14 juin 2017

[Abbé Philippe Nansenet, fsspx - Le Petit Eudiste] Avec Rome, quel accord?

SOURCE - Abbé Raphaël d'Abbadie, fsspx - Le Petit Eudiste - juin 2017
«Pas d'accord pratique sans accord doctrinal préalable» avait-on affirmé dans la Fraternité en 2006, avant d'abandonner cette exigence quelques années plus tard au profit d'une reconnaissance de la Tradition telle qu'elle est de la part des autorités conciliaires. Mais Rome, à sa manière, nous impose un retour à la question de fond puisque Mgr Guido Pozzo vient de déclarer que la réconciliation se fera lorsque Mgr Bernard Fellay adhérera formellement à «la déclaration doctrinale» que lui a présentée le Saint-Siège. Rome veut donc une entente doctrinale avant de procéder à une régularisation canonique. Mais l'expression «entente doctrinale» recèle une ambiguïté. Elle peut s'entendre en effet en deux sens. Dans un premier sens, le but poursuivi est que la Tradition retrouve tous ses droits à Rome, et que le SaintSiège corrige les erreurs de fond qui sont à la source de la crise dans l’Église. Ce but n'est autre que le bien commun de toute l’Église. Aussi Rome doit-elle s'entendre non pas avec la Fraternité saint Pie X, mais avec la doctrine de toujours. Voilà ce que nous entendions en 2006 par un accord doctrinal préalable à un accord pratique. Dans un second sens, le but poursuivi serait la reconnaissance de la Fraternité, tout simplement, son bien particulier apparent, par l'accord préalable sur une formulation doctrinale commune, acceptable par les deux parties, exempte d'erreurs - nous pouvons le supposer - mais laissant dans l'ombre celles qui ravagent l’Église depuis cinquante ans. Rome entend l'accord doctrinal dans ce sens de pur moyen, et envisage une communion fondée sur le plus petit dénominateur commun. Les sectes protestantes traitent entre elles de cette manière depuis bientôt cinq siècles. Le Vatican traite de cette manière avec les sectes protestantes depuis le Concile, témoin l'Accord luthéro-catholique sur la justification, en 1999. «Jusqu'ici - nous dit M. l'abbé Gleize - les héritiers de Mgr Lefebvre, se sont fait au contraire un devoir d'envisager les choses du premier point de vue.» 
     
Parmi les erreurs graves qui vicient toutes les vérités partielles qui peuvent se rencontrer dans le magistère conciliaire et post-conciliaire, les plus connues ont été mises dès l'origine en vis-à-vis de la triade révolutionnaire de liberté, égalité et fraternité. Vous aurez reconnu ici la querelle sur la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme. 
     
Qu'entend la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae par liberté religieuse? Non pas la liberté de l’Église catholique, mais le fait pour quiconque de ne pas être empêché, par quelque pouvoir que ce soit, de professer l'erreur. Ce serait un droit naturel que le législateur civil devrait reconnaître. Voilà qui contredit l'enseignement de l’Église jusqu'à Pie XII compris, et favorise aujourd'hui la submersion de nos pays par l'islam. Certes, il ne s'agit pas d'exercer la contrainte physique pour obliger les personnes adultes à embrasser le christianisme contre leur gré, mais l’État chrétien doit exercer son autorité en faveur de la vraie religion, d'une part en empêchant ou en dissuadant la profession de l'erreur, d'autre part, en facilitant la profession de la vérité. Notons qu'aujourd'hui le pape François déroule les conséquences de cette nouvelle doctrine dans le domaine familial avec l'exhortation apostolique Amoris Laetitia. Il serait en effet illogique de cantonner l'immunité de contrainte à la profession d'une foi religieuse et de ne pas l'étendre petit à petit à tout l'ordre moral. 
     
La collégialité quant à elle, s'attaque au primat du successeur de Pierre sur le siège de Rome. Ce débat ne relève pas d'une querelle byzantine puisque c'est l’Église telle que Notre-Seigneur Jésus-Christ l'a instituée, autrement dit sa constitution divine qui est en cause. Or, Lumen gentium affirme 1° que le collège épiscopal est un sujet ordinaire et permanent du pouvoir sur toute l’Église, 2° que ce même collège incluant le pape constitue, en plus du pape considéré seul, un deuxième sujet permanent du pouvoir sur toute l’Église, 3° que le collège épiscopal tient son pouvoir directement non du pape mais du Christ et que le consentement du pape est seulement requis pour son exercice. L’Église se doit donc d'être synodale, affirme le pape François! A l'inverse, que dit la Tradition? Le corps épiscopal rassemblé lors d'un concile œcuménique n'est le sujet que temporaire et extraordinaire de ce pouvoir ; le corps épiscopal n'est pas un deuxième sujet de ce pouvoir, mais, réuni en Concile, il est un second mode d’exercice pour le pape d'exercer son pouvoir, et c'est l'autorité même du pape qui est communiquée au concile. Nous devons donc aujourd'hui défendre la papauté contre le pape lui-même! L’Église est une monarchie et non une dyarchie. 
     
L'œcuménisme tel qu'il est présenté par les textes du concile, Unitatis Redintegratio et Lumen Gentium, s'attaque à l'unicité du salut dans l’Église catholique. Qu'affirment ces derniers?
1° La réalité d'une communion réelle, bien qu’imparfaite et partielle entre la structure visible de l’Église catholique et la structure visible des communautés non catholiques séparées. 
2° La réalité d'une présence et d'une action de l'Église du Christ, que l'on distingue de l’Église catholique, dans ces mêmes communautés. 
3° La présence d'éléments de sanctification dans ces communautés de sorte qu'elles sont des moyens de salut. 
     
À l'inverse que dit la Tradition? 
1° Ce ne sont pas ces communautés hérétiques ou schismatiques en tant que telles mais seulement certains de leurs membres qui peuvent être non pas exactement en communion avec l’Église mais ordonnés à l’Église. 
2° L'action du Saint-Esprit en dehors de l’Église catholique a lieu dans certaines âmes mais non pas dans les communautés prisonnières de l'erreur à laquelle elles appartiennent.
3° Ce qui reste d'éléments de l’Église dans les communautés séparées – le dogme de la Sainte-Trinité ou le sacrement du baptême, par exemple - n'a pas de soi valeur de salut, parce que la valeur salutaire des dogmes et des sacrements leur vient de ce qu'ils sont dispensés selon l'ordre voulu par le Christ, c'est-à-dire dans la dépendance du chef de l’Église. 
     
Au fil des ans, à l'occasion de la mise en œuvre du Concile, est apparue une nouvelle conception du Magistère. Elle est falsifiée en pratique puisque ses titulaires en usent à contre-sens en imposant les erreurs contraires aux vérités qui doivent en faire l'objet. Elle est faussée en théorie puisqu'elle prétend que le Magistère suprême de l’Église est l'interprète authentique des textes précédents du magistère. C'est l'erreur radicale du néo-modernisme dont les adeptes sont imbus de la mentalité évolutionniste. Nous la retrouvons dans le discours du pape Benoît XVI du 22 décembre 2005, avec l'herméneutique de « la réforme dans la continuité ». Cette erreur est à l'origine de la prétendue « Tradition vivante ». C'est sur le fondement d'une prétendue Tradition vivante que Mgr Lefebvre a été condamné en 1988 par le motu proprio « Ecclesia Dei adflicta ». Et remarquons que c'est la dénommée commission Ecclesia Dei qui est chargée de traiter avec la Fraternité! En réalité, le Magistère est l'organe et l'interprète de la Révélation. Le Magistère présent doit interpréter non le magistère passé mais la Révélation contenue dans ses sources: l’Écriture et la Tradition. Il doit se soumettre au magistère passé et interpréter les points de la Révélation non encore interprétés par les actes du magistère antérieur. Il doit s'y soumettre et l'assumer. Tout ce que les papes du temps passé ont enseigné en matière nécessaire demeure d'actualité. Si c'était la parole d'aujourd'hui qui faisait la vérité en interprétant sans cesse la parole d'hier, c'est le pape d'aujourd'hui qui ferait la vérité à sa guise, et la notion même de Tradition catholique n'existerait plus. Rappelons que la sainte Eglise catholique est le Corps mystique du Christ et non pas du pape régnant!
     
Le Nouveau Code de Droit canon véhicule les erreurs que nous venons de dénoncer et bien d'autres, sur le mariage, par exemple, dont il sera traité plus loin. Ce code, de l'aveu même de Jean-Paul II, pré- sente un nouveau visage de l’Église. Il met sous forme de canons ou d'articles la nouvelle ecclésiologie, entre autres choses. Il pèche donc contre la finalité même de la loi. Il s'éloigne dans l'ensemble comme dans le détail de la protection due à la foi et aux mœurs. Sa promulgation reste douteuse. Il n'a pas de valeur en soi. Voilà pourquoi sa réception pose un réel problème de conscience aux catholiques. Dans cette situation inédite, la nouvelle législation doit être ramenée à la précédente, celle de 1917, et si possible conciliée avec elle. Telle est la position adoptée par la Fraternité depuis 1983. 
     
Notre but est donc que la Tradition retrouve ses droits à Rome. Mais pour cela faut-il dans les conditions présentes accepter un accord? Comment peut raisonner ici un moraliste? L'acceptation d'une reconnaissance canonique est un acte moralement indifférent à double effet. L'effet bon est de retrouver la normalité juridique, 'des papiers en règle', et de s'ouvrir peut-être de nouveaux champs d'apostolat. Il en aurait été ainsi au Liban il y a vingt ans. Peut-être en serait-il encore ainsi dans certains pays d'Afrique ou d'Asie. 
     
L'effet mauvais est lui-même double:
     
- Il consiste dans le risque de relativiser la Tradition qui risquerait fort d'apparaître alors comme une option parmi d'autres. Nous accepterions une coexistence de droit et même une cohabitation de fait avec les modernistes.
     
- Il consiste également dans le risque de trahir la Tradition et de rallier la vision conciliaire. Je retrouve le numéro 67 de la Cloche d'Ecône. Nous sommes en 1994 ; le Catéchisme dit de l’Église Catholique venait de paraître deux ans auparavant. Les nôtres le pourfendait tandis que les moines du Barroux prenaient sa défense: « Il y a cinq ans, nous ne pouvions même pas imaginer que nous serions capables de le faire. Maintenant que nous sommes réconciliés, nous faisons l'expérience de renaître dans le sens de la catholicité et donc de la compréhension de l'enseignement de l’Église d’aujourd’hui ». Et le directeur du séminaire de commenter: «Est-ce assez clair? Et cette fois ce n'est pas moi qui l'ai dit! Eux-mêmes sont étonnés d'être capables de défendre le Nouveau Catéchisme! En termes clairs, qu'est-ce que cela signifie, sinon qu'après le ralliement canonique, le ralliement doctrinal est consommé? Vive le Concile, son Droit canon et son Catéchisme.» M. l'abbé Schaeffer, peu de tant avant son décès, avait écrit dans le Chardonnet un articulet intitulé: «Du génocide au mémoricide» en reprenant le titre d'un livre de M. Reynald Secher. Il comparait le sort qui pourrait être fait à l'épopée de notre défense et illustration de la Tradition au sort fait à l'épopée vendéenne. Ceux qui abandonnent la Tradition en arrivent à oublier ou à vouloir faire oublier ce qu'il ont été. Ils se retournent même contre elle. Il n'est que de regarder du côté des disciples longtemps si valeureux de Mgr Antonio de Castro Mayer, dans le diocèse brésilien de Campos! Au moment de leur ralliement, en 2001, certains progressistes avaient poussé de hauts cris. Le cardinal Cottier les avaient rassurés: « ne vous inquiétez pas, ils se sont engagés dans une dynamique!» Et de fait, il n'a guère fallu attendre pour constater de stupéfiants reniements en doctrine et en liturgie.
     
La solution dépend d'une part de la proportion à établir entre l'effet bon et l'effet mauvais, et d'autre part de l'évaluation des circonstances. Il est clair qu'il est plus important d'éviter le double effet mauvais (la relativisation et la trahison de la Tradition) que d'obtenir le double effet bon (le retour à la stricte lé- galité et les nouveaux champs d'apostolat). Mais les circonstances sont-elles telles que l'on puisse espérer éviter le double effet mauvais, le double risque? Mgr Marcel Lefebvre écrivait: « On ne rentre pas dans un cadre, et sous des supérieurs, en disant que l'on va tout bousculer lorsqu’on sera dedans, alors qu'ils ont tout en mains pour nous juguler! Ils ont toute l'autorité. » Et nous, nous savons comment ont été traités tout récemment encore ceux qui étaient dans le cadre, et qui s’efforçaient de faire retour à la Tradition. La mésaventure des Franciscains de l'Immaculée pourrait nous enseigner!