Laurent Lineuil
D’une Eglise à l’autre
         
Rome, samedi 23 février. Sous les ors de la mosaïque de la basilique        Saint-Jean de Latran, la cathédrale du pape, les fumées de l’encens        montent devant l’autel de l’abside, tandis que Mgr Luigi de Magistris,        à quelques pas de la cathèdre pontificale, ordonne diacre, selon la        forme extraordinaire du rite romain, quatre séminaristes de l’Institut        du Bon Pasteur, deux Français, un Italien et un Polonais. Dans les        stalles, Mgr Renato Boccardo, secrétaire général de l’Etat de la Cité        du Vatican, assiste à cette messe qui est sans doute la première à être        célébrée solennellement dans le rite traditionnel en ce lieu depuis la        réforme liturgique. Comme cela avait été le cas quelques semaines plus        tôt pour la première messe de l’abbé René-Sébastien Fournié célébrée        à la-Trinité-des-Monts, la présence de l’Institut du Bon-Pasteur à        Rome est l’occasion pour les églises de la capitale de la chrétienté        de renouer avec leur tradition liturgique. Le lendemain, pour la messe        dominicale, ce sera au tour de la magnifique église San Nicola in Carcere        où, une fois n’est pas coutume, don Carlo Cecchin célèbre face au        peuple, église orientée oblige… Nouveau diacre, c’est le jeune abbé        Vincent Baumann, qui s’apprête à rejoindre le Brésil d’ici quelques        jours, qui proclame pour la première fois l’Evangile, avec une        concentration qui contient l’émotion.
Mais revenons à Saint-Jean-Latran. Après les remerciements d’usage        prononcés à la fin de la cérémonie par l’abbé Philippe Laguérie,        supérieur de l’IBP, dont ceux adressés au tout nouveau chanoine de        Saint-Jean-de-Latran, Nicolas Sarkozy, et la lecture du mot de        remerciement adressé par son cabinet (absurdement, la nouvelle, diffusée        par l’agence I-média, deviendra dans le Libé du lundi suivant le signe        d’une collusion du Président de la République avec les catholiques        traditionalistes…), les nouveaux diacres ont pu recevoir leurs amis présents        dans une salle du palais du Vicariat de Rome, adjacent à la basilique, ce        palais-même où Nicolas Sarkozy, toujours lui, a prononcé le fameux        discours qui fit tant de bruit… La réception de ce jour est plus        modeste, mais elle témoigne du parfait accueil fait par le diocèse de        Rome à l’IBP, reçu ici en toute cordialité comme l’une des        innombrables chapelles de la maison du Père.
Le lendemain soir, à Paris, le contraste était rude, surtout, on        l’imagine, pour l’abbé Alexandre Berche, qui après avoir proclamé        l’Evangile samedi dans la cathédrale du pape, le faisait à présent        dans la petite salle sans fenêtre transformée en chapelle pour les        besoins du Centre Saint-Paul, rue Saint-Joseph, dans le deuxième        arrondissement de Paris. Une salle trop petite pour les fidèles qui se        pressent aux cinq messes dominicales, où la visibilité est souvent problématique,        où les fumées de l’encens, faute de place pour s’élever sous les voûtes        inexistantes, deviennent vite étouffantes. Et qui coûte, tous les mois        que Dieu fait, fort cher en loyer. Pendant ce temps, sur les murs des        villes d’Ile-de-France, s’étalent les affiches de la nouvelle        campagne des diocèses de la région en faveur du denier du culte : « Il        y a une église dans ma vie », proclament-elles, afin de persuader les        catholiques non pratiquants de participer aux frais qu’occasionnent les        nombreux clochers au cœur de leurs villes et leurs villages, qui font        partie de leur environnement culturel aussi bien que religieux. Il y a une        église dans ma vie ? Oui, bien sûr, et même plusieurs. Mais en        attendant, mon denier du culte sert à louer, à fonds perdus, une petite        salle inconfortable, au lieu d’aider à faire vivre une de ces belles églises        dont notre pays est si riche. Sans aller jusqu’à rêver des fastes de        Saint-Jean-de-Latran, il doit bien exister, à Paris, une église        sommeillante, modeste peut-être, mais une église véritable, qui puisse        accueillir une paroisse personnelle de l’Institut du Bon Pasteur…        Alors, les fidèles parisiens de l’IBP pourraient dire, sans avoir à        jouer avec les mots : « Il y a une église dans ma vie ». Et se sentir        autant chez eux à Paris qu’à Rome.
Laurent Lineuil - Objection n°15
