15 décembre 2006

La libéralisation du rite tridentin
Une menace pour l'unité ecclésiale?
Abbé Celier - "Lettre à nos frères prêtres" n° 32 - décembre 2006 - LNFP
La libéralisation du rite tridentin
Une menace pour l'unité ecclésiale?

Nombreuses, les voix épiscopales se sont exprimées :
« Nous ne pourrions pas accepter l’éclatement de nos communautés chrétiennes au gré des sensibilités et des goûts de chacun en matière liturgique. »
« La liturgie n’est pas un spectacle dont on pourrait critiquer à loisir le programme et la distribution et corriger les partitions. Elle est l’expression de la foi et de la communion de l’Église. Elle est, en régime chrétien, l’action constitutive de l’Église. »
 « Si on voulait, de manière autoritaire, imposer un bi-ritualisme, on serait dans une situation grave et préoccupante. La liturgie n’est pas un objet qui peut être manipulé. Les rites ne sont pas la propriété de groupes humains. La question de l’unité de l’Église est en jeu. »
« On ne saurait livrer le choix d’une des formes du rite romain – messe de “Saint Pie V” ou messe de “Paul VI” – à sa seule subjectivité. Une Église où chacun construirait sa chapelle à partir de ses goûts personnels, de sa sensibilité, de son choix de liturgie ou de ses opinions politiques ne saurait être encore l’Église du Christ. »
« On parle de la “libéralisation” de la messe de Saint-Pie V. Cette expression me laisse perplexe. Peut-on  critiquer le libéralisme dans la société civile et inciter à le pratiquer dans le  corps du Christ en laissant à chacun la liberté de choisir selon sa sensibilité ? Est-ce cela, la foi ? Est-ce qu’on se fait sa religion à soi ? La liturgie est au-delà des libertés individuelles. »
 Ces interventions dénoncent le projet pontifical sous prétexte qu’il menacerait l’unité ecclésiale. Sous des dehors déférents, l’objection consiste à accuser Benoît XVI du reproche qu’il adresse si souvent à l’endroit de nos sociétés modernes : le relativisme. Accorder libre champ au rite tridentin et laisser à chacun le choix de son rite revient à introduire le relativisme en matière liturgique, au plus grand dépend de l’unité ecclésiale.
L’argument ainsi utilisé fait tristement sourire. Il émane de ceux-là même qui défendent la créativité liturgique, qui encouragent l’inculturation des rites. Tandis que règne toujours une grande disparité liturgique au sein des paroisses de France, voici  dénoncé le rite multiséculaire et unifié de l’Église comme facteur de division. Il fallait oser. Un tel argument ne peut que remettre en cause la sincérité de ceux qui pourtant prétendent marcher dans la vérité et la charité. A ceux-là, le cardinal Ratzinger avait répondu à sa manière ; c’était en 1998 : « La différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, est souvent plus grande que celle entre la liturgie ancienne et la liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits. »
En cet argumentaire, les opposants à Benoît XVI utilisent une arme à double tranchant, dont la première victime est le missel de Paul VI lui-même. Car enfin, s’il est certain que « la liturgie n’est pas un spectacle dont on pourrait critiquer à loisir le programme ou corriger les partitions » ; si tous admettent que « la liturgie ne peut être manipulée » ; l’honnêteté réclame aussi de reconnaître que les liturges ayant enfreint ces évidences ne sont pas les défenseurs du rite tridentin, mais bien les créateurs du missel de Paul VI. Quel fut en effet le travail confié à Mgr Bugnini ? Lui-même s’en expliqua : « Il ne s’agit pas seulement de retoucher à une œuvre d’art de grand prix […] Il s’agit bien d’une restauration fondamentale, je dirais presque d’une refonte : et, pour certains points, d’une véritable nouvelle création. » Nous voici donc en pleine manipulation, voici la liturgie entre les mains d’un groupuscule d’“experts” qui d’un coup de gomme décident du sort de la prière antique de l’Église.
L’honnêteté réclame de reconnaître la réalité de ces faits. Être crédible est souvent exigeant. Et ceux qui prétendent accomplir une démarche de vérité et de charité ne le seront que dans la mesure où ils reconnaîtront le rite de Paul VI pour ce qu’il est : une manipulation liturgique. A notre connaissance, il ne s’est trouvé qu’un seul évêque pour avoir une telle honnêteté, lorsqu’il écrivait : « La réforme liturgique, dans sa réalisation concrète s'est éloi­gnée toujours davantage de son origine. Le résultat n'a pas été une réanimation, mais une dévastation. A la place de la liturgie, fruit d'un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication. On n'a plus voulu continuer le devenir, maturation organique du vivant à travers les siècles, et on l'a remplacé, à la manière de la production technique, par une fabri­cation, un produit banal de l'instant.» C’était en 1990, et cet évêque s’appelait Joseph Ratzinger.
C’est aussi pour avoir refusé une telle manipulation de la liturgie que certains ont gardé le rite multiséculaire et unifié de l’Église latine.
  
Abbé Grégoire CELIER