4 décembre 2015

[DICI] Voyage pastoral en Afrique : Kenya, Ouganda, République centrafricaine (25-30 novembre 2015)

SOURCE - DICI - 4 décembre 2015

Le pape François a visité trois pays chrétiens où se pose la question de la coexistence avec les musulmans : au Kenya, 147 étudiants – majoritairement chrétiens – ont été massacrés en 2014 par le groupe islamiste somalien des Chebab ; en République centrafricaine (RCA), des groupes chrétiens et musulmans s’affrontent dans des combats meurtriers ; en Ouganda, les rebelles de l’ « ADF-Nalu », des islamistes du mouvement Tablighi Jamaat, exécutent des civils à coups de hache, de machette et d’armes à feu. Dans ces trois pays, l’islam représente environ 10% de la population.
Au Kenya
Le 25 novembre, le pape François est arrivé à 17h à Nairobi (Kenya), accompagné de sa délégation et de 75 journalistes. Reçu au palais présidentiel par le président Uhuru Kenyatta, le Saint-Père s’est adressé aux corps constitués et au corps diplomatique. Il leur a demandé de se soucier réellement des pauvres et des aspirations de la jeunesse, de permettre une juste distribution des ressources naturelles et humaines, de travailler avec intégrité et transparence car « la violence, le conflit et le terrorisme se nourrissent de la peur, de la méfiance ainsi que du désespoir provenant de la pauvreté et de la frustration ».

Le lendemain matin il présida à la nonciature une rencontre interreligieuse : « Le dialogue œcuménique et interreligieux n’est pas un luxe, a déclaré le pape devant l’évêque anglican Eliud Wabukala et le président du Conseil suprême musulman Abdulghafur El-Busaidy, il est essentiel, c’est quelque chose dont notre monde, blessé par des conflits et des divisions, a toujours plus besoin (…), cette année fête le cinquantième anniversaire de la clôture du concile Vatican II où l’Eglise catholique s’est engagée dans le dialogue œcuménique et interreligieux au service de la compréhension et de l’amitié. J’entends réaffirmer cet engagement, qui naît de notre conviction de l’universalité de l’amour de Dieu et du salut qu’il offre à tous ».

Lors de la messe à l’Université de Nairobi le pape François s’est élevé contre les mariages forcés, les mutilations, et l’avortement : « Par obéissance à la Parole de Dieu, nous sommes aussi appelés à résister aux pratiques qui favorisent l’arrogance chez les hommes, qui blessent ou méprisent les femmes, qui ne prennent pas soin des plus anciens, et qui menacent la vie des innocents qui ne sont pas encore nés ».

L’après-midi le Saint-Père s’adressait au clergé, aux religieux, religieuses, et aux séminaristes réunis sous un grand chapiteau, à l’école St Mary de Nairobi. Accueilli par des chants et des danses menées par des religieuses enthousiastes, le pape a préféré parler librement dans sa langue maternelle, traduit par un prélat de la Secrétairerie d’Etat. Le pape a conseillé à ceux qui seraient entrés « par la fenêtre » plutôt que par « la porte » qu’est le Christ, de renoncer à leur vocation. « Quand on suit Jésus, il n’y a de place ni pour l’ambition personnelle, ni pour les richesses, ni pour être une personne importante dans le monde. Jésus, on le suit jusqu’à la dernière étape de sa vie ici-bas, la croix. »

Le pape s’est ensuite rendu au siège de l’ONU de Nairobi (UNON) où, devant 3.000 personnes, reprenant les thèmes de son encyclique sur l’environnement, il a rappelé la lutte contre la pauvreté unie à la lutte contre la surexploitation des richesses et le dérèglement climatique. Une lutte qui exige « l’assimilation d’une culture de protection ; la protection de soi-même, la protection de l’autre, la protection de l’environnement ; en lieu et place de la culture de détérioration et de rejet. »

Vendredi 27 novembre, se rendant au quartier pauvre de Kangemi qui abrite plus de 200.000 personnes dont 20.000 catholiques, François a rencontré des fidèles de la paroisse Saint-Joseph tenue par les jésuites. Le pape a mis en avant les valeurs de solidarité, partage, courage, et du choix de vie. Le pontife n’a pas manqué de dénoncer l’injustice de la marginalisation urbaine à Nairobi, où près de 60% de la population vit dans sept bidonvilles, au milieu de la corruption, des abus sexuels, de l’addiction à l’alcool et aux drogues, etc.

Puis François a rejoint 50.000 jeunes Kenyans dans le stade Kasarani de Nairobi. Remerciant les jeunes de leurs rosaires récités à son intention, le pape a répondu aux questions de Linette et Manuel. « La première chose que je répondrai c’est qu’un homme perd le meilleur de son être humain, une femme perd le meilleur de son être humain, quand ils oublient de prier, parce qu’ils se sentent tout-puissants ». Le souverain pontife a appelé les jeunes à ne pas goûter à la corruption qui détruit tout et que l’on trouve partout, y compris au Vatican.
En Ouganda
Le 27 novembre, le Saint-Père a quitté le Kenya pour l’Ouganda. Reçu par le président Yoweri Museveni au palais d’Entebbe, près de Kampala(capitale de l’Ouganda), le pape François s’adressa aux corps constitués et au corps diplomatique : les martyrs d’Ouganda, catholiques et anglicans tués à la fin du 19esiècle lors des persécutions du roi Mwanga II, « nous rappellent aussi que, malgré nos différentes croyances et convictions, nous sommes tous appelés à rechercher la vérité, à travailler pour la justice et la réconciliation, comme à nous respecter, nous protéger et à nous aider mutuellement en tant que membres de la même famille humaine ».

Pour conclure la journée, François a rendu visite aux catéchistes et enseignants catholiques de Munyonyo. Accueilli dans l’exubérance par des danses tribales et des chants traditionnels, le pape a souligné l’importance d’apprendre aux enfants à prier, appelant les évêques et les prêtres à assurer aux catéchistes une formation doctrinale, spirituelle et pastorale. Il a rendu hommage aux martyrs qui ont été disposés à verser leur sang pour demeurer fidèles à ce qu’ils savaient être bon, beau et vrai. Grâce à leur témoignage, a-t-il fait observer, la communauté chrétienne en Ouganda s’est accrue de façon remarquable et le roi Mwanga n’a pas réussi dans son dessein.

Le lendemain 28 novembre, le pape s’est rendu aux sanctuaires anglican et catholique des martyrs de Namugongo (22 catholiques et 23 anglicans). François a célébré la messe en plein air, expliquant dans son sermon que : « Le témoignage des martyrs montre à tous que les plaisirs mondains et le pouvoir terrestre ne donnent pas une joie et une paix durables ». Au contraire, a-t-il poursuivi, « c’est la fidélité à Dieu, l’honnêteté et l’intégrité de la vie et l’authentique préoccupation pour le bien des autres qui nous apportent cette paix que le monde ne peut offrir ». Avant de quitter le sanctuaire, le pape a demandé au primat anglican de bénir avec lui les fidèles présents. L’unité des chrétiens, a affirmé le pape, commence dans leur martyre comme en Ouganda par le passé, et aujourd’hui en Syrie, en Irak ou en Egypte. Et, pour pousser tous les chrétiens à se rapprocher, il a parlé d’un « œcuménisme du sang », qui semble transcender la foi de l’Eglise catholique.

Après la messe, François regagna Kampala pour une rencontre avec la jeunesse ougandaise. A son arrivée au Kololo Air Strip, aérodrome désaffecté transformé en parc, le pape a été accueilli par de nombreux danseurs traditionnels aux vêtements colorés, et par des dizaines de milliers de jeunes réellement déchaînés. Avant de prendre la parole, le pape a écouté deux témoignages : Winnie Nansumba, 24 ans, séropositive, et Emmanuel Odokonyero, ancien séminariste, enlevé avec 41 autres jeunes séminaristes, en mai 2003, par l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), organisation terroriste extrémiste se présentant comme chrétienne. Torturé, il est parvenu à s’échapper trois mois plus tard. « Ce ne furent pas mes propres pouvoirs mais Dieu miséricordieux qui me guida dans ces moments éprouvants », a témoigné le jeune homme, expliquant avoir pardonné à ses bourreaux. Prenant la parole, le pape François a de nouveau improvisé dans sa langue maternelle, et a expliqué que « face à des expériences si négatives il y a toujours la possibilité d’ouvrir des horizons avec Jésus ». Car, a-t-il poursuivi, « Jésus a vécu la pire expérience de l’histoire. Il a été insulté, rejeté, assassiné. Mais par la puissance de Dieu, il est ressuscité. Il peut faire en chacun de nous la même chose ». Tel un prédicateur évangélique, le pape a alors pris à partie la foule par des questions : « Etes-vous prêts à transformer toutes les choses négatives en choses positives ? Etes-vous prêts à transformer la haine en amour ? Etes-vous prêts à transformer la guerre en paix ? Ayez conscience que vous êtes un peuple de martyrs. Dans vos veines coule le sang des martyrs ! C’est pourquoi vous avez la foi et la vie que vous avez aujourd’hui ». Et la foule enthousiaste de répondre à chaque fois, en chœur : ‘Oui !’. Il a ensuite encouragé à ne jamais se lasser de prier, car la prière est la seule « baguette magique » pour « laisser entrer Jésus ». Et puisqu’au ciel « nous avons une Mère, priez notre Mère ».

Dans la cathédrale Sainte-Marie de Kampala s’adressant au clergé, religieux, religieuses et séminaristes ougandais : « Ne perdez pas la mémoire de ce qui a été semé par les martyrs », a demandé le pape François dans un discours là encore spontané. L’Eglise en Ouganda, a-t-il cependant prévenu, ne peut pas vivre sur ses rentes. « Soyez témoins, comme les martyrs furent témoins de l’Evangile en donnant leur vie », car « la terre d’Ouganda a besoin de nouveaux témoins et de nouveaux messagers du Christ ».
En République centrafricaine
Le pape François est arrivé à Bangui, capitale de la République centrafricaine, le 29 novembre. A l’aéroport, la brève cérémonie d’accueil particulièrement colorée était entourée de mesures de sécurité imposantes. Après un entretien privé avec Catherine Samba-Panza, chef de l’Etat par interim, le pape s’adressa aux dirigeants centrafricains et aux diplomates avant des élections législatives et présidentielles prévues fin décembre. « C’est en pèlerin de la paix que je viens, et c’est en apôtre de l’espérance que je me présente ». Puis il s’est rendu au camp de Saint-Sauveur, qui abrite 3.700 personnes déplacées : « Nous devons travailler et tout faire pour la paix, a dit le pape en italien, il n’y a pas de paix sans tolérance et sans pardon ». François est ensuite allé visiter la communauté évangélique centrafricaine à la Faculté de théologie évangélique. « Depuis trop longtemps, votre peuple est marqué par les épreuves et la violence qui causent tant de souffrances », a-t-il affirmé, confiant que « cela rend l’annonce évangélique d’autant plus nécessaire et urgente ». « Saluant l’esprit de respect mutuel et de collaboration qui existe entre les chrétiens de votre pays, a assuré le pape, je vous encourage à poursuivre sur cette voie dans un service commun de la charité ». La population centrafricaine compte 80% de chrétiens dont 20% de protestants.

Le premier dimanche de l’Avent le pape François a ouvert la porte sainte de la cathédrale de Bangui « par anticipation » du Jubilé de la miséricorde, sur « une terre qui souffre depuis longtemps de guerre, de haine, d’incompréhension, d’absence de paix ». Il a demandé dans son homélie de faire « l’expérience du pardon » et de « pardonner » : « l’amour des ennemis, qui prémunit contre la tentation de la vengeance et contre la spirale des représailles sans fin ». « A tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde, a affirmé le pape, je lance un appel : déposez ces instruments de mort ; armez-vous plutôt de la justice, de l’amour et de la miséricorde, vrais gages de paix ». Puis, il est descendu au pied de l’autel pour échanger un geste de paix avec l’imam et le pasteur évangélique membres de la Plateforme interconfessionnelle pour la paix. Au terme de la messe, le pape François a exhorté les jeunes à « résister devant les difficultés », précisant que « fuir n’est pas une solution » mais que « la prière vainc le mal ».

Le lendemain matin, le Saint-Père s’est rendu à la mosquée centrale de Koudoukou à Bangui, dans un grand déploiement de forces de sécurité. Accueilli par l’imam Tidiani Moussa Naibi, le pontife était accompagné de l’évêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, ainsi que de membres évangéliques et musulmans de la Plateforme interconfessionnelle pour la paix. « Chrétiens et musulmans nous sommes frères. Nous devons donc nous considérer comme tels, nous comporter comme tels », a assuré François devant 250 musulmans assis en tailleur face à lui. Dans son discours en italien, le pontife a exhorté à mettre fin à « toute action qui, de part et d’autre, défigure le visage de Dieu et a finalement pour but de défendre par tous les moyens des intérêts particuliers, au détriment du bien commun », en les invitant « à prier et à travailler pour la réconciliation, la fraternité et la solidarité entre tous, sans oublier les personnes qui ont le plus souffert de ces événements ». Au terme de la rencontre, le pape s’est tenu en silence devant le mihrab(niche qui indique la direction de La Mecque, vers où les musulmans se tournent pendant leurs prières), au côté de l’imam.

Dernière étape en République centrafricaine le pape François a célébré la messe dans le stade Barthélémy Boganda de la capitale, où 30.000 personnes l’ont accueilli avec enthousiasme et de jeunes danseuses vêtues de robes traditionnelles vert pâle, ruban blanc dans les cheveux, ont animé la messe en effectuant des chorégraphies sur des musiques locales. Il a encouragé les Centrafricains à « passer sur l’autre rive », à savoir « la vie éternelle, le ciel où nous sommes attendus », par leur « engagement missionnaire ». Il les a aussi incités à résister à la « suggestion du démon », particulièrement agissant, en ces temps de conflits.

Commentaire : De cette visite pastorale, les observateurs ont retenu les paroles – souvent improvisées – et les gestes très parlants du pape en faveur du dialogue œcuménique et interreligieux avec les anglicans, les évangéliques et les musulmans, ainsi que sa préoccupation constante pour l’écologie. A ce sujet, retenu par son voyage africain, François a fait envoyer une paire de chaussures qui fut déposée sur la place de la République à Paris, en solidarité avec les marcheurs pour le climat, le dimanche 29 novembre.

(Sources : apic/imedia/vis/vatican – DICI n°326 du 04/12/15)