19 décembre 2012

[Paix Liturgique] Visites ad limina: la catéchèse de Benoit XVI aux évêques français

SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°366 - 19 décembre 2012

Les visites ad limina des évêques de France métropolitaine sont désormais terminées. De l'avis unanime, ces visites 2012 ont été marquées, semble-t-il, par une vraie écoute entre les prélats français et romains. Rien à voir avec le processus de type « rapport de la Cour des Comptes » qui avait marqué les visites 2004 (en raison de la maladie du pape et peut-être aussi du dossier préparé par Paix liturgique 92 sur la situation liturgique dans le diocèse de Nanterre, qui avait précédé la venue des évêques dans tous les dicastères jusqu'à déclencher la colère du cardinal Lustiger).

Si les visites ad limina sont avant tout, comme l'ont répété nos évêques, un pèlerinage des successeurs des Apôtres aux tombeaux de saint Pierre et de saint Paul (limina Sanctorum : tombeau et basilique vaticane), elles sont aussi l'occasion pour les prélats d'informer la Curie sur la situation de leurs diocèses respectifs et d'échanger librement avec le Pape lors des rencontres par province ecclésiastique. Ces rencontres avec le Pape ont d'ailleurs été décrites par tous comme un temps fort de ces visites, le Pape demeurant vraiment seul (même le secrétaire du Saint-Père se retire) en compagnie des évêques pour plus d'une heure de questions-réponses.

La soutane filetée, exigée par le protocole romain, fait parfois sourire quand elle est portée par des prélats plus habitués au costume cravate. Néanmoins, nous nous réjouissons vivement de la bonne entente, fût-elle pour certains « de courtoisie ». Il y a un net progrès : nous n'oublions pas que, de 2005 à 2008, soit jusqu'au voyage du pape dans notre pays, un certain nombre de nos évêques français affichaient leur opposition si ce n'est leur aversion pour le Saint Père. Nous sommes donc heureux de constater aujourd'hui cette meilleure harmonie entre l'Église de France et Rome, en espérant qu’elle ne servira pas de prétexte au fait que l’on continuera à ne rien changer sur le terrain. Une certaine naïveté peut être militante.

À une journaliste de Radio Notre-Dame qui lui demandait ce qui avait changé à Rome pour expliquer ce nouveau climat, le cardinal Vingt-Trois a laissé entendre, dans un grand éclat de rire, que c'était très subjectif et que peut-être était-ce les évêques de France qui avaient changé. De son côté, le cardinal Barbarin, lors de son adresse au Saint Père le 30 novembre, a indiqué que la préparation des visites avait été l'occasion « de faire un utile examen de conscience ». Tout arrive…

Alors : le changement, c’est maintenant ? Le témoignage des principaux prélats français annonce-t-il que nous allons voir les fruits de cet examen de conscience dans nos diocèses – à commencer par la mise en acte de tout le magistère de Benoît XVI, y compris donc du Motu Proprio Summorum Pontificum –, et assister à l'inflexion des pastorales diocésaines à l'aune de la grande douceur et de la patiente bienveillance du Saint Père ? L’espérance est une vertu chrétienne qui n’exclut rien de son champ, pas même l’inflexion des pastorales épiscopales.

Dans cet esprit, nous vous proposons cette semaine une sélection des différents messages adressés par le pape aux évêques de France durant ces visites ad limina. Vous y constaterez que la fraternité chaleureuse qui a présidé à ces visites n'a pas empêché Benoît XVI de souligner – lors de son discours aux évêques des provinces du Sud-Est, le 30 novembre 2012 – que ces discours romains formaient un « ensemble indissociable » de celui, genre remise au point, qu'il leur avait adressé à Lourdes en 2008.

Voici donc ces éléments de catéchèse du pape aux évêques qui s'adressent aussi, bien entendu, à tous les fidèles que nous sommes.
1) LA VOCATION DE LA FRANCE
Merci, Éminence, pour vos paroles. C’est la première fois que nous nous retrouvons ensemble depuis ma visite apostolique de 2008 dans votre beau pays qui est cher à mon cœur. J’avais alors tenu à souligner les racines chrétiennes de la France qui, dès ses origines, a accueilli le message de l’Évangile. Cet héritage ancien constitue un socle solide sur lequel vous pouvez appuyer vos efforts pour continuer inlassablement à annoncer la Parole de Dieu dans l’esprit qui anime la nouvelle évangélisation, thème de la prochaine Assemblée synodale.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)
[...] Vous le savez, plus l’Église est consciente de son être et de sa mission, plus elle est capable d’aimer ce monde, de porter sur lui un regard confiant, inspiré de celui de Jésus, sans céder à la tentation du découragement ou du repli. Et « l’Église, en remplissant sa propre mission, concourt déjà par là-même à l’œuvre civilisatrice et elle y pousse » (ibidem, n. 58, 4), dit le Concile.
Votre nation est riche d’une longue histoire chrétienne qui ne peut être ignorée ou diminuée, et qui témoigne avec éloquence de cette vérité, qui configure encore aujourd’hui sa vocation singulière. Non seulement les fidèles de vos diocèses, mais ceux du monde entier, attendent beaucoup, n’en doutez pas, de l’Église qui est en France.
Comme pasteurs, nous sommes, bien sûr, conscients de nos limites ; mais, confiants dans la force du Christ, nous savons aussi qu’il nous revient d’être « les hérauts de la foi » (Lumen gentium, n. 50), qui doivent, avec les prêtres et les fidèles, témoigner du message du Christ « de telle façon que toutes les activités terrestres des fidèles puissent être baignées de la lumière du Christ » (Gaudium et spes, n. 43, § 5).
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU NORD ET DE L'EST
(Vatican, 17 novembre 2012)
2) L'IMPÉRATIF DE COMMUNION ET D’UNITÉ
D’autre part, à l’évêque diocésain revient le devoir de « défendre l’unité de l’Église tout entière » (CIC, can. 392 § 1), dans la portion du Peuple de Dieu qui lui est confiée, bien qu’en son sein, s’expriment légitimement des sensibilités différentes qui méritent de faire l’objet d’une égale sollicitude pastorale. Les attentes particulières des nouvelles générations demandent qu’une catéchèse appropriée leur soit proposée afin qu’ils trouvent toute leur place dans la communauté croyante. J’ai été heureux de rencontrer un nombre considérable de jeunes Français aux Journées mondiales de la Jeunesse à Madrid, avec beaucoup de leurs pasteurs, signe d’un nouveau dynamisme de la foi, qui ouvre la porte à l’espérance. Je vous encourage à continuer dans votre engagement si prometteur, malgré les difficultés.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)

NB : Cet appel pressant à la communion et à l'unité avait été déjà formulé par le Saint Père en mars 2012, dans un message adressé à l'occasion du rassemblement national de l'Église de France à Lourdes pour l'anniversaire du Concile :
« Je souhaite vivement que cet anniversaire soit pour vous et pour toute l'Église qui est en France, l'occasion d'un renouveau spirituel et pastoral. [...] Ce renouveau, qui se situe dans la continuité, prend de multiples formes et l'Année de la Foi, que j'ai voulu proposer à toute l'Église en cette occasion, doit permettre de rendre notre foi plus consciente et de raviver notre adhésion à l'Évangile. Cela demande une ouverture toujours plus grande à la personne du Christ, en retrouvant notamment le goût de la Parole de Dieu, pour réaliser une conversion profonde de notre cœur et aller par les routes du monde proclamer l'Évangile de l'espérance aux hommes et aux femmes de notre temps, dans un dialogue respectueux avec tous.
Que ce temps de grâce permette aussi de consolider la communion à l'intérieur de la grande famille qu'est l'Église catholique et contribue à restaurer l'unité entre tous les chrétiens, ce qui fut l'un des objectifs principaux du Concile. »
3) LE RENFORCEMENT DE L’IDENTITÉ SACERDOTALE ET RELIGIEUSE
La surcharge de travail qui pèse sur vos prêtres crée une obligation accrue de « veiller à leur bien, matériel d’abord, mais surtout spirituel » (Presbyterorum ordinis, n. 7), car vous avez reçu la responsabilité de la sainteté de vos prêtres, sachant bien que, comme je vous le disais à Lourdes, « leur vie spirituelle est le fondement de leur vie apostolique » et, par suite, le garant de la fécondité de tout leur ministère. L’évêque diocésain est donc appelé à manifester une sollicitude particulière à l’égard de ses prêtres (cf. CIC, can.384), plus particulièrement ceux qui sont d’ordination récente et ceux qui sont dans le besoin ou âgés.
[...]
Il est donc nécessaire que dans les réorganisations pastorales, soit toujours confirmée la fonction du prêtre qui « en tant qu’elle est unie à l’Ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps » (Presbyterorum ordinis, n.2).
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)
La vie religieuse, au service exclusif de l’œuvre de Dieu, à laquelle rien ne peut être préféré (cf. Règle de saint Benoît), est un trésor dans vos diocèses. Elle apporte un témoignage radical sur la manière dont l’existence chrétienne, précisément lorsqu’elle se met entièrement à la suite du Christ, réalise pleinement la vocation humaine à la vie bienheureuse. La société tout entière, et non seulement l’Église, est grandement enrichie par ce témoignage. Offert dans l’humilité, la douceur et le silence, il apporte pour ainsi dire la preuve qu’il y a davantage dans l’homme que l’homme lui-même.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU NORD ET DE L'EST
(Vatican, 17 novembre 2012)
4) BIEN SE FORMER POUR MIEUX INSTRUIRE ET TRANSMETTRE
De nos jours sans doute, les ouvriers de l’Évangile sont en petit nombre. Il est donc urgent de demander au Père d’envoyer des ouvriers à sa moisson (cf. Lc 10, 2). Il faut prier et faire prier pour cette intention et je vous encourage à suivre avec la plus grande attention la formation des séminaristes.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)
Sachant le soin dont vous cherchez à entourer vos célébrations liturgiques, je vous encourage à cultiver l’art de célébrer, à aider vos prêtres dans ce sens, et à œuvrer sans cesse à la formation liturgique des séminaristes et des fidèles.
[...]
L’Église a besoin de témoins crédibles. Le témoignage chrétien enraciné dans le Christ et vécu dans la cohérence de vie et l’authenticité, est multiforme, sans schéma préconçu. Il naît et se renouvelle sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint. En soutien à ce témoignage, le
Catéchisme de l’Église catholique est un instrument très utile, car il manifeste la force et la beauté de la foi. Je vous encourage à le faire connaître largement, particulièrement en cette année où nous célébrons le 20ème anniversaire de sa publication.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU NORD ET DE L'EST
(Vatican, 17 novembre 2012)
[La nouvelle évangélisation] demande à tous les chrétiens de « rendre compte de l’espérance qui les habite » (1 P 3, 15), consciente que l’un des obstacles les plus redoutables de notre mission pastorale est l’ignorance du contenu de la foi. Il s’agit en réalité d’une double ignorance : une méconnaissance de la personne de Jésus-Christ et une ignorance de la sublimité de ses enseignements, de leur valeur universelle et permanente dans la quête du sens de la vie et du bonheur. Cette ignorance produit en outre dans les nouvelles générations l’incapacité de comprendre l’histoire et de se sentir héritier de cette tradition qui a façonné la vie, la société, l’art et la culture européenne.
DISCOURS DU PAPE AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU SUD-EST
(Vatican, 30 novembre 2012) 
5) LA LITURGIE, FONS ET CULMEN DE LA VIE DE L’ÉGLISE
Je sais aussi qu’un peu partout dans votre pays des temps d’adoration sont proposés aux fidèles. Je m’en réjouis profondément et vous encourage à faire du Christ présent dans l’Eucharistie la source et le sommet de la vie chrétienne (cf. Lumen gentium, n. 11).
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)
Comme le rappelle le Concile, l’action liturgique de l’Église fait aussi partie de sa contribution à l’œuvre civilisatrice (cf. Gaudium et spes, n. 58, 4). La liturgie est en effet la célébration de l’événement central de l’histoire humaine, le sacrifice rédempteur du Christ. Par là, elle témoigne de l’amour dont Dieu aime l’humanité, elle témoigne que la vie de l’homme a un sens et qu’il est par vocation appelé à partager la vie glorieuse de la Trinité. L’humanité a besoin de ce témoignage. Elle a besoin de percevoir, à travers les célébrations liturgiques, la conscience que l’Église a de la seigneurie de Dieu et de la dignité de l’homme. Elle a le droit de pouvoir discerner, par-delà les limites qui marqueront toujours ses rites et ses cérémonies, que le Christ « est présent dans le sacrifice de la Messe, et dans la personne du ministre » (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 7). Le respect des normes établies exprime l’amour et la fidélité à la foi de l’Église, au trésor de grâce qu’elle garde et transmet ; la beauté des célébrations, bien plus que les innovations et les accommodements subjectifs, fait œuvre durable et efficace d’évangélisation.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU NORD ET DE L'EST
(Vatican, 17 novembre 2012)
6) ATTENTION À LA BUREAUCRATISATION
La solution des problèmes pastoraux diocésains qui se présentent ne saurait se limiter à des questions d’organisation, pour importantes qu’elles soient. Le risque existe de mettre l'accent sur la recherche de l'efficacité avec une sorte de «bureaucratisation de la pastorale», en se focalisant sur les structures, sur l’organisation et les programmes, qui peuvent devenir « autoréférentiels », à usage exclusif des membres de ces structures. Celles-ci n'auraient alors que peu d’impact sur la vie des chrétiens éloignés de la pratique régulière.
DISCOURS AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DE L'OUEST
(Palais apostolique de Castel Gandolfo, 21 septembre 2012)
7) L'URGENCE DES VOCATIONS
L’Église en Europe et en France ne peut rester indifférente face à la diminution des vocations et des ordinations sacerdotales, non plus que des autres genres d’appel que Dieu suscite dans l’Église. Il est urgent de mobiliser toutes les énergies disponibles, pour que les jeunes puissent écouter la voix du Seigneur. Dieu appelle qui il veut et quand il veut. Cependant, les familles chrétiennes et les communautés ferventes demeurent des terrains particulièrement favorables. Ces familles, ces communautés et ces jeunes se trouvent donc au cœur de toute initiative d’évangélisation, malgré un contexte culturel et social marqué par le relativisme et l’hédonisme.
DISCOURS DU PAPE AUX ÉVÊQUES DES PROVINCES DU SUD-EST
(Vatican, 30 novembre 2012)