15 février 2009

[Koz - La Croix] En eaux profondes

SOURCE - Koz - La Croix - 15 février 2009

Duc in altum, nous est-il dit. Alors, soit, nous avançons, j’avance, en eaux profondes. J’y plonge même. Y compris en eaux profondes lefebvristes. Sans peur. Puisque celui qui est sûr de sa foi ne peut prendre peur. D’ailleurs, le pire qui pouvait m’arriver aurait été de m’apercevoir que les lefebvristes avaient raison, et de trouver la vérité.

En eaux profondes… C’est peut-être bien dans cette direction que nous emmène le Saint Père. Avancer en eaux profondes, c’est aussi l’impression qui me reste, après la lecture et l’écoute successives de l’entretien donné par Mgr Fellay à Famille Chrétienne, du message de Mgr Fellay diffusé aux Nouvelles de Chrétienté, et de la conférence qui s’en est suivie, donnée par l’abbé de Cacqueray.

Comme l’annonce l’éditorial de Dici, nous entrons dans le vif du sujet : “l’enjeu doctrinal”. Or, si la bonne nouvelle du 21 janvier est qu’un chemin de réconciliation est ouvert (par Rome), on est toujours bien en peine d’en distinguer aujourd’hui la ligne d’arrivée. Pour l’abbé de Cacqueray, puisque l’on a vu la chute du mur de Berlin, il n’y a pas de raison de penser que l’on ne verra pas la “remise en cause de Vatican II”. Pour Rome, “la pleine reconnaissance du concile Vatican II et du magistère des papes Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul Ier, Jean-Paul II et Benoît XVI est la condition indispensable à la reconnaissance future de la Fraternité Saint-Pie-X”.


De Dignitatis Humanae à Nostra Aetate, Mgr Fellay, gentil flic

Mgr Fellay bénéficie peut-être, contrairement à l’abbé de Cacqueray, d’un caractère plus suisse que gaulois, qui lui permet de faire preuve d’une douce fermeté. Pour autant, son propos n’en est pas moins définitif : la levée des excommunications est une surprise pour lui, puisqu’elle ferait suite à une lettre sévère dans laquelle il critiquait Vatican II, elle n’a donc donné lieu à aucun compromis, et ne sera suivie d’aucune concession.

Pourtant, la lecture de l’entretien donné à Famille Chrétienne pouvait même amener à s’interroger sur les raisons profondes de ce schisme lefebvriste. Ainsi, selon Mgr Fellay,

“Beaucoup de problèmes que nous nous posons sont à résoudre par des distinctions et non par des rejets ou des acceptations absolues”.

Il dit aussi accepter sans peine de considérer les juifs comme nos “frères aînés”, tout en soulignant qu’il leur manque toutefois de reconnaître Jésus. Or, pour tout vous dire, la prière pour la conversion des juifs ne me gêne que par considération pour l’Histoire et en souvenir de l’anti-judaïsme chrétien. En fin de compte, à l’image du rabbin Sirat, je ne considère pas le fait de prier pour la conversion des fidèles d’une autre religion comme une marque d’hostilité. Je prie bien pour la conversion de mon Père, et pour la mienne, pourquoi pas pour celle de mon frère aîné ?

Sur la liberté religieuse aussi, à le lire, sur un malentendu, ça pourrait passer. Parmi les textes auxquels s’opposent les lefebvristes, se trouve en effet la lumineuse déclaration Dignitatis Humanae. Pour dire les choses rapidement, pour autant que je les ai bien comprises, les lefebvristes reprochent à cette déclaration d’avoir abandonné tout espoir de conversion, et de renoncer à promouvoir l’existence d’un Etat catholique.

Pourtant, Dignitatis Humanae affirme, dès ses premières lignes, que

“tous les hommes (…) sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise ; et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles”,

tout en précisant que

“la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance”.

Quant à l’Etat catholique, Mgr Fellay “sursaute” certes à l’idée que, selon Benoît XVI, l’Eglise ait “redécouvert son patrimoine” sur la question de la liberté religieuse. Mgr Fellay s’affirme “bien d’accord” avec Gérard Leclerc qui évoque notamment la liberté de conscience que l’Eglise elle-même réclame en Chine. Il souligne même que

“dans un État qui comporte plusieurs religions, cet État doit légiférer pour le bien commun. Le plus grand bien est la paix entre les citoyens. C’est ce que l’Église appelle la “tolérance chrétienne”,

mais en ajoutant que “c’est un autre principe”.

Alors moi, j’entrevois des accords possibles : Dignitatis Humanae n’a jamais été un renoncement de l’Eglise à annoncer la/sa vérité et, si nous n’avons, sur le second point, qu’un différend de chapitrage, sans divergence de fond, alors, tout est possible.

Cela dit, si les divergences entre les lefebvristes et Rome sont à résoudre par de simples distinctions, me voilà perplexe : dans ces conditions, pourquoi s’être engagés sur la voie d’un schisme ?

C’est d’ailleurs pour moi l’un des paradoxes lefebvristes. Eux soulignent avec constance que Vatican II, concile pastoral et non dogmatique, n’a pas une autorité absolue. Selon l’abbé de Cacqueray, “le Concile n’est pas un monolithe”. Aussi acceptent-ils ceux des textes de Vatican II qui sont dogmatiques mais expriment-ils “des réserves” sur certains autres textes, dont ils affirment qu’on ne peut leur imposer la reconnaissance. Et c’est là que je me perds un peu dans la logique lefebvriste : si donc ils considèrent au fond d’eux-mêmes, avec toute l’assurance dont ils sont capables, que certains textes sont légitimement contestables au sein de l’Eglise, pourquoi avoir posé des actes schismatiques pour affirmer leur droit à s’y opposer ?

C’est, peut-être aussi, que contrairement à ce que certains lefebvristes se plaisent à répéter, leur position ne se limite pas à réclamer le droit d’énoncer leur opposition à certains textes mais d’en obtenir la remise en cause, de les faire tomber… comme est tombé le mur de Berlin.


Dignitatis Humanae, Gaudium et Spes, l’abbé de Cacqueray, méchant flic

C’est bien le propos de l’abbé de Cacqueray qui, brrrr, se montre moins accommodant que son supérieur. A l’écouter, on prend conscience de la réalité parallèle dans laquelle se sont installés les lefebvristes : ils n’ont jamais quitté l’Eglise, les sanctions prononcées contre les évêques sont nulles (position soutenue par Mgr Fellay également dans son intervention), et la levée des excommunications “décrédibilise la peine de suspense qui demeure sur les prêtres”. Pour un peu, il nous expliquerait qu’en levant les excommunications, le Vatican a ridiculisé ses décisions précédentes. Comme dirait l’autre, il commence à me plaire…

A son avis, au demeurant, le retour de la Fraternité Saint-Pie-X au sein de l’Eglise n’est qu’affaire de volonté de la FSPX (si l’on peut parler de retour de ceux qui n’en sont pas partie, enfin à ce qu’ils disent, ouh la la, je crois que je ne sais plus dans quelle réalité j’erre). Si seulement elle le voulait, dès demain, hop, on lui trouve son statut canonique, permettant un plein retour dans l’Eglise. Mais elle ne le veut pas… car il ne serait pas sincère de sa part d’envisager la question du statut canonique sans que soient réglées les questions doctrinales.

C’est sur Dignitatis Humanae que l’abbé de Cacqueray marque la plus grande rupture avec l’Eglise. Selon lui, si le Christ est Roi, alors il est roi des consciences, roi des sociétés, et “personne n’a un droit à se dérober à sa royauté“. S’agissant d’un développement sur la liberté religieuse, voilà une formule ciselée qui laisse perplexe au vu de tout ce qu’elle pourrait autoriser, et de la conception de l’Evangile ainsi véhiculée.

De plus, un chef d’Etat catholique a “le devoir de montrer qu’il n’a pas honte de sa foi, et que le Christ est le roi de son pays”, et “la plus grande charité qu’un Etat peut avoir à l’égard des citoyens qui ne croient pas est de favoriser la religion catholique”.

Je ne peux m’empêcher de penser à cet échange entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger (rapportée in La crise intégriste, Nicolas Senèze, pp. 117-118) :

L’Etat est incompétent en matière religieuse, rétorque le cardinal Ratzinger.

Mais l’Etat a une fin ultime, éternelle, soutient Mgr Lefebvre.

Ca, c’est l”Eglise, Monseigneur, ce n’est pas l’Etat. L’Etat, par lui-même, ne sait pas.

Vient ensuite Gaudium et Spes, spécialement visé en ce qu’il serait, de l’avis de Benoît XVI, un “contre-Syllabus“. Si tel est le cas, selon eux, c’est bien la démonstration que Vatican II serait une rupture, une cassure dans la Tradition, dans l’enseignement de l’Eglise. Il est atterrant de voir quel attachement les lefebvristes portent au Syllabus entre tous les textes de l’Eglise, précisément au Syllabus, probablement l’un des textes les plus sévères et anti-pédagogiques que l’Eglise ait produit, et dont les lefebvristes promeuvent de surcroît une conception restrictive. Il est ô combien révélateur que les lefebvristes se réfèrent autant à ce texte, comme si rien n’avait existé avant, comme si rien ne pouvait advenir ensuite. Tant pis pour Matthieu, 22, 21, comme le soulignait Benoît XVI. Et tant pis pour Rerum Novarum.


L’abbé de Cacqueray conclut sur des considérations que je m’en voudrais de laisser sans réponse. Comme lui, je prends presque comme une bonne nouvelle le sondage à paraître de Paris-Match selon lequel 70% sont opposés à la décision du Pape de lever les excommunications. Comme lui, je prends comme une heureuse surprise qu’il y ait 27% de Français, très probablement tous catholiques, fermes dans leur foi, pour approuver une décision aussi controversée. Mais je me dois de lui ôter une illusion : non, il ne s’agit pas du “drame de toutes ces personnes qui allaient à l’église jusque dans les années 70 et qui ne se sont absolument plus retrouver dans leur liturgie”, non, il ne s’agit pas d’une confirmation du lefebvrisme, d’une confirmation de leurs positions actuelles. Parmi ces 27%, il y a nombre de Français tels que moi, qui approuvent la décision du Pape, sont bien dans leur Eglise, et attendent de la Fraternité Saint-Pie-X qu’elle adopte une réaction à la hauteur du geste audacieux du Pape.

Malheureusement, qu’il s’agisse de Mgr Fellay, affirmant doucement mais fermement qu’il n’y a eu aucune concession et qu’aucun compromis n’est envisagé, qu’il s’agisse de l’abbé de Cacqueray qui soutient sans faiblir que les “entretiens nécessaires” mentionnés par le décret devront ramener Rome à la Tradition pour le grand bien de l’Eglise, ces premières positions de la FSPX sur l’”enjeu doctrinal” ne laissent, de nouveau, entrevoir d’autre possibilité pour un rapprochement que de s’en remettre à Celui qui convertit Saul et fit tomber, de ses yeux, les écailles (Actes 9, 18).