6 décembre 2015

[Notre Dame des Armées (Versailles) - Sermon de l'abbé Servigny, fssp] Chanoine Roussel : Messe au château de Versailles

SOURCE - Sermon de l'abbé Servigny, fssp - Notre Dame des Armées (Versailles) - 6 décembre 2015

En exprimant ici ma gratitude, et me faisant l’interprète de la vôtre, à l’égard de tous ceux qui ont rendu possible cette messe anniversaire pour le chanoine Roussel - et sans les nommer tous je pense spécialement au Père Bonafé, Vicaire Général, au Père Delort Laval, le curé du lieu et à quelques laïcs terriblement efficaces -, je voudrais aussi remercier les prêtres qui m’assistent - le chanoine Guitard et l’abbé Le Roux -, les chevaliers du Saint Sépulcre pour leur accueil, ainsi que tous les servants et choristes, qui sont venus prier et servir cette cérémonie en l’honneur des 30 ans du retour à Dieu du chanoine Gaston Roussel. Qu’il me soit permis d’associer à notre prière la mémoire du Père Robert Pochet, décédé en avril 2012, fidèle vicaire du chanoine, qui célébrait si souvent la messe en ce lieu tandis que le chanoine était à la tribune pour diriger la chorale et tenir l’orgue.

L’assistance nombreuse de ce soir nous montre la fécondité de la vie du chanoine Roussel et de l’héritage qu’il nous laisse. Gaston Roussel fut l’ami des arts et de la beauté liturgiques. Dans ce lieu d’une insolente beauté, dans cet écrin de richesse et de gloire il voulut y faire vivre la liturgie de l’Eglise, pendant plus de 20 ans : de 1961 jusqu’en 1984.

A une époque troublée dans l’Eglise, où le Cardinal Journet, laissant échapper sa tristesse, pouvait écrire à Jacques Maritain : « La liturgie s’est vêtue de haillons et de tumulte. On entre dans un temps où la propriété de l’Eglise qu’est la beauté, est offusquée » (1), le chanoine Roussel voulut faire rayonner de splendeur et de gloire, en ce lieu si emblématique, la prière liturgique en tous ses fastes. La liturgie est une pédagogie de l’Eglise, une école pour nous aider à rencontrer Dieu et nous unir à Lui… On raconte qu’aux origines du christianisme en Russie, aux environs du Xème siècle, le prince Vladimir de Kiev choisit pour lui et son peuple le christianisme après que ses émissaires, envoyés à Constantinople, revinrent en disant : « Lorsque nous arrivâmes dans le pays des Grecs, on nous amena là où ils servent leur Dieu [...]. Et nous ne savions pas si nous étions au ciel ou sur la terre [...]. Nous en sommes témoins : Dieu a fait là sa demeure parmi les hommes. »

A partir des années 60, époque où en maints endroits « la liturgie s’est vêtue de haillons », nombreux sont les fidèles de tout l’ouest parisien qui sont venus en cette chapelle, comme dans un des derniers refuges de la beauté ici-bas et sont repartis avec, au cœur cette conviction profonde : « Oui, Dieu a fait ici sa demeure parmi les hommes ».

Si l’historien demandait à ces foules qui sont venues se presser ici chaque dimanche : « Qu’êtes-vous allé voir ? Un roseau agité par le vent ? Alors qu’êtes-vous allé voir ?» Une reconstitution historique ? Certainement pas. Le chanoine Roussel était tout sauf un gardien de musée ! Alors qu’êtes-vous allé voir ? Un pasteur, un témoin, un prêtre avec ses qualités et ses défauts, ses idées et ses marottes qui voulait offrir à ses fidèles le déploiement de la beauté de la liturgie de l’Eglise…

En tombant ces derniers jours sur un vieux numéro du Carillon, le bulletin paroissial de Port Marly, de septembre 1980, je lisais ces quelques lignes du chanoine Roussel, à propos d’un anniversaire, le bicentenaire de l’église de Port Marly : « Je ne demande, écrivait-il, ni discours fleuris, ni remerciements claironnés. Mais si les fidèles remerciaient Dieu de ce qu’il leur apporte à Saint louis de Port Marly, je serais comblé. » Alors cette messe d’aujourd’hui, elle est d’abord une messe d’action de grâce pour son ministère sacerdotal, liturgique et musical, à la cathédrale Saint Louis, ici à la chapelle du Château ou à Port Marly. De sa personne, je n’évoquerai que son charisme d’homme de la Parole. De la parole chantée tout d’abord et tous ceux qui ont chanté sous sa direction évoquent souvent sa passion, sa fougue, son exigence pour faire du chant liturgique un chant sacré orné de beauté. Mais Gaston Roussel fut aussi un homme de la parole qui enseigne. La prédication était son affaire. Il prêchait tous les dimanches.- Il faut dire que c’était l’époque où dans les paroisses le curé prêchait tous les dimanches et fêtes et les vicaires devaient se contenter du reste ! – Il prêchait donc tous les dimanches, avec conviction, avec passion, avec application et quelquefois même avec véhémence… C’était l’art oratoire de l’époque qui savait se passer de micro. Et je dois avouer que la prédication du chanoine, qui s’agitait comme un beau diable ici au bord de la marche ou dans sa chaire de Port Marly, reste pour mes années d’enfance un souvenir impérissable !

Alors que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage du chanoine Roussel ?

Dans sa réflexion fondamentale sur la Tradition, le cardinal Joseph Ratzinger (2) réfléchissait à l’articulation entre l’histoire, la mémoire et la tradition. Ainsi distinguait-il : -l’histoire comme une manière de regarder les faits du passé, -la mémoire comme l’activité de l’esprit dans cette œuvre historique, -et la tradition qui s’inspire du passé, organise le présent et conditionne l’avenir. Pour mettre à jour l’héritage du chanoine Roussel, je propose de reprendre cette éclairante trilogie. L’histoire, c’est d’abord celle plus ancienne de Versailles et des riches vestiges qu’elle nous laisse… Nous en sommes ici, ce soir, les témoins émerveillés en ces lieux tellement chargés de la grande histoire de France ! L’histoire, c’est aussi celle, plus récente, de la résistance du chanoine Roussel – il avait ça dans le sang ! - face au laisser aller liturgique apparu dès les années 60… Cette histoire récente, trop récente… je la laisse aux historiens. Et je prie pour que ce petit bout d’histoire contemporaine intéresse quelque jeune chercheur qui pourrait exhumer les éléments de cette belle page de notre histoire locale et de notre diocèse.

La mémoire est cette œuvre de la raison qui nous oblige à tenir compte de l’histoire, à la regarder chrétiennement, c'est-à-dire avec bienveillance et nous pousse à mieux la connaître. Pour nous, cela revient à approfondir le patrimoine liturgique et spirituel que le chanoine a voulu préserver de la meilleure manière qui soit : en le vivant, au sein de l’Eglise, comme un authentique moyen de rencontrer Dieu !

De là nous arrivons à la tradition, enracinée dans l’histoire et une histoire riche, transmise humainement : le concile de Trente dit « de main en main ». La tradition est cette manière de recueillir le passé pour l’actualiser sans cesse. Reconnaissons d’abord que nous sommes gâtés à Versailles : dans toutes les années difficiles de l’après concile, marquées par la volonté iconoclaste du plus grand nombre d’oublier le passé en le chargeant de tant de maux, nous avons pu, assez paisiblement, vivre les richesses de la liturgie traditionnelle sans interruption, sans rupture, dans l’esprit d’obéissance à l’Eglise. La tradition est ici un héritage, fruit d’une humaine transmission. Elle n’a pas besoin ici d’être réinventée, réinterprétée, repensée, reconstituée… Nous ne venons pas de nulle part ; nous sommes des héritiers et cet héritage est notre trésor. Soyons-y fidèles ! « Voici que j’envoie mon messager devant ta face pour qu’il prépare la route devant toi ». Ce que Jésus, dans l’Evangile que nous venons de lire, dit du ministère de saint Jean Baptiste, on peut le dire aussi du ministère sacerdotal du chanoine Roussel. Un de ses amis résumait ainsi son œuvre : « il aimait Dieu et l’Eglise, la France et la Musique… » Je crois que ce sont là les points cardinaux d’une boussole certes originale, mais qui conduit sûrement, avec la grâce de Dieu, sur la bonne route, jusqu’à bon port : Celui de l’Eternité !
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NOTES:
(1) Lettre à Maritain du 29 décembre 1967, in Journet - Maritain Correspondance, Vol. VI, p.506.
(2)  Les principes de la théologie catholique, Téqui, 1985, p. 93.