15 décembre 2015

[+ F. Louis-Marie, o.s.b., abbé - Le Barroux - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs] La toute-puissance de Dieu

SOURCE - + F. Louis-Marie, o.s.b., abbé - Le Barroux - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs - décembre 2015

Il y a quelques mois, gare de Lyon, cinq jeunes musulmans de 16 à 18 ans m’ont accosté avec la ferme intention de me convertir à l’islam. Le chef de la bande, un magnifique Noir, m’a parlé d’abord de vérité, concept auquel il croyait et qui lui donnait, je vous l’avoue, une force de conviction spirituelle qu’on ne trouve pas dans notre société ultra-technologique. Et puis il s’est mis à battre en brèche les dogmes fondamentaux de notre foi catholique. Il m’a affirmé que Dieu ne pouvait pas engendrer, que ce n’était pas possible. Et puis que Dieu ne pouvait pas se faire homme, que ce n’était pas possible non plus. Je l’ai laissé parler pendant plusieurs minutes. Et puis je lui ai expliqué qu’il ne fallait pas concevoir l’engendrement divin de façon charnelle mais spirituelle. Rien n’y a fait. Je me suis retrouvé sous la pluie, entouré de mes cinq gaillards, deux devant et trois derrière : « Dieu ne peut pas, ce n’est possible », me disait le beau Mustafa. Alors je lui ai vigoureusement riposté qu’il commençait à m’agacer à me répéter sans cesse que « Dieu ne pouvait pas » et je lui ai fait le reproche que Jésus fait lui-même aux Sadducéens : « Toi, mon gars, tu ignores la puissance de Dieu, et moi, je te le dis, Dieu est tout-puissant. Nier cela en disant que Dieu ne peut pas, c’est grave. » Il a changé de sujet.

Heureusement, Jésus ne fera pas ce reproche à saint Benoît : toute la Règle est bien enracinée dans cette conviction que Dieu est tout-puissant. Rien que dans le prologue, saint Benoît affirme cette vérité par les titres qu’il donne à Dieu : le Seigneur Christ, le vrai Roi, le Maître redoutable.

Mais comment se manifeste cette puissance? Saint Benoît, tout d’abord, croit fermement que Dieu manifestera sa puissance par le jugement, qui sera précis, juste et sans appel : celui qui aura refusé de le servir ici-bas sera traité comme un fils déshérité ou, pis, comme un misé- rable serviteur, livré à la peine éternelle. Par contre, celui qui aura suivi le Christ entrera dans la gloire de Dieu. L’apparente injustice de ce monde n’est pas l’expression d’une impuissance de Dieu mais manifeste sa patience et son désir ardent de notre conversion. Dieu n’est pas interventionniste et laisse une grande place à notre responsabilité personnelle et collective. Le drame du 13 novembre dernier est une abomination aux yeux de Dieu, une abomination que les responsables politiques ont laissé faire par manque de prévoyance, une abomination qui trouvera son jugement dans l’éternité.

Ensuite saint Benoît affirme que, dans le temps présent, Dieu est tout-puissant par sa grâce. C’est pour cela qu’il exhorte les moines à supplier le Seigneur, dans une prière très instante, de conduire à bonne fin le bien entrepris. Tout le bien que nous pouvons faire vient non pas de notre fond mais de l’action de Dieu opérant en nous. Le Christ est comparé à un roc indestructible contre lequel nous pouvons briser toutes les tentations. Saint Benoît croit à la puissance de la grâce, à la grâce opérante qui est l’action de Dieu en nous. La puissance de Dieu revêt alors une infinie tendresse : avant même que nous l’invoquions, Il nous dit : « Me voici. » La puissance de Dieu est celle d’un Père. D’un Père qui nous voit, qui nous parle, nous avertit, nous écoute et nous guide.

Et c’est donc avec une grande cohérence que, dans le prologue, la puissance de Dieu se manifeste surtout par la parole divine. Saint Benoît inaugure sa Règle par un impératif : « Écoute, ô mon fils, les enseignements du maître, et incline l’oreille de ton cœur. » Cette parole nous réveille, elle est lumière qui divinise, elle est le rocher sur lequel nous construisons notre maison qu’aucune tempête ne peut détruire, elle est le chemin qui nous conduit au tabernacle afin de voir celui qui nous a appelés à le contempler. Saint Benoît croit à la puissance de l’Évangile. Et vous, y croyez-vous? La connaissez-vous? Allez-vous vous priver de cette force qui, comme une semence, est capable de produire le plus grand des arbres?

Pour en revenir à mes gaillards, je leur ai cité, à un moment, les béatitudes, et l’un des gar- çons a été stupéfait par la première : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux. » Je crois bien qu’il a été touché au cœur. La puissance de Dieu dans l’Écriture vient de l’Esprit qui en est l’auteur et qui touche les cœurs.

Et nous nous sommes quittés en nous promettant mutuellement de lire, moi, la sourate de la Vache, et eux, l’évangile de saint Jean.

+ F . Louis-Marie, o.s.b., abbé