28 décembre 2012

[Paix Liturgique] Mgr Gueneley, retour de Rome : En France, en matière liturgique, Rome a reconnu que nous sommes vraiment excellents…

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°368 - 28 décembre 2012

On sait, par les évêques de France eux-mêmes, à leur retour des visites ad limina, que leurs interlocuteurs au Saint-Siège ont beaucoup insisté sur le soin dont doivent être entourées les célébrations liturgiques et en particulier la messe dominicale, point de départ de la nouvelle évangélisation voulue par Benoît XVI. Un intérêt plus grand pour les choses liturgiques pourrait les amener à se pencher aussi sur le Motu Proprio Summorum Pontificum, dans l’intérêt même, d’ailleurs, de la liturgie selon la forme ordinaire : la forme ordinaire ne peut faire l’économie d’une rencontre avec la forme extraordinaire, et le lieu naturel de cette rencontre est la paroisse.

Mais on est loin, très loin du compte, même dans un début de prise de conscience. Pour alimenter nos réflexions sur le sujet, nous vous proposons cette semaine la transcription de l’entretien donné par Mgr Philippe Gueneley, évêque de Langres, au micro de Radio Notre-Dame le 15 novembre dernier, à l’issue de la réception des évêques des provinces ecclésiastiques du Nord et de l’Est de la France à la Congrégation pour le Culte divin.

I – MGR GUENELEY AU MICRO DE RADIO NOTRE-DAME

Vous pouvez écouter cette émission ici.

La visite ad limina des évêques de France se poursuit à Rome. Ce matin, Clémence Houdaille donne la parole à Mgr Philippe Gueneley, l’évêque de Langres. Il revient sur la rencontre des évêques avec la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements. Autrement dit, tout ce qui concerne la liturgie. Quel regard porte-t-on à Rome sur ce qui est vécu en France dans ce domaine ? Comment est perçu par le Vatican le fait que de plus en plus d’obsèques religieuses soient conduites par des laïcs pour cause de manque de prêtres ? La réponse dans l’émission Parole d’évêque.

Radio Notre-Dame : Monseigneur Philippe Gueneley, bonjour.

Monseigneur Philippe Gueneley : Bonjour.

RND : Vous êtes évêque de Langres, vous participez à la visite ad limina depuis lundi à Rome au Vatican, vous avez notamment participé à la rencontre avec la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, vous allez nous expliquer ce que c’est parce que c’est un nom un peu technique, et que c’est vous qui étiez le porte-parole de tout le groupe d’évêques lors de cette rencontre.

Mgr Gueneley : La Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements c’est la congrégation qui s’occupe, pour résumer, de la liturgie, en particulier de la liturgie eucharistique et des sacrements. C’est une congrégation qui est chargée de promouvoir la liturgie et de soutenir le travail des traductions, de reconnaître les traductions, et qui encourage aussi les évêques à l’art de célébrer, les évêques et les communautés chrétiennes, donc il y a dans cette congrégation un certain nombre de personnes qui sont attentives à ce que nous faisons dans nos diocèses et c’était l’objet d’ailleurs de cette rencontre, et en même temps de nous encourager à poursuivre le travail.

RND : Le travail de cette congrégation a un impact direct sur la vie des fidèles, sur la pratique religieuse des fidèles le dimanche notamment à la messe.

Mgr Gueneley : Oui, mais en même temps on a abordé plusieurs problèmes. J’étais chargé dans mon introduction de présenter quelques points. J’ai insisté sur quatre points :
– tout d’abord sur l’initiation chrétienne et on pourra peut-être y revenir,
– deuxième point sur le Jour du Seigneur, l’eucharistie, les rassemblements dominicaux,
– troisième point sur le sacrement de la réconciliation,
– et le quatrième point sur les funérailles.
Ce que je peux dire, c’est que j’ai été frappé dans ce contact avec la Congrégation par trois points :
– Le premier c’est d’abord l’écoute : je pense que les membres de la Congrégation, en particulier le cardinal-préfet, avaient lu nos rapports concernant la liturgie et les sacrements, et donc il y a eu une grande écoute.
– Le deuxième point est la reconnaissance et les remerciements pour le travail qui est accompli en France : je crois que nous avons tous été frappés les uns et les autres par la reconnaissance de ce qui se faisait en France, évidemment dans la ligne et dans la dynamique du travail conciliaire.
– Et puis le troisième point, qui a été frappant, a été les encouragements à poursuivre, à célébrer d’une façon très belle, des célébrations de qualité, et c’est revenu à plusieurs reprises.

RND : Pour ce qui concerne l’initiation chrétienne, on sait que pour beaucoup de personnes qui frappent à la porte de l’Église à l’occasion d’un mariage, du baptême d’un enfant, etc., c’est un peu une porte d’entrée, et l’occasion de revenir ou de découvrir ce que propose l’Église. Est-ce que vous, vous avez soulevé des questions particulières à ce sujet ?

Mgr Gueneley : On a abordé l’initiation chrétienne, spécialement chez les adultes et chez les adolescents, en reconnaissant d’ailleurs le nombre qui est en augmentation du baptême des adultes et des enfants en âge de scolarité, exprimant ainsi que dans un monde assez matérialiste et individualiste, la question de Dieu reste pertinente et que la personne du Christ est une personne qui attire et que l’Évangile demeure encore une bonne nouvelle. Cela a montré dans quel contexte se déroulait cette initiation chrétienne. La question qu’on a particulièrement soulevée, c’est celle de l’incorporation des néophytes dans les communautés paroissiales, parce qu’on se rend compte qu’après un temps de préparation qui est un temps d’enthousiasme souvent pour les catéchumènes, participer pleinement à la vie d’une communauté est quelque chose de difficile, et donc on a souligné un peu cette difficulté, mais le cardinal-préfet nous a encouragés à travailler encore, à bien œuvrer dans cette initiation chrétienne en nous disant : il faut effectivement faire de vrais chrétiens, il faut parvenir à avoir des chrétiens adultes, qui sachent témoigner de leur foi, qui sachent faire partie d’une communauté et qui aient une foi suffisamment solide.
On voit bien là tout le travail qui a déjà été fait et qui est reconnu, et tout le travail qui est encore à continuer.

RND : En ce qui concerne les funérailles, on sait que dans beaucoup de diocèses en France, de plus en plus les funérailles sont menées par des laïcs parce que dans certaines paroisses les prêtres ne peuvent pas être partout et assumer toutes les funérailles. Quel regard porte-t-on à Rome sur cette réalité ?

Mgr Gueneley : Je crois qu’on prend en considération la situation sans dramatisation, parce qu’on connaît la situation des diocèses en France. Le cardinal-préfet a insisté – c’est ce que j’avais d’ailleurs dit dans ma présentation, et qu’il a repris – sur le fait que les funérailles sont un lieu d’évangélisation, même si l’assemblée, a-t-il dit, est parfois composée de baptisés qui se sont éloignés de la pratique, de gens qui ne sont pas du tout baptisés. Il a insisté sur le témoignage de la prière : c’est-à-dire que ceux qui croient à la Résurrection et qui prient témoignent pour l’ensemble de l’assemblée, qui ne partage pas forcément la foi de la même façon. On voit bien combien les funérailles sont à resituer dans la nouvelle évangélisation.

RND : Est-ce qu’il a été évoqué le fait de savoir comment, au-delà de la cérémonie des funérailles elle-même, associer les familles à une messe dite pour les défunts ?

Mgr Gueneley : Oui cela a été dit, d’ailleurs cela a été mis dans plusieurs des rapports des diocèses et le cardinal est revenu dessus, en disant effectivement que quand on ne pouvait pas célébrer l’eucharistie lors des funérailles, il était tout à fait judicieux de célébrer l’eucharistie le dimanche suivant en particulier pour le défunt en présence de la famille en deuil. Il a aussi encouragé les prêtres à être présents auprès des familles, quand ils ne peuvent pas l’être au moment des funérailles, eh bien à rendre une visite un petit peu plus tard.

RND : Vous avez évoqué tout à l’heure l’importance de la liturgie, de la beauté de la liturgie. Est-ce qu’il a été souligné l’aspect évangélisateur de la liturgie en elle-même et de la beauté ?

Mgr Gueneley : Tout à fait, c’est même une ligne directrice de l’intervention de la Congrégation et en particulier du cardinal Cañizares, parce qu’on était au lendemain du synode sur la nouvelle évangélisation. Il a insisté dans son petit mot d’introduction sur l’importance de la liturgie comme étant aussi un lieu d’évangélisation, la liturgie par elle-même évangélise, et elle le fait quand elle est bien accomplie, mais c’est vrai que la liturgie est un lieu missionnaire. D’ailleurs l’un d’entre nous est intervenu pour dire qu’on était sorti de cette opposition entre mission, évangélisation et célébration. Cette opposition a existé à une certaine époque, on en est sorti et effectivement on voit bien que la liturgie est source de l’activité missionnaire de l’Église, elle est source de sa diaconie, elle nourrit d’ailleurs cette évangélisation, et on voit bien qu’il y a un lien entre les deux.

RND : Vous souligniez tout à l’heure l’écoute que vous aviez ressentie lors de cette visite. Maintenant qu’est-ce que vous allez faire de ce que vous avez entendu, de ce que vous avez pu dire, des réponses que vous avez pu avoir ? Comment est-ce que cette visite ad limina va se concrétiser ensuite ?

Mgr Gueneley : Je crois que ce qui nous frappe c’est cette écoute mais en même temps un encouragement à poursuivre notre travail, et je crois que nous en recevons ici une confortation dans tout le travail que nous accomplissons au sein de la Conférence des Évêques de France dans tous les domaines où nous travaillons. On a parlé de la famille aujourd’hui, hier c’était la liturgie, et on va poursuivre puisqu’on a encore d’autres rencontres : la nouvelle évangélisation avec la Doctrine de la foi. Nous sommes encouragés en temps qu’évêques dans notre mission pastorale à faire un travail de qualité, un travail qui soit vraiment celui de pasteurs au service des fidèles, de l’ensemble des fidèles, en étant attentif à un certain nombre de catégories, et à ceux aussi qui ne partagent pas notre foi, avec le dialogue interreligieux. Il y a là un encouragement à poursuivre l’exercice de notre mission, dans le contexte qui est le nôtre, avec les joies qui sont les nôtres aujourd’hui, et puis aussi un certain nombre de difficultés que nous pouvons partager. Je trouve qu’il y a là une perspective qui va normalement nous redynamiser nous-mêmes dans l’exercice de notre responsabilité, et puis tout cela est vécu dans un grand contexte de prière entre nous, et un grand contexte de fraternité, et je crois que pour nous c’est une grande source de joie et d’action de grâce et d’encouragement à poursuivre.

RND : Merci beaucoup, Monseigneur Gueneley.

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1)  Sur la forme : il est difficile de faire mieux que Mgr Gueneley en matière de langage de la tribu. Et sur le fond : malgré les efforts de la journaliste de Radio Notre-Dame pour l’inviter à dire que les évêques de France se sont faits un peu sermonner, en jetant la sonde sur les sujets délicats (beauté de la liturgie, l’absence des prêtres aux funérailles, sacrement de pénitence, nécessaire catéchèse des futurs mariés), Mgr Gueneley, qui voit venir, " botte en touche"  à chaque fois : les évêques de France sont des missionnaires que Rome a encouragés à être missionnaires. Sauf que les célébrations sont toujours aussi fades, et les églises de France toujours plus vides.

2)  On aura remarqué ce fait inouï : en dix minutes d’émission sur la liturgie, l’évêque de Langres ne prononce pas une seule fois le mot " messe ", signe qui ne trompe guère. Mgr Gueneley a compris à sa manière (comme « un encouragement ») le message clair du cardinal Cañizares, qui est aussi celui du Saint Père, sur « l’importance de la liturgie ». Néanmoins, cette difficulté qu’a toute une génération de prélats français (Mgr Gueneley aura 75 ans en 2013) à énoncer les cinq lettres du mot " messe " est révélatrice, diraient les psychanalystes, d’un post-concile qui a prétendu éradiquer la dimension propitiatoire et sacrificielle de la messe pour arriver à n’en faire plus qu’un " rassemblement dominical du peuple de Dieu ".

3)  D’ailleurs, le diocèse de Mgr Gueneley fait partie des diocèses de France qui bannissent encore la forme extraordinaire de la messe (voir notre lettre 304). Sans aucun doute, la célébration de la liturgie traditionnelle, qui donne au caractère sacrificiel et propitiatoire de la messe toute sa valeur, aiderait l’évêque à se remémorer que la liturgie est « la célébration de l’événement central de l’histoire humaine, le sacrifice rédempteur du Christ »... comme le Pape l’a justement rappelé, lors des visites ad limina, aux évêques des provinces du Nord et de l’Est. Mgr Gueneley se réjouit d’avoir été écouté, mais lui-même semble avoir eu beaucoup de distractions dans son écoute " des autres "…

4)  Mgr Gueneley a beau répéter à plusieurs reprises que le cardinal Cañizares a encouragé les évêques de France « à poursuivre le travail » comme si cela était un chèque en blanc, on comprend tout de même que cet « encouragement » était plutôt une invitation à faire plus et surtout autre chose. « Vous avez évoqué tout à l’heure l’importance de la liturgie, de la beauté de la liturgie », croit avoir entendu la journaliste de Radio Notre-Dame. L’évêque concède : « Le cardinal Cañizares a insisté sur l’importance de la liturgie [qui] évangélise, et elle le fait quand elle est bien accomplie ». Mais il recadre immédiatement : « C’est vrai que la liturgie est un lieu missionnaire ». Et d’ajouter pour les initiés : « D’ailleurs l’un d’entre nous est intervenu pour dire qu’on était sorti de cette opposition entre mission, évangélisation et célébration ». Comprenez : « à la différence des années 70 et 80, on ne dit plus aujourd’hui que la célébration est seconde par rapport à l’annonce ». Que serait-ce… Aujourd’hui, explique Mgr de Langres, on sait que la liturgie est « source de la diaconie ». Bref, on a l’impression que Mgr Gueneley n’a pas bien saisi la question, ni la pensée du cardinal Cañizares. Ou qu’il a trop bien saisi.

5)  D’ailleurs, autre son de cloche, dans un entretien publié la veille de Noël par le vaticaniste Andrea Tornielli : le cardinal Cañizares explique très bien que les visites ad limina offrent « une occasion de grande utilité pour la diffusion des principes du renouveau liturgique voulu par Vatican II » et « la correction de certains abus liturgiques » dans la lignée de l’instruction Redemptionis Sacramentum, « écrite pour corriger les abus et aider à bien célébrer et bien participer à la liturgie ». Et le cardinal de mettre les points sur les "i" : « Tout doit contribuer à l’objectif principal qui est de faire que la liturgie occupe le poste central qui lui revient dans la vie de l’Église. J’espère que 2013 sera une année importante en la matière. Je me satisferais surtout, en cette Année de la Foi, que soit revalorisée et revitalisée l’Eucharistie dominicale, que soit réhabilité le dimanche et que le sacrement de pénitence soit plus et mieux pratiqué. » Corriger les abus. Bien célébrer la liturgie. Manifestement, Mgr de Langres n’a pas percuté, comme disent les jeunes.

6)  Bref, cet entretien satisfait de l’évêque d’un diocèse sinistré, s’exprimant sur un domaine sinistré, pourrait être fort déprimant. Mais ce n’est pas le genre de la maison Paix liturgique : même en matière liturgique, et même en France, il faut espérer contre toute espérance, comme le dit saint Paul. D’autant que s’agissant de reconstruire, il est toujours plus facile de repartir de zéro. Ce dont on n’est pas loin, notamment dans feu le catholicisme de Haute-Marne.