26 novembre 2013

[Paix Liturgique] "Le pape François n'a aucun problème avec le rite traditionnel"

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 415 - 26 novembre 2013

«Très Saint-Père, nous sommes vos fils et nous ressentons votre proximité… Nous ne sommes pas seuls en célébrant ce rite antique qui a accompagné de magnifiques siècles de sainteté, ce rite saint dans lequel des milliers de saints ont trouvé la douce profondeur de la rencontre avec Dieu dans le silence du mystère»(cardinal Castrillón, pèlerinage Summorum Pontificum, 26 octobre 2013).
Fin octobre, de manière très remarquable, à trois reprises et à quelques jours d’intervalle, viennent d'être données des expressions convergentes de la pensée du Saint-Père vis-à-vis de la liturgie traditionnelle et de ceux qui la pratiquent. Une pensée que l'agence de presse suisse Apic/Kipa a résumé dans une dépêche dont nous avons repris le titre.
I – LE 26 OCTOBRE 2013 : MESSAGE AU PÈLERINAGE DU PEUPLE SUMMORUM PONTIFICUM À ROME
Dans son homélie lors de la messe célébrée à la Basilique Vaticane pour le pèlerinage Summorum Pontificum, le cardinal Castrillón se félicitait de la liberté de ce qu’il nomme le « rite grégorien » : « Le rite grégorien, qui en un sens a retrouvé sa vitalité avec la promulgation, il y a six ans, du Motu ProprioSummorum Pontificum, a rendu au peuple chrétien la possibilité de bénéficier des fruits spirituels qui sont attachés à sa célébration ». Il avait choisi de s’adresser au Pape en son nom et au nom des pèlerins au Saint-Père en employant le « nous ». C’était comme une réponse au message adressé par le pape.

Nous avons en effet déjà rapporté, dans notre lettre n° 411, que Mgr Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, avait lu auparavant aux pèlerins un message en italien du Saint-Père daté du même jour : « À son Éminence Révérendissime, le cardinal Darío Castrillón Hoyos, à l’occasion du pèlerinage à Rome duCœtus Internationalis Summorum Pontificum dans le cadre de l’Année de la Foi, Sa Sainteté le pape François adresse son cordial salut, souhaitant que la participation au pieux itinéraire auprès des tombes des apôtres suscite une fervente adhésion au Christ, célébré dans l’Eucharistie et dans le culte public de l’Église, et procure un élan renouvelé au témoignage évangélique. Le Souverain Pontife, invoquant les dons de l’Esprit Saint et la maternelle protection de la Mère de Dieu, adresse de tout cœur à Votre Éminence, aux prélats, aux prêtres et à tous les fidèles présents à cette sainte célébration Sa bénédiction apostolique implorée, propitiatrice de paix et de ferveur spirituelle. »

Nous faisions remarquer que cette bénédiction du pape François, sans la moindre restriction de style concernant la forme liturgique spécifique des fidèles et prêtres concernés (ils célèbrent « le culte public de l’Église » – point), signée du nouveau Secrétaire d’État, Mgr Parolin, semblait être le premier message public que ce prélat ait assumé.
II – LE 29 OCTOBRE 2013 : MESSAGE À LA FRATERNITÉ SACERDOTALE SAINT-PIERRE
Il est particulièrement intéressant de noter que ce message, en français cette fois, transmis par lettre du 29 octobre, à l’abbé Vincent Ribeton, supérieur du district de France de la FSSP, par Mgr Luigi Ventura, nonce apostolique en France, a été signalé par Radio Vatican le 13 novembre puis repris par le site officiel d'informations du Saint-Siège.

Le message, adressé à l’occasion du 25ème anniversaire de la fondation de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, estime qu’ « en célébrant les mystères sacrés selon la forme extraordinaire du rite romain [les membres de la Fraternité Saint-Pierre] contribuent, dans la fidélité à la tradition vivante de l’Église, à une meilleure compréhension et mise en œuvre du concile Vatican II ». Le Pape exhorte les membres de cet institut, « selon leur charisme propre, à prendre une part active à la mission de l’Église dans le monde d’aujourd’hui par le témoignage d’une vie sainte, d’une foi ferme et d’une charité inventive et généreuse ». Et il précise que les fondateurs « dans un grand esprit d’obéissance et d’espérance se sont tournés avec confiance vers le successeur de Pierre afin d’offrir aux fidèles attachés au Missel de 1962 la possibilité de vivre leur foi dans la pleine communion de l’Église ».
III – LE 31 OCTOBRE : AUDIENCE DU SAINT-PÈRE AU CARDINAL CASTRILLON, ANCIEN PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ECCLESIA DEI
Le cardinal Castrillón Hoyos avait sollicité cette audience pour faire part au Saint-Père des inquiétudes que de nombreuses personnes attachées à la forme extraordinaire avaient manifestées au cardinal depuis l’élection du pape François. Intervenant quelques jours plus tard devant les membres de la Fédération internationale Una Voce (FIUV), réunis à Rome pour une assemblée générale, il a relaté ainsi cette audience (voir ici) : « J’ai récemment rencontré le pape François et il m’a dit qu’il n’avait aucun problème avec l’ancien rite, et qu’il n’en avait pas davantage avec des groupes de laïcs et des associations comme la vôtre qui le promeuvent ». En outre, répondant aux questions de membres d’Una Voce sur l’affaire des Franciscains de l’Immaculée, et en précisant qu’il n’avait pas été question de cela dans l’entretien, le Cardinal a estimé, pour sa part, que le Pape avait été poussé à interdire l’usage du Novus Ordo dans cette communauté religieuse uniquement en raison des dissensions internes et non en raison d’un quelconque jugement négatif de sa part sur la liturgie traditionnelle.
IV – LES REMARQUES DE PAIX LITURGIQUE
1/ Une brève analyse des contextes s’impose. Les deux premiers documents, qui ont transité par une ou plusieurs instances curiales (rédaction ou visa au niveau d’un Secrétaire de Congrégation, passage en Secrétairerie d’État), bénéficient forcément de l'agrément du Pape. Le premier message, en italien, vaut essentiellement par le fait qu’il y a eu un message, ce qui, pour ce type de manifestation n’est pas nécessairement acquis. Le second, rédigé en français, par un rédacteur connaissant le dossier, vise de manière transparente, au-delà de la FSSP, la FSSPX (« meilleure compréhension et mise en œuvre du concile Vatican II… offrir aux fidèles attachés au Missel de 1962 la possibilité de vivre leur foi dans la pleine communion de l’Église… »).

Dans l’entretien du Pape accordé aux revues culturelles jésuites (publié en français dans le numéro d'octobre de la revue Études mais réalisé en août 2013), on pouvait lire des propos semblant marquer une distance certaine entre François et la portion du peuple catholique attaché à la liturgie traditionnelle : « La manière de lire l’Évangile en l’actualisant, qui fut propre au Concile, est absolument irréversible. Il y a ensuite des questions particulières comme la liturgie selon le Vetus Ordo. Je pense que le choix du pape Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du Vetus Ordo, son instrumentalisation ». Cela avait ému de nombreux commentateurs du monde traditionnel qui auraient pourtant dû garder en mémoire la réponse faite par le Pape lors de la visite ad limina des évêques des Pouilles en mai dernier (voir notre lettre n° 389) : à ceux-ci se plaignant de « l’œuvre de division créée au sein de l’Église par les champions de la messe dans l’ancien rite », le pape avait répondu qu’il leur fallait « être vigilants sur l’extrémisme de certains groupes traditionalistes, mais aussi s’appuyer sur la tradition et la faire vivre dans l’Église en même temps que l’innovation ».

Il n’y a pas à s’étonner d’éventuels tâtonnements selon les temps et les moments dans l'expression de la pensée du Pape. Comme toutes les paroles prononcées ou assumées par le pape François, celles sur la liturgie traditionnelle n’ont pas à être examinées et pesées à la virgule près, comme pouvaient l’être celles de Benoît XVI. François démontre au fil des mois avoir un instinct pastoral aiguisé, et il est fort probable que la conjonction d'événements importants, liés à la forme extraordinaire du rite romain, l'ait incité à se prononcer avec une clarté et dans un sens que certains n'attendaient pas.

2/ Cette mise en contexte n’est pas destinée à relativiser les trois interventions ici rapportées, mais au contraire à leur donner leur très exacte, et du coup pleine, portée. En résumé, dans un très cours laps de temps, un Pape qui, à la différence de son prédécesseur, ne porte pas d’intérêt particulier à la liturgie traditionnelle ni « aux personnes qui ont cette sensibilité », et son entourage autorisé ont donné trois signaux successifs et concordants à ces personnes, signaux dont la teneur directe ou indirecte est : le Motu Proprio ne sera pas remis en cause.

3/ À partir de là, on peut tenter de mieux comprendre la visée du Pape à travers ces indications. Ce qui est clairement exprimé, c’est non seulement le fait que ne sera pas relancée une nouvelle guerre liturgique mais que cette « sensibilité » est toujours reconnue. C’est certes moins que la volonté de Benoît XVI de donner à la célébration de la messe traditionnelle la valeur d’un témoignage des racines de la liturgie romaine. Mais, d’une certaine manière, la banalisation que le pape François consacre est plus forte, dans la mesure où il n’est pas un pape « traditionaliste ». Ainsi donc : cette messe et ceux qui la célèbrent existent. On n’y revient pas. Point.

4/ Précisons que beaucoup de ceux qui vivent leur catholicisme autour de cette messe ne se considèrent pas comme en marge de l’Église, mais plutôt « en réserve ». Il est évident que l’Église est aujourd’hui dans l’attente anxieuse d’un électrochoc salutaire. La France, à cet égard, est un observatoire crucial. Les évêques de notre pays, qui viennent d’achever l’assemblée de leur Conférence à Lourdes, constatent de réunion en réunion l’amplification d’une situation qui paraît, si on demeure en l’état, sans issue : il n’y aura plus au total que 6 000 prêtres en 2020 ; le nombre des candidats en première année de discernement dans les séminaires diocésains n’est que de 90 environ (la Communauté Saint-Martin enregistre 31 entrées et l'ensemble des communautés traditionnelles, FSSPX incluse, une quarantaine). Mais le plus inquiétant est dans la déliquescence catéchétique : le nombre des enfants catéchisés ne cesse de baisser ; leurs connaissances s’amenuisent ; un part très conséquente des catholiques qui vont à la messe sont, selon un mot grinçant, des « pratiquants non croyants ». On assiste à une liquéfaction d’un catholicisme dans lequel on sait de moins en moins ce que sont le péché, le péché originel, les fins dernières, la résurrection des corps, la nature et les effets des sacrements, la transsubstantiation eucharistique, la Résurrection, les fins du mariage, sans parler de la morale conjugale, etc. Reste au mieux une chaleureuse appartenance au Christ : comme disait jadis Mgr Lagrange, le catholicisme est devenu un vague et inconsistant jésuisme. Or, la liturgie traditionnelle s’avère un lieu plus solide du point de la transmission de la foi, de la naissance des vocations, des lois du mariage. Et, qu’on le veuille ou non, les communautés et mouvements « identitaires » qui prospèrent, avec leur liturgie plus digne, leur enseignement doctrinal plus solide, sont aiguillonnés par ce monde traditionnel, même s’il n’est pas, souvent loin de là, à la hauteur de ce qu’il devrait être.

5/ Tous ceux qui vivent leur catholicisme autour de cette messe ne peuvent que se réjouir grandement des « signaux » romains. La communion à Pierre, élément essentiel de l’être chrétien, s’exprime tout spécialement par la vie liturgique et par la célébration du Saint Sacrifice de la messe. Le choix qu’ils font de la forme traditionnelle pour vivre la lex orandi relève nécessairement pour eux de la confession de la foi. Que Rome leur dise qu’« il n’y a pas de problème » est considérable. Soulignons à cet égard un détail important : le pèlerinage Summorum Pontificum avait lieu, en quelque sorte, chez le Pape lui-même, dans sa Basilique Vaticane. L’accueil « normal » de ceux qui sont attachés à l'usus antiquior participe clairement de son désir d’instaurer la dynamique d’un catholicisme rassemblé et rassembleur. À la limite, ne risquant nullement le soupçon de « restaurationniste », il serait psychologiquement plus facile à François qu’il ne l'était pour son prédécesseur de célébrer la messe traditionnelle ou de la présider.

« Cher Saint-Père, disait le cardinal Castrillón dans son homélie du 26 octobre, nous autres pèlerins, dans votre Basilique Papale, devant l’autel de votre Chaire, nous voulons nous rassurer nous-mêmes par le fait qu’aujourd’hui, et plus que jamais, nous sentons que nous ne sommes pas seuls. Non, Très Saint-Père, nous sommes vos fils et nous ressentons votre proximité. Nous somme sous votre garde de Père très aimant. Nous sommes en compagnie de notre Sainte Mère du ciel. Nous ne sommes pas seuls en célébrant ce rite antique qui a accompagné de magnifiques siècles de sainteté, ce rite saint dans lequel des milliers de saints ont trouvé la douce profondeur de la rencontre avec Dieu dans le silence du mystère. Aujourd’hui, bien loin de nous abandonner à l’amertume de la solitude, nous nous réjouissons d’embrasser dans la Rome du Pape, de notre Pape, tous nos frères du monde. Non, nous ne sommes pas seuls!»