12 juillet 2018

[Peregrinus - Le Forum Catholique] Peut-on assister à la messe des constitutionnels?

SOURCE - Peregrinus - Le Forum Catholique - 12 juillet 2018

En 1791, alors que s’installe en France le schisme constitutionnel, le père Bernard Lambert, théologien dominicain hostile à la Constitution civile du clergé, publie un Avis aux fidèles afin de leur fournir les « principes propres à diriger leurs sentimens et leur conduite dans les circonstances présentes ». Soucieux du bien des âmes, le théologien ne se contente pas d’établir les erreurs de la Constitution civile et des pasteurs qui l’ont acceptée, mais indique aux fidèles la voie qu’ils doivent suivre pour se préserver du schisme. 

Le R.P. Lambert énonce tout d’abord un grand principe : 
C’est dans l’Eglise une regle inviolable, consacrée par l’autorité & la décision des conciles écuméniques, qu’on doit rester uni de communion avec un pasteur canoniquement institué, quelle que soit sa conduite ou sa croyance, tant que l’église par une sentence canonique, ne l’a pas déclaré déchu de sa place & indigne de son ministere (1).
Il faut noter que ce principe est précisément celui qui permet à notre théologien de dénoncer l’attitude des pasteurs constitutionnels, qui se séparent de leurs évêques légitimes pour se placer dans la dépendance d’évêques constitutionnels sans titre et sans mission. Il donne de ce principe le développement suivant :
Rompre de communion avec le pasteur, sous prétexte qu’il est tombé dans l’erreur, ou qu’il s’est souillé par un crime, c’est prévenir le jugement de l’Eglise, c’est usurper l’autorité de l’Eglise, c’est se séparer de la communion de l’Eglise ; c’est-à-dire, se précipiter dans le schisme, par la crainte même d’y tomber.
Pour Lambert, toute l’attitude des fidèles dans la crise provoquée par la Constitution civile et le serment doit découler de ce principe. Tout d’abord, les fidèles doivent évidemment continuer à reconnaître comme leurs pasteurs légitimes les évêques et prêtres réfractaires. Mais l’application du principe ne s’arrête pas là. En effet, Lambert demande logiquement aux fidèles de rester unis de communion avec les curés légitimes – c’est-à-dire canoniquement institués – même s’ils ont prêté le serment, d’assister à leur messe, de recevoir d’eux les sacrements « tout comme ils auroient fait il y a deux ans (2) ». Refuser d’assister à la messe de son curé sous prétexte qu’il a prêté le serment revient à devancer le jugement de l’Eglise, donc à risquer de se rendre soi-même coupable de schisme. C’est le principe même que Lambert oppose à l’Eglise constitutionnelle qui le conduit à admettre que les fidèles assistent aux messes de leurs curés assermentés dès lors que ceux-ci ont reçu l’institution des évêques légitimes. 

Le dominicain va cependant plus loin encore. La directive qu’il donne aux fidèles s’applique non seulement lorsque le curé légitime a prêté le serment, mais encore lorsqu’il communique avec l’évêque intrus, c’est-à-dire lorsqu’il reconnaît les évêques validement consacrés, mais dépourvus de mission canonique, qui usurpent les sièges déclarés vacants par l’Assemblée Nationale. 
On doit gémir de sa double prévarication & n’y prendre aucune part ; mais on doit continuer de respecter son ministere, d’écouter ses instructions, de recevoir les sacremens de sa main, de communiquer avec lui en tout ce qui ne nous rend pas complices de son crime (3).
Le dominicain en vient enfin aux pasteurs intrus, c’est-à-dire à ceux qui prétendent remplacer les pasteurs légitimes. Si Lambert estime qu’il faut fuir la messe paroissiale célébrée par un curé intrus pour ne pas se rendre complice de son intrusion, il juge licite d’entendre sa messe privée (4). En effet, estime-t-il, il ne faut pas « mettre les caprices du zele à la place de la loi, accomplir un devoir au préjudice d’un autre (5) ».

Ces directives étonnantes n’ont pas pour auteur un casuiste laxiste, mais un théologien jansénisant et rigoriste, d’une hostilité intégrale à la Constitution civile du clergé et à ses adhérents. Il est avéré que tous les théologiens du camp réfractaire ne partageaient pas sur ces points les opinions du dominicain, et il est loisible de les désapprouver. Il reste qu’elles témoignent d’une complexité que l’on oublie trop souvent, quand on ne veut pas tout simplement la nier : complexité de la composition du clergé constitutionnel, où l’on doit distinguer curés simplement jureurs, curés jureurs communiquant avec l’évêque intrus et curés jureurs intrus ; complexité des positions doctrinales comme des attitudes pratiques du clergé réfractaire comme de ses fidèles, bien plus nuancées qu’on voudrait le faire croire. 

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le petit ouvrage du R.P. Lambert. On citera, par exemple, bien qu’elles n’aient pas de rapport direct avec le problème dont il a été ici question, les paroles pleines de sel qu’opposait notre théologien à ceux qui lui vantaient les mérites des évêques intrus : 
Les nouveaux venus [les intrus], dites-vous, enseigneront une doctrine pure […]. Je n’en sais rien, & n’aurois garde de m’en rendre garant : mais que m’importe ce vain étalage de leur mérite réel ou imaginaire ? il me suffit de savoir que ces faux pasteurs sont étrangers à la succession apostolique (6).
Peregrinus 
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(1) Bernard Lambert, Avis aux fidèles, ou principes propres à diriger leurs sentimens et leur conduite dans les circonstances présentes, Dufresne, Paris, 1791, p. 58.
(2) Ibid., p. 61.
(3) Ibid., p. 62.
(4) Ibid., p. 66.
(5) Ibid., p. 67.
(6) Ibid., p. 79-80.