SOURCE - summorum-pontificum.fr - 16 juillet 2010
La reprise, sur ce blog, des très courts propos “prolégoméniques” de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur – l’abbé Philippe Laguérie –, parus sur son MetaBlog le 9 juillet et où l’abbé regrettait la décision de son supérieur général de supprimer « d’un trait de plume » le convict romain de l’IBP, a suscité sur d’autres blogs et forums des commentaires parfois déplacés sur les miens. On n’a pas vu, ou pas voulu voir, que l’abbé posait une question d’une colossale importance pour l’avenir, qui est celle de la formation intellectuelle des futurs lévites et qui constitue aujourd’hui le vrai débat sur l’“affaire” du convict romain de l’IBP. Cela, certes, ne flatte pas le goût de la polémique que cultivent certains. Le problème n’est évidemment pas là. Il est, très exactement, dans l’approfondissement urgent de la réflexion sur la formation intellectuelle et pastorale des futurs prêtres, que l’on qualifiera pour faire simples de “traditionalistes”, dans les conditions vraies de notre temps et non dans un monde rêvé ou fantasmé. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, pour ce qui est de la formation intellectuelle, l’abbé de Tanoüarn en connaît « un rayon ». C’est pourquoi j’ai souhaité lui donner la parole pour qu’il puisse s’expliquer en long, en large et en rondeur… Il a accepté, voici quelques jours, de répondre à mes questions et je l’en remercie. Le texte est substantiel et développé, mais un tel débat méritait bien qu’on lui permette un peu de place. Après tout, la pédagogie est pétrie de répétitions et aussi parfois de longueurs… C'est pourquoi je publie cet entretien en deux parties. La première, vous le trouverez ci-dessous et la seconde, ce soir, à 18H00. Bonne lecture.
Ch. S.-P.
– M. l’abbé, vous êtes assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur (institut de Droit pontifical créé le 8 septembre 2006) et vous avez tenu à signifier très rapidement et très clairement sur votre metablog votre opposition à la fermeture de la maison romaine de ce même Institut – maison qui avait vocation à former des prêtres , en leur permettant de poursuivre dans les universités romaines la deuxième partie de leur cursus, la partie proprement théologique. Pourquoi ce projet, qui, vu de loin, peut sembler secondaire, vous tient-il tellement à cœur ?
GdT : Il y a d’abord le fait que j’ai porté très tôt cette idée d’une formation des prêtres en convicts, convicts appuyés sur de solides universités. Elle était partie intégrante de l’intuition de départ de l’Institut du Bon Pasteur et l’abbé Laguérie l’avait validée, en introduisant dans nos statuts l’organisation de convicts, constitués d’un petit nombre de candidats dûment préparés aux belles fonctions du sacerdoce. Je cite : « La forme usuelle du séminaire telle que conçue depuis deux siècles, pourra être modifiée, avec beaucoup de prudence, au profit d’unités plus petites (« dites convicts »), plus proches de la vie paroissiale et somme toute plus traditionnelles. Ces convicts formeront un tout organique, conformément au can. 235, § 1 ». « Modifier – avec prudence – la forme usuelle du séminaire ». La perspective était très novatrice, même si le concept est vieux comme l’Eglise. Je dois dire que cette idée m’anime toujours aujourd’hui, comme je vais essayer de vous l’expliquer. Il me semble qu’elle est utile plus que jamais à l’Eglise.
L’année du sacerdoce a été l’occasion de réfléchir sur les problèmes qui se posent non seulement aux prêtres, mais aux futurs prêtres dans un monde qui, a priori, leur devient hostile. Benoît XVI insiste à temps et à contre temps sur le fait qu’une Eglise sans sacerdoce est impossible et que le sacerdoce de demain restera fidèle au sacerdoce tel que l’Eglise latine l’a conçu, avec la charge du célibat, et aussi une exigence particulière de sainteté pour les prêtres, qui ne devront pas être des fonctionnaires de Dieu. Symbole de cette confiance du pape dans le sacerdoce traditionnel : le curé d’Ars, désigné au début de l’année du sacerdoce comme le patron de tous les prêtres du monde. Dans cette perspective, on comprend l’attachement du Saint Père pour la forme extraordinaire du rite romain, sa richesse contemplative et son insistance sur l’action sacrée du prêtre in persona Christi, dans la personne du Christ.
Il importe de permettre aux candidats de s’approcher de cet idéal difficile, dans des conditions optimales. Il faut qu’il se sentent compris et qu’on leur donne les moyens intellectuels et spirituels de coïncider avec l’appel du Christ.
Que peut-on offrir aux candidats au sacerdoce qui se présentent à l’IBP ? Non pas un séminaire low cost où l’on apprendrait seulement à « plier la machine », comme dit Pascal, à porter la barrette et à acquérir diverses habitudes cléricales. Il fallait inventer autre chose, qui puisse affirmer la spécificité de l’IBP, face aux autres sociétés de prêtres, dépendante de la Commission Ecclesia Dei, autre chose qui participe d’un charisme propre de l’Institut, au service de l’Eglise. C’est dans cette perspective que se sont placés nos statuts. C’est dans cette perspective que l’IBP a été créée. C’est dans cette perspective que je me suis intéressé à l’organisation des études cléricales.
– Vous sortiez de la Fraternité Saint Pie X. D’où vous venait l’idée d’une nouvelle organisation des études ?
GdT : L’une des difficultés principales que j’y rencontrai, malgré tout ce que je lui dois, était celle de la formation des futurs prêtres. Plusieurs candidats qui avaient été envoyés à Ecône, s’étaient fait renvoyer de la Maison sans être vraiment au clair sur leur vocation sacerdotale. L’abbé Laguérie, en 2004, avait d’ailleurs voulu mettre ce problème sur la table d’une manière tout à fait opportune, même si la forme de son intervention auprès de ses confrères de l’époque était un peu cavalière, il faut le reconnaître. Quand je passais des heures au téléphone avec lui, plus tard, pour le convaincre de se lancer dans l’aventure de l’IBP, je pensais avant tout à ces jeunes qui devaient trouver moyen d’éclairer leur chemin personnel dans de bonnes conditions, ces jeunes en particulier que j’avais avec moi au Centre Saint Paul et qui faisaient leurs études de théologie à l’université de Strasbourg : première ébauche des convicts dont parlent nos statuts.
On s’inspire toujours de sa propre expérience. Je suis personnellement l’un des rares séminaristes d’Ecône qui ait été autorisé (par M. l’abbé Tissier de Mallerais à l’époque) à faire des études en parallèle, dans une Faculté qui était une Faculté laïque, la Sorbonne (faute à la dureté des temps et à la marginalisation où se trouvait et où se trouve encore la maison valaisanne). Je dois dire que j’ai beaucoup appris de ce double cursus. Certes cette situation n’est pas reproductible en l’état : un séminariste d’Ecône, formé à la laïque, c’était un peu fort. Mais je crois qu’une université catholique peut apporter beaucoup.
A Ecône, M. l’abbé Lorans insistait sur le fait que nos études au Séminaire devaient être « quasi-universitaire ». Au bout de cinq ans de mandat, il s’était replié davantage sur le « quasi » que sur « l’universitaire ». Qu’est-ce que signifiait initialement ce « quasi » dans l’esprit de l’abbé Lorans ? Il avait été Recteur de l’Institut Universitaire saint Pie X, avant d’être nommé directeur du Séminaire d’Ecône. Lorsqu’il est arrivé, il voulait donner un souffle nouveau à la formation sacerdotale. Mais, au fur et à mesure des années, il avait bien dû tenir compte du défi que portait cet impératif du « quasi-universitaire ». Il fallait à la fois universaliser la formation reçue, ne pas la réduire à la froideur des manuels que tel professeur « répétait » littéralement, sans avoir même lu le texte de son cours de façon un tant soit peu approfondie avant d’entrer dans la salle de classe. Mais il fallait en même temps garder l’architecture exigeante des études cléricales « à l’ancienne », la lumière de saint Thomas d’Aquin lu dans le texte, la précision toute pratique de la casuistique en théologie morale etc. Dans cette double exigence s’est perdu l’esprit de sa réforme et cela a été grand dommage pour Ecône, où l’on a cultivé la théologie comme un savoir insulaire, en oubliant qu’en tant que science rectrice de toutes les sciences, la théologie devait avoir aussi, pour être vivante, un statut inductif comme le pensait déjà le Père Guérard des Lauriers dont je découvris un article remontant aux années 40 dans la très belle bibliothèque du Séminaire d’Ecône.
Il faut bien reconnaître, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, que le problème rencontré dans cette réforme n’était pas vraiment le niveau de réflexion des séminaristes. Un séminariste qui sait pourquoi il est là, se donne… à cœur perdu et il peut rendre des devoirs techniquement médiocres sans doute, mais qui dénotent, du point de vue de ce que Pascal appelait l’esprit de finesse, un excellent niveau. J’ai des exemples précis, des noms en tête lorsque je dis cela. Non le principal problème a été, me semble-t-il, la paresse et la peur d’une partie du corps enseignant que l’on n’a pas pu sortir de ses manuels… Ce sont ceux là qui donnaient aux séminaristes l’impression qu’ils ne pourraient jamais atteindre le niveau quasi universitaire que voulait leur voir cultiver M. l’abbé Lorans et qu’ils devraient se contenter, pour être de bons prêtres, d’une science préfabriquée.
– Mais en ce moment, le navire Eglise semble couler sous les critiques… et les scandales. Vous n ‘avez pas un peu l’impression, comme les Byzantins naguère sous la menace turque, de parler du sexe des anges, alors que les grandes marées du matérialisme dans tous ses états menacent toujours plus vos positions ?
GdT : Je pense qu’aujourd’hui, dans une société occidentale qui déteste toutes les valeurs portées par les jeunes prêtres soutanes au vent, soit l’on s’enferme dans son cocon, soit l’on doit affronter la question fondamentale de l’universalité du savoir, pour être capable de rendre le Christ audible, aussi bien au Patron qu’à l’employé, aussi bien au professeur qu’aux enfants (dont nous aurions tort de sous estimer la maturité très précoce et les questions). J’entends d’ici certains confrères de tel ou tel Institut se gausser sur le caractère trop intellectuel de mon approche méthodique. Beaucoup recommandent « la prière » comme la solution à tous les problèmes que peut rencontrer un jeune prêtre. Mais la prière, c’est d’abord l’attention et la méditation, à moins d’imaginer qu’on entre tous de plain pied dans la contemplation. Cette attention, un bon niveau d’étude nous permet de l’apprendre. Quant à la méditation, elle est nourrie de ce que nous apprenons. Voyez le curé d’Ars, patron de tous les prêtres du monde. Il a beaucoup travaillé, il a potassé ses bouquins, il a lu les Pères de l’Eglise, sans doute beaucoup plus que ne le faisaient la moyenne des séminaristes à son époque… Certes tout le monde ne peut pas tout savoir. Mais on peut au moins - il me semble que c’est le but des études sacerdotales - prendre du plaisir à étudier de près un domaine dans lequel on est bon. Et dans ce domaine, il faudra forcément dépasser le manuel, et donc… avoir au moins un peu appris à dépasser le manuel. Voilà où en étaient mes réflexions dans les dernières années de ma présence à la Fraternité Saint Pie X.
– Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?
À suivre, ce soir, à 18h00.
La reprise, sur ce blog, des très courts propos “prolégoméniques” de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur – l’abbé Philippe Laguérie –, parus sur son MetaBlog le 9 juillet et où l’abbé regrettait la décision de son supérieur général de supprimer « d’un trait de plume » le convict romain de l’IBP, a suscité sur d’autres blogs et forums des commentaires parfois déplacés sur les miens. On n’a pas vu, ou pas voulu voir, que l’abbé posait une question d’une colossale importance pour l’avenir, qui est celle de la formation intellectuelle des futurs lévites et qui constitue aujourd’hui le vrai débat sur l’“affaire” du convict romain de l’IBP. Cela, certes, ne flatte pas le goût de la polémique que cultivent certains. Le problème n’est évidemment pas là. Il est, très exactement, dans l’approfondissement urgent de la réflexion sur la formation intellectuelle et pastorale des futurs prêtres, que l’on qualifiera pour faire simples de “traditionalistes”, dans les conditions vraies de notre temps et non dans un monde rêvé ou fantasmé. Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non, pour ce qui est de la formation intellectuelle, l’abbé de Tanoüarn en connaît « un rayon ». C’est pourquoi j’ai souhaité lui donner la parole pour qu’il puisse s’expliquer en long, en large et en rondeur… Il a accepté, voici quelques jours, de répondre à mes questions et je l’en remercie. Le texte est substantiel et développé, mais un tel débat méritait bien qu’on lui permette un peu de place. Après tout, la pédagogie est pétrie de répétitions et aussi parfois de longueurs… C'est pourquoi je publie cet entretien en deux parties. La première, vous le trouverez ci-dessous et la seconde, ce soir, à 18H00. Bonne lecture.
Ch. S.-P.
– M. l’abbé, vous êtes assistant du supérieur général de l’Institut du Bon Pasteur (institut de Droit pontifical créé le 8 septembre 2006) et vous avez tenu à signifier très rapidement et très clairement sur votre metablog votre opposition à la fermeture de la maison romaine de ce même Institut – maison qui avait vocation à former des prêtres , en leur permettant de poursuivre dans les universités romaines la deuxième partie de leur cursus, la partie proprement théologique. Pourquoi ce projet, qui, vu de loin, peut sembler secondaire, vous tient-il tellement à cœur ?
GdT : Il y a d’abord le fait que j’ai porté très tôt cette idée d’une formation des prêtres en convicts, convicts appuyés sur de solides universités. Elle était partie intégrante de l’intuition de départ de l’Institut du Bon Pasteur et l’abbé Laguérie l’avait validée, en introduisant dans nos statuts l’organisation de convicts, constitués d’un petit nombre de candidats dûment préparés aux belles fonctions du sacerdoce. Je cite : « La forme usuelle du séminaire telle que conçue depuis deux siècles, pourra être modifiée, avec beaucoup de prudence, au profit d’unités plus petites (« dites convicts »), plus proches de la vie paroissiale et somme toute plus traditionnelles. Ces convicts formeront un tout organique, conformément au can. 235, § 1 ». « Modifier – avec prudence – la forme usuelle du séminaire ». La perspective était très novatrice, même si le concept est vieux comme l’Eglise. Je dois dire que cette idée m’anime toujours aujourd’hui, comme je vais essayer de vous l’expliquer. Il me semble qu’elle est utile plus que jamais à l’Eglise.
L’année du sacerdoce a été l’occasion de réfléchir sur les problèmes qui se posent non seulement aux prêtres, mais aux futurs prêtres dans un monde qui, a priori, leur devient hostile. Benoît XVI insiste à temps et à contre temps sur le fait qu’une Eglise sans sacerdoce est impossible et que le sacerdoce de demain restera fidèle au sacerdoce tel que l’Eglise latine l’a conçu, avec la charge du célibat, et aussi une exigence particulière de sainteté pour les prêtres, qui ne devront pas être des fonctionnaires de Dieu. Symbole de cette confiance du pape dans le sacerdoce traditionnel : le curé d’Ars, désigné au début de l’année du sacerdoce comme le patron de tous les prêtres du monde. Dans cette perspective, on comprend l’attachement du Saint Père pour la forme extraordinaire du rite romain, sa richesse contemplative et son insistance sur l’action sacrée du prêtre in persona Christi, dans la personne du Christ.
Il importe de permettre aux candidats de s’approcher de cet idéal difficile, dans des conditions optimales. Il faut qu’il se sentent compris et qu’on leur donne les moyens intellectuels et spirituels de coïncider avec l’appel du Christ.
Que peut-on offrir aux candidats au sacerdoce qui se présentent à l’IBP ? Non pas un séminaire low cost où l’on apprendrait seulement à « plier la machine », comme dit Pascal, à porter la barrette et à acquérir diverses habitudes cléricales. Il fallait inventer autre chose, qui puisse affirmer la spécificité de l’IBP, face aux autres sociétés de prêtres, dépendante de la Commission Ecclesia Dei, autre chose qui participe d’un charisme propre de l’Institut, au service de l’Eglise. C’est dans cette perspective que se sont placés nos statuts. C’est dans cette perspective que l’IBP a été créée. C’est dans cette perspective que je me suis intéressé à l’organisation des études cléricales.
– Vous sortiez de la Fraternité Saint Pie X. D’où vous venait l’idée d’une nouvelle organisation des études ?
GdT : L’une des difficultés principales que j’y rencontrai, malgré tout ce que je lui dois, était celle de la formation des futurs prêtres. Plusieurs candidats qui avaient été envoyés à Ecône, s’étaient fait renvoyer de la Maison sans être vraiment au clair sur leur vocation sacerdotale. L’abbé Laguérie, en 2004, avait d’ailleurs voulu mettre ce problème sur la table d’une manière tout à fait opportune, même si la forme de son intervention auprès de ses confrères de l’époque était un peu cavalière, il faut le reconnaître. Quand je passais des heures au téléphone avec lui, plus tard, pour le convaincre de se lancer dans l’aventure de l’IBP, je pensais avant tout à ces jeunes qui devaient trouver moyen d’éclairer leur chemin personnel dans de bonnes conditions, ces jeunes en particulier que j’avais avec moi au Centre Saint Paul et qui faisaient leurs études de théologie à l’université de Strasbourg : première ébauche des convicts dont parlent nos statuts.
On s’inspire toujours de sa propre expérience. Je suis personnellement l’un des rares séminaristes d’Ecône qui ait été autorisé (par M. l’abbé Tissier de Mallerais à l’époque) à faire des études en parallèle, dans une Faculté qui était une Faculté laïque, la Sorbonne (faute à la dureté des temps et à la marginalisation où se trouvait et où se trouve encore la maison valaisanne). Je dois dire que j’ai beaucoup appris de ce double cursus. Certes cette situation n’est pas reproductible en l’état : un séminariste d’Ecône, formé à la laïque, c’était un peu fort. Mais je crois qu’une université catholique peut apporter beaucoup.
A Ecône, M. l’abbé Lorans insistait sur le fait que nos études au Séminaire devaient être « quasi-universitaire ». Au bout de cinq ans de mandat, il s’était replié davantage sur le « quasi » que sur « l’universitaire ». Qu’est-ce que signifiait initialement ce « quasi » dans l’esprit de l’abbé Lorans ? Il avait été Recteur de l’Institut Universitaire saint Pie X, avant d’être nommé directeur du Séminaire d’Ecône. Lorsqu’il est arrivé, il voulait donner un souffle nouveau à la formation sacerdotale. Mais, au fur et à mesure des années, il avait bien dû tenir compte du défi que portait cet impératif du « quasi-universitaire ». Il fallait à la fois universaliser la formation reçue, ne pas la réduire à la froideur des manuels que tel professeur « répétait » littéralement, sans avoir même lu le texte de son cours de façon un tant soit peu approfondie avant d’entrer dans la salle de classe. Mais il fallait en même temps garder l’architecture exigeante des études cléricales « à l’ancienne », la lumière de saint Thomas d’Aquin lu dans le texte, la précision toute pratique de la casuistique en théologie morale etc. Dans cette double exigence s’est perdu l’esprit de sa réforme et cela a été grand dommage pour Ecône, où l’on a cultivé la théologie comme un savoir insulaire, en oubliant qu’en tant que science rectrice de toutes les sciences, la théologie devait avoir aussi, pour être vivante, un statut inductif comme le pensait déjà le Père Guérard des Lauriers dont je découvris un article remontant aux années 40 dans la très belle bibliothèque du Séminaire d’Ecône.
Il faut bien reconnaître, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, que le problème rencontré dans cette réforme n’était pas vraiment le niveau de réflexion des séminaristes. Un séminariste qui sait pourquoi il est là, se donne… à cœur perdu et il peut rendre des devoirs techniquement médiocres sans doute, mais qui dénotent, du point de vue de ce que Pascal appelait l’esprit de finesse, un excellent niveau. J’ai des exemples précis, des noms en tête lorsque je dis cela. Non le principal problème a été, me semble-t-il, la paresse et la peur d’une partie du corps enseignant que l’on n’a pas pu sortir de ses manuels… Ce sont ceux là qui donnaient aux séminaristes l’impression qu’ils ne pourraient jamais atteindre le niveau quasi universitaire que voulait leur voir cultiver M. l’abbé Lorans et qu’ils devraient se contenter, pour être de bons prêtres, d’une science préfabriquée.
– Mais en ce moment, le navire Eglise semble couler sous les critiques… et les scandales. Vous n ‘avez pas un peu l’impression, comme les Byzantins naguère sous la menace turque, de parler du sexe des anges, alors que les grandes marées du matérialisme dans tous ses états menacent toujours plus vos positions ?
GdT : Je pense qu’aujourd’hui, dans une société occidentale qui déteste toutes les valeurs portées par les jeunes prêtres soutanes au vent, soit l’on s’enferme dans son cocon, soit l’on doit affronter la question fondamentale de l’universalité du savoir, pour être capable de rendre le Christ audible, aussi bien au Patron qu’à l’employé, aussi bien au professeur qu’aux enfants (dont nous aurions tort de sous estimer la maturité très précoce et les questions). J’entends d’ici certains confrères de tel ou tel Institut se gausser sur le caractère trop intellectuel de mon approche méthodique. Beaucoup recommandent « la prière » comme la solution à tous les problèmes que peut rencontrer un jeune prêtre. Mais la prière, c’est d’abord l’attention et la méditation, à moins d’imaginer qu’on entre tous de plain pied dans la contemplation. Cette attention, un bon niveau d’étude nous permet de l’apprendre. Quant à la méditation, elle est nourrie de ce que nous apprenons. Voyez le curé d’Ars, patron de tous les prêtres du monde. Il a beaucoup travaillé, il a potassé ses bouquins, il a lu les Pères de l’Eglise, sans doute beaucoup plus que ne le faisaient la moyenne des séminaristes à son époque… Certes tout le monde ne peut pas tout savoir. Mais on peut au moins - il me semble que c’est le but des études sacerdotales - prendre du plaisir à étudier de près un domaine dans lequel on est bon. Et dans ce domaine, il faudra forcément dépasser le manuel, et donc… avoir au moins un peu appris à dépasser le manuel. Voilà où en étaient mes réflexions dans les dernières années de ma présence à la Fraternité Saint Pie X.
– Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?
À suivre, ce soir, à 18h00.