Le schisme de Mgr Lefebvre a bien plus de vingt ans       
Alors qu'approche l'anniversaire de la rupture       intégriste de 1988, Nicolas Senèze met au jour ses soubassements       historiques et idéologiques dans son livre "La Crise intégriste",       qui vient de paraître aux éditions Bayard
LA CRISE INTÉGRISTE Vingt ans après le schisme de Mgr Lefebvre,        de Nicolas Senèze
Bayard, 193 p., 15 €
Bayard, 193 p., 15 €
Nicolas Senèze, chef adjoint du service Religion de La Croix,        ne cherche pas à polémiquer dans le débat délicat autour du        lefebvrisme, mais à comprendre. Avec sagacité, il remonte aux sources de        la crise intégriste et explique comment on en est arrivé au blocage        actuel. La grande pédagogie de l’auteur permet de démêler un écheveau        des plus complexes.
L’ouvrage montre comment la crise est le fruit de la rencontre entre        l’histoire singulière d’un homme, Marcel Lefebvre, et d’un certain        nombre de rancœurs présentes dans la société française. Mgr Lefebvre        subit l’influence de la pensée de Maurras et de l’Action française        au Séminaire français de Rome, par l’intermédiaire du supérieur, le        P. Le Floch.
Son départ en mission en Afrique, où il fait merveille, explique également        son éloignement de ce que la France va vivre dans les années 1930, lors        du second conflit mondial et dans l’après-guerre. C’est donc tout        naturellement que vont se rallier à lui différents courants : partisans        de l’intransigeantisme catholique en réaction à la Révolution française,        militants et activistes déçus, passés par le pétainisme et l’Algérie        française. L’opposition au Concile, identifié comme «        l’effondrement catholique », cristallisera cette dérive intégriste.
Pas d’abord une affaire de messe en latin dite dos au peuple
On le mesure bien dans l’échec de toutes les tentatives de        conciliation lancées par les papes, de Paul VI à Benoît XVI. Par des        extraits de lettres, des minutes de conversation entre Mgr Lefebvre ou ses        successeurs et les papes, Nicolas Senèze montre comment se durcit la        logique d’enfermement sur une base d’opposition à Vatican II.
L’auteur n’en conclut pas que l’opposition à la réforme        liturgique n’a joué aucun rôle. Mais il montre comment elle a plutôt        servi de bannière de ralliement au début des années 1970, et non lors        du Concile. On découvre aussi combien nombre de fidèles qui avaient        soutenu Mgr Lefebvre, pour sa volonté de restaurer la messe de saint Pie        V, s’écarteront finalement de lui : mesurant les soubassements idéologiques,        ils ne le suivront pas dans l’opposition radicale à Rome et dans le        schisme. L’attachement à la « messe de toujours » ne suffit pas pour        être intégriste.
On est vite passionné par ce livre où se déploie largement la        narration mais où l’auteur, en bon informateur, distille les notices théologiques        : qu’est-ce que la Tradition ? Peut-on laisser les fidèles choisir leur        rite ? Peut-on en appeler à la Tradition contre le pape ? Quiconque        cherche des repères pour voir clair dans ces difficiles questions y        trouvera son compte… et des éléments de discernement.
Laurent VILLEMIN
