ses espérances et de ses combats. Et d’ajouter même qu’il pouvait mourir, alors, et qu’il utiliserait toutes ses dernières forces à nous soutenir. Mission accomplie.
Car le dernier trait que je veux souligner est son respect à la fois sacral et débonnaire du sacerdoce. Débonnaire sans doute : c’est au club des « pyramides » que nous sommes connus, avec Gérard Delmas, Jean Nouyrigat, Bernard de Sivry, Pierre Chaumeil et beaucoup d’autres. Les verres étaient pleins et les parties effrénées. Mais la supériorité d’Yves Amiot tranchait par sa condescendance infinie pour le tout jeune prêtre que j’étais. Au lieu de contrecarrer mes enthousiasmes juvéniles et m’écraser, comme il l’aurait pu facilement, de son expérience presque tous azimuts (armée, banque, littérature…) il profitait de ma jeune théologie pour étayer sa vieille philosophie, la modifier au besoin, l’approfondir toujours. Il faisait semblant de ne pas deviner que j’apprenais beaucoup plus que lui, véritable Socrate d’un Platon en herbe. Jusque tard dans la nuit, nous relisions Pascal, Perret, Ducaud-Bourget… Il était l’âme du groupe, toujours dans la discrétion, le sourire, la délicatesse. Je mesure, des années plus tard quelle grâce j’ai eue d’avoir la confiance, les faveurs et la profonde amitié d’un homme aussi riche et plaisant. Quand je lui ai donné les derniers sacrements, samedi passé, j’ai mesuré brusquement combien l’amitié est faite toute entière pour la vie éternelle…
Je présente mes amitiés et mes condoléances à sa très courageuse épouse, Thérèse Gillaiseau et à leur fils Bernard. Ses obsèques auront lieu, à Saint Eloi bien sûr, mercredi 27 août 2008 à 14 H 30