17 juillet 2018

[Paix Liturgique] Bilan 2018 des ordinations en France

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°652 - 17 juillet 2018

La publication du nombre des prêtres ordonnés pour la France devient chaque année, à la fin du mois de juin, un petit événement. Il s'agit en effet du baromètre le plus sensible de l'état de l'Église dans notre pays, en même temps qu'un élément de prévision concernant les capacités des diocèses durant les années à venir. État du catholicisme français que l'on dirait désespéré, si l'espérance chrétienne ne l'interdisait. Les chiffres sont, en effet, plus bas qu'ils n'ont jamais été, et l'effondrement se continue d'année en année.
Une inévitable imprécision
Cette année, la publication du chiffre des ordinations a fait l'objet d'une controverse entre la Conférence des Évêques de France (CEF) et le journal La Croix.
    
Un communiqué de la CEF, daté du 19 juin 2018, a annoncé que, pour l'année 2018, 125 prêtres auront été ordonnés : 105 diocésains, ou assimilables à des prêtres diocésains, et 20 religieux. Sur les 105 assimilables à des prêtres diocésains, 67 sont des purs diocésains et 38 appartiennent à des institutions au service des diocèses : Communauté Saint-Martin, Communauté de l'Emmanuel, Institut du Bon Pasteur, etc. Si l'on considère qu'en 2017 la CEF annonçait 117 nouveaux prêtres, la tendance serait donc à l'augmentation.
 
Mais un article de La Croix, daté du 3 juillet 2018, et signé de Gauthier Vaillant et Julien Tranié, vient corriger les chiffres de la CEF à la baisse. Pour leur part, ils ne recensent que 82 prêtres diocésains, dont une dizaine issue de communautés nouvelles ou de sociétés de vie apostolique, et 32 nouveaux religieux. Soit un total de 114 prêtres, au lieu de 133 en 2017. En clair, La Croix accuse la CEF d'avoir un peu gonflé les chiffres.
   
« Plusieurs éléments permettent d'expliquer cette différence, disait le quotidien. D'une part, la conférence épiscopale a modifié sa méthode, et a pris en compte des communautés qui ne l'avaient pas été l'année dernière. C'est le cas de l'Institut du Bon Pasteur ou de la Communauté Saint-Martin. D'autre part, la CEF a intégré à son compte les prêtres étrangers ordonnés en France – et dont certains serviront un certain temps en France – ou pour des communautés dont la maison mère est en France. C'est le cas par exemple avec la Communauté Saint-Jean, qui a connu sept ordinations cette année, dont seulement deux Français.»
   
En outre, adoptant un critère qui est le nôtre depuis des années, La Croix donne le nombre des membres français ordonnés prêtres dans toutes les communautés traditionalistes (en tout cas les communautés « officielles ») assimilables à des prêtres travaillant dans les diocèses : outre l'IBP, la Fraternité Saint-Pierre et l'Institut du Christ-Roi. Et les journalistes de La Croix de conclure que les chiffres établis chaque année ne peuvent être en définitive qu'une évaluation, plus ou moins précise selon les cas. Mais en toute hypothèse, ces chiffres, surtout si on conserve les mêmes critères d'une année sur l'autre, indiquent nettement des tendances : à la baisse pour les diocèses, une lente ascension pour les communautés traditionnelles ou classiques (Saint-Martin, Frères de Saint-Jean, etc.).
La baisse continue des ordinations « ordinaires »
Pour notre part, nous distinguons chaque année, pour les comparer, les ordinations « ordinaires » et les ordinations « extraordinaires », en comptant parmi ces dernières celles de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX). Pour les premières, nous avons pris l'habitude d'ajouter aux communautés produisant des prêtres assimilables à des prêtres diocésains la Communauté Saint-Martin (8 ordinations cette année, 3 en 2017, 5 en 2016). Ainsi avons-nous décompter 84 prêtres diocésains ou destinés à travailler dans des diocèses de France en 2016 et 87 en 2017. Pour 2018, nous en décomptons 82.
   
Pour aider le lecteur à y voir plus clair, rappelons quelques chiffres : 566 ordinations en 1966 ; 170 en 1975 ; passage sous la barre des 100 nouveaux prêtres en 2004 (90 ordinations).
   
Cette année, les diocèses qui sont les plus « féconds » sont Bordeaux et Paris avec 6 ordinations. Mais, jusqu'ici, Paris avait tous les ans au moins une dizaine d'ordinations. Les diocèses de Lyon, Versailles et Fréjus-Toulon en ont 5. Évry en compte 4. S'agissant de chiffres aussi faibles, le retrait ou l'ajout de quelques unités est toujours très sensible et rend les tendances particulières difficiles à discerner.
   
À noter aussi que cinquante-huit diocèses n'ont aucune ordination cette année, chiffre que l'on retrouve plus ou moins chaque année vu que la moyenne de séminaristes par diocèse est d'à peine 7.
La bonne tenue des ordinations « extraordinaires »
Les chiffres 2018 des prêtres traditionnels français ordonnés par les diocèses et les communautés dont les apostolats sont assimilables à des apostolats diocésains – et non ceux de communautés proprement religieuses, comme le prêtre ordonné pour la Communauté des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu par le cardinal Sarah fin avril – sont les suivants:
  • 3 Prêtres pour l'Institut du Bon Pasteur
  • 3 Prêtres pour la Fraternité Saint-Pie-X
  • 2 Prêtres pour la Fraternité Saint-Pierre
  • 2 Prêtres pour l'Institut du Christ-Roi-Souverain-Prêtre
  • 1 Prêtre pour la Société des Missionnaires de la Divine Miséricorde à Fréjus-Toulon
  • 1 pour la Fraternité Saint-Thomas-Becket (communauté bi-formaliste, mais assimilé par La Croix à une communauté traditionaliste)
  • 1 Prêtre pour le diocèse de Fréjus-Toulon
  • 1 Prêtre pour la Fraternité de la Transfiguration (proche de la FSSPX).
Soit, au total, 14 ordinations. Ce chiffre honorable est cependant moindre que ceux de 2017 (22) et 2016 (19), en raison de la baisse des ordinations françaises de la FSSPX (3 + 1 prêtre de la Transfiguration, au lieu de 11 en 2017). Il faut répéter qu'avec des chiffres de cette faible amplitude, une différence de quelques unités produit des effets importants dans les comparaisons La Croix, qui ne compte pas a FSSPX mais ajoute les 8 prêtres de la Communauté Saint-Martin, indique : « Au total, près de 20% des prêtres ordonnés cette année sont issus de communautés de sensibilité traditionaliste ou "classique" », soit un prêtre sur cinq. Pour notre part, en gardant notre mode de calcul habituel, nous arrivons à 15% de prêtres traditionnels ordonnés cette année, en raison de la « faiblesse » conjoncturelle de la FSSPX. Toutefois, sur les 5 dernières années, la tendance est bien celle de 1 prêtre ordonné sur cinq : 21% en 2014 ; 22% en 2015 ; 18,5% en 2016 ; 20% en 2017 ; et 15% cette année.
LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) L'enseignement majeur de ces enquêtes est que le nombre des prêtres purement diocésains ordonnés est chaque année plus faible. L'apport des communautés plus classiques est désormais devenu indispensable, même s'il n'inverse pas la tendance générale : 8 prêtres de la Communauté Saint-Martin ; 2 de la Communauté Saint-Jean ; 7 de l'Emmanuel ; 2 de la Fraternité Eucharistein ; 1 de la Fraternité Missionnaire Jean-Paul-II. Le catholicisme étant désormais plus visible dans les villes, près de 30% des prêtres diocésains ou assimilables à des diocésains ordonnés cette année viennent des diocèses d'Ile-de-France.

2) On ne peut pas envisager de redressement significatif pour les années qui viennent. En effet, sauf les exceptions notables de Paris (70 séminaristes) et Fréjus-Toulon (une cinquantaine au total) et, à un moindre niveau, d'Ars (plus de 20 séminaristes) et Bayonne (un peu moins d'une vingtaine), les séminaires pour un seul diocèse ont disparu. Les autres, sont interdiocésains et, au mieux, approchent les 50 séminaristes (Rennes, Issy-les-Moulineaux, Toulouse). Lyon et Notre-Dame de Vie sont à moins de 40, tandis qu'Orléans, Aix, Nantes, le Séminaire français de Rome ou celui des Carmes à Paris sont sous les 30. En revanche, la Communauté Saint-Martin compte plus de cent séminaristes, et l'ensemble des communautés traditionnelles regroupent environ 130 séminaristes français. Même si des réflexions courageuses et des solutions adéquates devaient être dès aujourd'hui mises en œuvre (ce qui est loin d'être à l'ordre du jour), la diminution du nombre de prêtres est programmée pour durer encore longtemps. La Croix estime qu'en 2024, dans six ans, il n'y aura plus que 4000 à 4500 prêtres en exercice dans les diocèses de France (voir ici). 

3) Quelles solutions ?
  • Il paraît très difficile de revenir sur la disparition des petits séminaires, qui a eu lieu au milieu des années soixante. Il est cependant important de savoir qu'ils assuraient par des vocations entretenues dès l'enfance, une part notable – environ 60% – des ordinations avant le Concile. Ces vocations n'étaient pas moins solides que les vocations actuelles bien plus tardives (la plupart des candidats entrent au séminaire après avoir accompli des études profanes), dès lors qu'on constate que le nombre des départs de prêtres reste très élevé. Une des urgences réside donc dans l'apostolat des jeunes vocations et de leur entretien, spécialement dans les écoles catholiques. Les rentrées dans les séminaires des communautés traditionnelles doivent d'ailleurs beaucoup aux écoles catholiques traditionnelles hors contrat, où une culture des vocations semblable à celle qui se faisait avant Vatican II dans les écoles catholiques est toujours de mise.
          
  • La mise en place d'une sorte de « politique familiale » par les autorités de l'Église importerait grandement. L'un des traits qui unit le monde traditionnel et le monde classique sont ces familles, souvent nombreuses, pratiquantes et impliquées dans un vaste réseau d'œuvres. Il est clair que c'est ce modèle que les responsables ecclésiastiques devraient délibérément encourager dans leur prédication. En cette année qui marque son cinquantenaire, ne serait-il pas bon de redécouvrir et promouvoir Humanæ vitæ, dont la doctrine n'est quasiment jamais évoquée dans l'enseignement sacerdotal ou épiscopal?
         
  • Enfin, il faut noter que les séminaires de France, s'ils ne sont plus aujourd'hui, sauf exceptions, des établissements d'endoctrinement progressiste comme il y a trente ans, restent des lieux de formatage qui pourchassent les vocations traditionnelles ou trop classiques. Pour bien des vocations de ce type, le parcours du séminaire diocésain s'apparente à un parcours du combattant au terme de laquelle il leur est rarement consenti de parvenir. Remédier à cette situation relèverait d'un changement de cap, et plus globalement d'une volonté décidée de s'engager dans un relèvement de l'Église.